Crise politique au Soudan : Khartoum rejette l’appel de l’ONU pour une force d’intervention

09/09/2024 mis à jour: 01:30
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Un convoi quittant Khartoum avance sur une route vers Port-Soudan, le 23 avril 2023, alors que les gens fuient la capitale soudanaise déchirée par les combats

La diplomatie soudanaise a dénoncé un récent rapport d’experts de l’ONU appelant au déploiement d’une force «impartiale» de protection des civils, qualifiant le Conseil des droits de l’homme d’«organe politique et illégal», a rapporté hier l’AFP. 

«Le gouvernement soudanais rejette dans leur intégralité les recommandations de la mission» onusienne, a affirmé le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué publié samedi, les décrivant comme une «violation flagrante de son mandat». La guerre, qui a fait des dizaines de milliers de morts, a éclaté en avril 2023 entre l’armée dirigée par le général Abdel Fattah Al Burhane et les forces paramilitaires de soutien rapide (FSR), dirigées par son ancien adjoint, Mohamed Hamdane Daglo.


«La protection des civils reste une priorité absolue pour le gouvernement soudanais», a affirmé le ministère, accusant les «milices de cibler systématiquement les civils et les institutions civiles». Il a estimé que «le rôle» du Conseil des droits de l’homme devrait être de «soutenir le processus national plutôt que de chercher à imposer un mécanisme extérieur différent», rejetant, par ailleurs, l’appel pour un embargo sur les armes. Vendredi, des experts de l’ONU ont réclamé le «déploiement sans délai» d’une force «indépendante et impartiale» afin de protéger les populations civiles.


Ces experts mandatés par le Conseil des droits de l’homme ont conclu dans un rapport présenté dans un communiqué que les deux parties en guerre «ont commis une série effroyable de violations des droits de l’homme et de crimes internationaux, dont beaucoup peuvent être qualifiés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité».

 «La gravité de ces conclusions souligne l’urgence d’agir immédiatement pour protéger les civils», a souligné Mohamed Chande Othman, le président de la mission d’établissement des faits sur le Soudan. Cette mission a été créée à la fin de l’année dernière par le Conseil des droits de l’homme pour documenter les violations des droits humains commises dans le pays depuis le début de la guerre en avril 2023. 

«Etant donné que les parties belligérantes n’ont pas épargné les civils, il est impératif qu’une force indépendante et impartiale ayant pour mandat de protéger les civils soit déployée sans délai», a réclamé M. Othman. Sa collègue, Mona Rishmawi, souligne que plusieurs modèles existent, que ce soit des Casques bleus de l’ONU comme au Soudan du Sud voisin ou une force d’interposition régionale de l’Union africaine par exemple. 

Les experts, qui ne s’expriment pas au nom de l’ONU, ont insisté sur le fait que «la protection de la population civile est primordiale» pour ce pays dont la moitié de la population, soit 25 millions de personnes, souffre de malnutrition. Ils réclament aussi un cessez-le-feu et ont regretté que les autorités soudanaises aient fait la sourde oreille aux 4 demandes de pouvoir visiter le pays. 

Les forces armées soudanaises (SAF) et les forces de soutien rapide (FSR), ainsi que leurs alliés respectifs, «ont été reconnus responsables de violations à grande échelle, notamment d’attaques directes et aveugles menées par des frappes aériennes et des bombardements contre des civils, des écoles, des hôpitaux, des réseaux de communication et des approvisionnements vitaux en eau et en électricité», souligne le communiqué.  

Les parties belligérantes ont également pris pour cible des civils «en commettant des viols et d’autres formes de violence sexuelle, des arrestations et détentions arbitraires, ainsi que des actes de torture et des mauvais traitements». Autant de violations qui peuvent «constituer des crimes de guerre», selon le rapport. Les experts ont mis en exergue «les attaques horribles perpétrées par les FSR et leurs alliés contre les communautés non arabes, en particulier les Masalit à Al Geneina et dans ses environs, au Darfour occidental». Ils ont relevé meurtres, actes de torture, viols et autres formes de violence sexuelle, destructions de biens et pillages. 


Système de santé «effondré»

Les experts, qui ont pu rencontrer des réfugiés du conflit dans les pays voisins du Soudan et 182 victimes directes d’exactions ou des proches, souhaitent que l’embargo sur les armes soit étendu à l’ensemble du Soudan. Ils demandent aussi aux autorités de coopérer avec la Cour pénale internationale et de lui remettre l’ex-dictateur Omar El Béchir. 

Ils réclament également la mise en place d’un mécanisme judiciaire international uniquement consacré au Soudan. Joy Ngozi Ezeilo a regretté que la tragédie que traverse le Soudan ne fasse pas la Une. 


«C’est vraiment déchirant et le monde doit absolument faire beaucoup plus», a déclaré l’experte, ajoutant : «Cela doit être au cœur des discussions internationales». La guerre, qui a entraîné le déplacement de plus de 10 millions de personnes, notamment dans les pays voisins, a aussi provoqué une très grave crise humanitaire, selon l’ONU. «Le degré d’urgence est choquant, tout comme l’est l’inaction pour endiguer le conflit et répondre aux souffrances causées», a alerté hier le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus. En visite à Port-Soudan (est), il a appelé «le monde à se réveiller et à aider à tirer le Soudan du cauchemar dans lequel il vit», s’alarmant lors d’une conférence de presse du «quasi-effondrement d’une grande partie du système de santé».

Selon lui, environ 70 à 80% des infrastructures sanitaires ne fonctionnent pas pleinement et le secteur humanitaire, qui avait réclamé 2,7 milliards de dollars d’aide pour 14,7 millions de Soudanais aux besoins urgents, en a récolté moins de la moitié.             

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