Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, qui a sauvé hier son fauteuil sur un coup de théâtre, a longtemps joui d’une réelle popularité avant que celle-ci ne s’effiloche en raison d’une situation économique très dégradée.
L’échec hier d’une motion de censure et la convocation d’élections anticipées d’ici juillet constituent une victoire à l’arraché pour cet ancien sportif d’exception de 69 ans, même si ses adversaires de plus en plus nombreux n’ont sûrement pas dit leur dernier mot.
Imran Khan est arrivé au pouvoir en 2018, après la victoire aux législatives de son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), sur une plateforme populiste, mêlant promesses de réformes sociales, conservatisme religieux et lutte contre la corruption.
Vingt-deux ans après son entrée en politique, la ténacité de celui qui est idolâtré par des millions de Pakistanais pour avoir mené l’équipe nationale de cricket, sport roi dans le pays, à sa seule victoire en Coupe du monde en 1992, était ainsi récompensée.
Comme chef du gouvernement, le promoteur d’un «Nouveau Pakistan» a d’abord capitalisé sur son image d’incorruptible et la lassitude de la société à l’égard des partis traditionnels, qui ont monopolisé le pouvoir pendant des décennies avec l’armée. Pendant la pandémie de Covid-19, son choix de ne pas imposer de confinement national, qui aurait «fait mourir de faim» les gens, s’est révélé populaire et gagnant.
Les 220 millions de Pakistanais, majoritairement très jeunes, ont été largement épargnés (30 000 morts). Mais, même s’il avait hérité de finances sinistrées, la conjoncture économique et ses mauvais choix ont fini par le rattraper, le tassement de sa cote de popularité ces derniers mois incitant ses alliés au sein de la coalition au pouvoir à s’allier avec l’opposition pour tenter de le pousser vers la sortie.
Sécurité dégradée
L’inflation (10% en 2021), la croissance économique restée nulle ces trois dernières années, la forte dépréciation de la roupie depuis juillet et le creusement de la dette ont rendu sa position vulnérable.
La détérioration de la sécurité, en particulier depuis la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan à la mi-août, a aussi contribué à ses difficultés. Le retour triomphal au pouvoir des fondamentalistes a d’abord été interprété comme une victoire pour le Pakistan, accusé de longue date de les soutenir, et pour son Premier ministre, affublé du sobriquet de «Taliban Khan» pour n’avoir jamais cessé de prôner le dialogue avec eux et d’éreinter la stratégie américaine en Afghanistan.
Mais après plusieurs années d’un calme relatif, les attentats ont repris de plus belle depuis août, menés par les talibans pakistanais du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), la branche régionale du groupe Etat islamique (EI-K), ou des groupes séparatistes baloutches, malgré les assurances de Kaboul que le sol afghan ne serait pas utilisé à de telles fins.
Imran Khan a aussi pâti de la dégradation de ses liens avec l’armée, qui était accusée d’avoir interféré en sa faveur pendant l’élection de 2018, même s’il paraît improbable qu’il ait pu se maintenir au pouvoir dimanche sans l’approbation tacite des militaires.
Ses efforts pour positionner le Pakistan en acteur régional incontournable n’ont guère porté non plus. Les liens avec Washington et les pays européens se sont distendus, notamment sous l’effet de ses diatribes contre l’islamophobie, déguisée à ses yeux en Occident sous les traits de la liberté d’expression.
Complaisance envers les radicaux
Islamabad s’est encore plus rapproché de la Chine. Et la visite officielle à Moscou d’Imran Khan le jour même du déclenchement de la guerre en Ukraine lui a valu nombre de moqueries.
Ce fils d’une riche famille de Lahore, diplômé d’Oxford, marié trois fois après avoir entretenu pendant sa carrière sportive une réputation de play-boy habitué aux boîtes de nuit les plus sélect de Londres, s’est aussi vu reprocher sa complaisance envers les religieux radicaux.
Marié en troisièmes noces en 2018 avec Bushra Bibi, issue d’une famille conservatrice et qui porte le voile, et s’affichant souvent le chapelet à la main, il a défendu avec véhémence la controversée loi sur le blasphème.
En novembre, son gouvernement a levé l’interdiction pesant sur le Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), décrétée en avril après de violentes manifestations anti-françaises organisées par ce parti islamiste, qui dénonçait le soutien apporté par la France au droit de caricaturer, y compris le prophète Mahomet.
Souvent accusé d’avoir restreint l’espace d’expression de la presse, Imran Khan a aussi suscité l’indignation des organisations féministes en établissant plusieurs fois un lien entre le viol et la manière de s’habiller des femmes, dans un pays où les violences sexuelles sont courantes.