Crise économique et tensions au Nigeria : Avant la présidentielle, l’exaspération face aux pénuries

01/02/2023 mis à jour: 11:13
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Des partisans du candidat du parti de l’opposition PDP lors d’un meeting électoral avant le scrutin présidentiel, à Abeokuta, dans le sud-ouest du Nigeria, le 18 janvier 2023

Cela fait quatre heures que Muhammed patiente sous le soleil pour un plein d’essence. Deux heures qu’Alexander fait la queue pour retirer de l’argent.

Et trois heures que Vanessa est bloquée dans les embouteillages pour déposer ses enfants à l’école. Awolowo, l’une des artères commerciales de Lagos, mégalopole nigériane de 20 millions d’habitants, n’est qu’une interminable file d’attente s’étendant sur deux kilomètres. Du nord au sud du Nigeria, les habitants du pays le plus peuplé d’Afrique (environ 215 millions d’habitants) font face depuis des semaines à des pénuries en tout genre. Essence, diesel, billets en banque, eau, électricité : ils manquent de tout, et encore plus qu’à l’accoutumée.

C’est dans ce climat de tension et de grogne que les Nigérians se préparent à élire leur nouveau président le 25 février prochain, Muhammadu Buhari ne se représentant pas après son deuxième mandat comme le veut la Constitution. Muhammed Bazza s’est levé à 4h30 ce matin, mais cela n’aura pas suffit. Il est un peu plus de 10h, sa voiture est à dix mètres de la station, mais le pompiste vient de rendre son tablier. «C’est fini, on n’a plus rien à vendre», lance l’employé à des dizaines d’autres automobilistes dépités. «Ma journée est gâchée», peste Muhammed, le chauffeur âgé de 32 ans. «Tous les jours c’est la même chose, c’est aberrant.» Le Nigeria est l’un des plus gros producteurs de pétrole en Afrique, mais il n’en raffine quasiment pas et doit tout importer. L’essence se fait souvent rare avant les élections, mais pour celle-ci, la pénurie a commencé dès 2022, mettant la patience des Nigérians à rude épreuve. «On n’en peut plus. On voit des gens se battre partout», déplore le chauffeur.

«Chaque jour c’est pire»

A une centaine de mètres, devant une autre station essence dont la file d’attente bloque la circulation depuis des heures, une femme vêtue d’une élégante robe orange descend de sa voiture, et se met à gesticuler comme une furie. Elle hurle sur des militaires armés. «Vous êtes la cause de nos problèmes !» leur crie-t-elle alors que leur véhicule force le passage entre les voitures pare-choc contre pare-choc, ajoutant un peu plus au chaos. La mère de famille, excédée, finit par faire la circulation elle-même pour mettre de l’ordre sur la route, comme le symbole d’une population livrée à elle-même. «Chaque jour, c’est pire, mais qu’est-ce qu’il arrive au Nigeria», lance Vanessa Ifejitah à l’AFP alors qu’elle rejoint sa voiture et ses deux enfants en uniforme assis à l’arrière. «Trois heures que nous sommes bloqués ! Les enfants ont deux heures de retard pour l’école», lâche-t-elle, des sanglots dans la voix. Sur le trottoir d’en face, une cinquantaine de personnes s’agglutinent devant une banque, et la foule ne fait que grossir.

Le garde de sécurité a bien du mal à les contenir. «Apparemment, leurs distributeurs ont les nouveaux billets», explique Alexander Okwori, 21 ans, qui fait la queue depuis deux heures. En octobre, le gouvernement a annoncé sans prévenir changer les billets de banque (notamment leur couleur), et décidé que les anciens billets ne seraient plus valables le 31 janvier. A quelques jours de la date fatidique, très peu de banques ne distribuaient les nouveaux billets, laissant les Nigérians – dont la majorité vit dans la pauvreté et dépend de l’économie informelle – sans liquide, et donc sans argent. Face à la pression populaire, les autorités ont repoussé la date au 10 février, mais hier les banques semblaient toujours incapables de distribuer les nouveaux billets.

Émeutes

«J’ai fait dix banques depuis ce matin, et aucun distributeur n’en avait», se lamente Alexander, qui se demande comment il va pouvoir manger ce soir. «Les dirigeants sont en train de jouer avec nos nerfs», fulmine le jeune homme qui dit qu’il n’ira pas voter le 25 février. «Pour retirer ma carte électorale, je dois encore faire la queue. A quoi bon, ce sont tous les mêmes», lance-t-il. Les deux principaux candidats de cette élection sont Bola Tinubu, du parti au pouvoir, et Atiku Abubakar, du principal parti de l’opposition, deux routiers de la politique, richissimes septuagénaires taxés de «corrompus» par une grande partie de l’opinion. A moins d’un mois de l’élection présidentielle, la grogne grandit à Lagos, mais aussi dans d’autres grandes villes du Nigeria. Lundi à Benin city, capitale de l’Etat d’Edo (sud) des jeunes ont manifesté contre les pénuries d’essence, érigeant des barricades, selon la presse locale. Des émeutes ont également éclaté à Kano dans la foulée d’une visite du président Buhari, d’habitude accueilli par des manifestations de liesse dans cette ville, la plus grande du Nord, qui est aussi l’un de ses bastions. Des jeunes y ont lancé des pierres contre les forces de l’ordre, qui ont répliqué par des tirs en l’air.

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