Par Dr Mohamed Tahar Aïssani (*)
La crise actuelle qui secoue le système de formation médicale en Algérie est révélatrice des profondes lacunes qui gangrènent le secteur depuis plusieurs décennies. En dénonçant des infrastructures vétustes, des conditions d’apprentissage inadaptées et des perspectives professionnelles moroses, les étudiants en sciences médicales ont levé le voile sur des dysfonctionnements structurels qui compromettent gravement l’avenir de la médecine algérienne.
Ces problématiques, bien que spécifiques à l’Algérie, s’inscrivent dans un contexte plus large où les systèmes de santé du monde entier doivent s’adapter aux besoins croissants et diversifiés des populations. En examinant les modèles internationaux de formation médicale et en les adaptant aux réalités locales, l’Algérie peut transformer une crise en une opportunité historique pour réinventer son système éducatif médical et garantir un avenir prospère à ses jeunes médecins.
Les difficultés rencontrées par les étudiants en médecine en Algérie s’enracinent dans une formation essentiellement théorique, souvent déconnectée des avancées scientifiques actuelles et des exigences du terrain. Les hôpitaux universitaires, censés offrir un cadre d’apprentissage pratique, se heurtent à des limites flagrantes. Le nombre de places est insuffisant, l’encadrement des stagiaires manque de rigueur, et l’absence de cahiers de stage structurés laisse les étudiants livrés à eux-mêmes.
En parallèle, les infrastructures hospitalières peinent à répondre aux standards modernes : les équipements sont vétustes, l’environnement peu propice à l’apprentissage, et les ressources humaines insuffisantes pour accompagner les étudiants. Ces défis, conjugués à des perspectives professionnelles limitées par un marché saturé, un chômage élevé et des obligations administratives contraignantes telles que le service civil, alimentent une fuite des talents vers l’étranger.
Chaque année, des milliers de médecins formés en Algérie s’expatrient, privant le pays de compétences vitales pour son développement sanitaire. A travers une analyse comparative des systèmes de formation médicale à l’international, plusieurs pistes de réflexion émergent pour envisager des réformes pertinentes. Les modèles européens, notamment ceux de l’Allemagne et du Royaume-Uni, illustrent l’importance d’un équilibre entre théorie et pratique.
Les étudiants bénéficient d’une immersion clinique dès les premières années, avec des stages supervisés qui leur permettent de développer des compétences concrètes tout en consolidant leurs connaissances académiques. Ce système, couplé à un soutien financier substantiel sous forme de bourses et de rémunérations attractives pour les internes, favorise une insertion professionnelle rapide et planifiée. De leur côté, les États-Unis mettent l’accent sur l’excellence académique et l’innovation technologique. Les écoles de médecine américaines investissent massivement dans des laboratoires de pointe, intégrant les dernières avancées scientifiques et technologiques dans leurs programmes.
Le mentorat individuel y est également un pilier fondamental, chaque étudiant bénéficiant d’un accompagnement personnalisé pour maximiser son potentiel. L’Asie, quant à elle, propose une approche pragmatique, mettant en avant des politiques de santé publique adaptées aux besoins locaux. Des pays comme le Japon et la Corée du Sud ont mis en place des mesures incitatives pour attirer les médecins dans les zones rurales, tout en intégrant des technologies avancées telles que la simulation clinique dans la formation pratique.
Ces exemples montrent que, malgré les différences culturelles et structurelles, certains principes universels peuvent inspirer des réformes en Algérie. Il est impératif de repenser les programmes de formation pour inclure des stages cliniques dès les premières années et garantir une meilleure intégration des étudiants dans le milieu hospitalier.
La modernisation des infrastructures universitaires et hospitalières est tout aussi cruciale. Cela inclut l’acquisition d’équipements modernes, la mise en place de centres de simulation pour la formation clinique et le renforcement des capacités des enseignants et encadrants. En parallèle, la planification stratégique des ressources humaines apparaît comme un levier essentiel pour répondre aux besoins spécifiques du pays. Une cartographie précise des besoins en médecins, couplée à des mécanismes d’insertion professionnelle garantis, peut limiter le chômage des diplômés tout en répondant aux défis régionaux.
Des incitations financières, telles que l’augmentation des rémunérations pour les internes ou des primes pour les médecins travaillant dans des zones sous-dotées, permettraient de rendre la carrière médicale plus attractive. Par ailleurs, l’abolition progressive de l’obligation de service civil pourrait être compensée par des politiques encourageant volontairement les jeunes médecins à s’installer dans les régions les plus démunies.
La collaboration internationale constitue également une opportunité stratégique. En s’inspirant des meilleures pratiques des systèmes européens, américains et asiatiques, l’Algérie pourrait bénéficier d’un transfert de savoir-faire et de technologies. Le développement de partenariats avec des universités étrangères offrirait aux étudiants et enseignants algériens des opportunités d’échanges enrichissants, favorisant à la fois l’innovation et l’excellence académique.
Enfin, la promotion de la recherche scientifique au sein des facultés de médecine algériennes doit devenir une priorité. Encourager les étudiants à participer à des projets de recherche, leur offrir des financements et les intégrer dans des réseaux internationaux d’innovation pourrait redorer le blason de la médecine algérienne tout en contribuant à résoudre des problématiques locales de santé publique.
La crise actuelle, bien qu’alarmante, constitue une chance unique de repenser en profondeur le système de formation médicale en Algérie. Une réforme ambitieuse, soutenue par une vision à long terme et des investissements stratégiques, permettrait non seulement de retenir les talents nationaux, mais aussi de construire un système durable, capable de répondre aux besoins croissants de la population. L’Algérie a les moyens de transformer cette épreuve en un catalyseur de changement, à condition de faire preuve de volonté politique et de s’engager dans une démarche résolument tournée vers l’avenir.
(*) Médecin spécialiste en anatomie et cytologie pathologiques, formé en médecine de l’environnement.
Président de la commission régionale de déontologie médicale de la région d’Annaba et membre de la Section ordinale nationale (SON)