«L’UA n’a pas été créée pour faire la guerre contre un Etat membre, mais pour préserver la paix, d’où la nécessité de privilégier le dialogue», ont déclaré des ambassadeurs en poste à Addis-Abeba.
Le front anti-intervention militaire au sein de l’Union africaine (UA) prend nettement le dessus sur les va-t-en-guerre au Niger. Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, réuni lundi dernier à Addis-Abeba, est resté divisé sur l’entérinement des décisions de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) sur le Niger, selon des sources diplomatiques.
«(…) Le cours des débats a fait émerger deux camps diamétralement opposés : les Etats membres ne sont pas parvenus à se mettre unanimement d’accord sur la démarche qui consistait à s’aligner sur les décisions prises par la Cédéao à l’encontre du Niger», selon le média panafricain Financial Afrik.
En effet, plusieurs pays d’Afrique australe rejettent l’option militaire : l’Afrique du Sud en tête, soutenu dans la même position par certains pays de l’Afrique centrale et de l’Afrique du Nord puis de l’Est. «L’UA n’a pas été créée pour faire la guerre contre un Etat membre, mais pour préserver la paix, d’où la nécessité de privilégier le dialogue», a déclaré l’ambassadeur sud-africain, à l’instar de celui de l’Algérie, cités par la même source.
«Autoriser la guerre serait irresponsable et ouvrira la voie à l’embrasement de la région», a, pour sa part, martelé un ambassadeur de l’Afrique australe. Les pays d’Afrique australe qui disposent d’un tiers bloquant n’ont ménagé aucun effort pour convaincre la plénière à suspendre lundi les débats au regard d’un manque de consensus pour laisser les différentes délégations se référer de nouveau à leurs hiérarchies respectives.
Le CPS, organe chargé de statuer sur les questions de règlement des conflits, a refusé l’usage de la force, selon plusieurs diplomates présents. Cette position devait être officialisée par un communiqué officiel hier. Dans le même temps, le CPS a choisi de suspendre temporairement le Niger de toutes les activités de l’UA.
Mardi, le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant malien Assimi Goïta se sont accordés à privilégier un règlement pacifique de la crise au Niger. Les deux dirigeants affichent la même position que celle exprimée par plusieurs autres pays, dont l’Algérie, qui, à forte raison, mettent en garde contre une intervention militaire pour le retour du président nigérien Bazoum au pouvoir.
Poutine et Goïta ont en effet, au cours d’un entretien téléphonique, «souligné l’importance de régler la situation autour de la République du Niger uniquement par des moyens pacifiques politico-diplomatiques», a indiqué un communiqué de la présidence russe.
Le président russe s’est ainsi exprimé sur la situation en Afrique dans un message vidéo diffusé avant-hier lors d’une conférence sur la sécurité internationale organisée près de Moscou. Dans ce message, il a accusé «les Etats-Unis et leurs alliés» d’avoir entraîné la «destruction» de l’Etat libyen avec leur intervention militaire en 2011, ce qui, selon lui, a ensuite exposé les pays du Sahel et la République centrafricaine à des menaces «directes issues des nombreux groupes terroristes».
Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a, lors de cette même conférence, pointé du doigt les pays occidentaux, responsables de la dégradation de la situation dans le Sahel et qui «maintiennent des foyers de conflit» sur le continent pour continuer à puiser dans ses richesses naturelles.
«Une multitude de groupes antigouvernementaux et terroristes sont utilisés à ces fins», a déclaré Choïgou, assurant que le ministère russe de la Défense allait «continuer à renforcer sa coopération dans le domaine militaire et technique avec les pays d’Afrique». Il a, en outre, qualifié «la lutte contre le néocolonialisme et la menace terroriste» de «fondement» de la coopération entre Moscou et les pays africains.
Toujours mardi, le Premier ministre du gouvernement formé par les militaires au pouvoir à Niamey, Ali Mahaman Lamine Zeine, a réitéré la volonté de Niamey de favoriser l’option diplomatiques pour le règlement de la crise. «Nous sommes dans un processus de transition», a-t-il déclaré à l’issue de son audience avec le président de transition du Tchad, Mahamat Idriss Déby. De son côté, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) continue à exercer des pressions sur les «putschistes» de Niamey, tout en affirmant qu’elle avantage toujours une solution «pacifique» à la crise.
Niamey hausse le ton
Malgré l’annonce faite d’un déploiement d’une «force en attente» pour rétablir Bazoum – renversé le 26 juillet – et les menaces d’une intervention imminente, l’option militaire ne semble pas toutefois faire l’unanimité au sein de la Cédéao. Les militaires au pouvoir à Niamey ont, par ailleurs, haussé le ton, lundi soir, face à la menace d’une intervention armée.
Ils ont rappelé l’ambassadeur du Niger à Abidjan pour «consultation», après des propos du président ivoirien Alassane Ouattara qui a fait, selon eux, «l’apologie de l’action armée» contre leur pays lors du sommet de la Cédéao tenu jeudi à Abuja. Niamey a d’ailleurs dénoncé l’«empressement» d’Ouattara à «voir se réaliser cette agression en tout point illégale et insensée contre le Niger».
Ceci alors que les efforts des chefs religieux nigérians musulmans se poursuivent pour rester sur la voie du dialogue. Rappelons qu’une délégation de chefs religieux nigérians, conduite par le Sheikh Bala Lau, s’est rendue samedi à Niamey pour «apaiser les tensions créées par la perspective d’une intervention militaire».
Selon cette médiation, les putschistes sont prêts à «explorer la voie de la diplomatie et de la paix afin de résoudre» la crise. Plusieurs chefs religieux et responsables politiques du nord du Nigeria multiplient, eux aussi, les efforts pour parvenir à une résolution diplomatique de la crise et éviter le recours à la force.
«Graves implications»
L’idée d’une intervention militaire divise : des voix politiques, religieuses et de la société civile s’élèvent ainsi dans le nord du Nigeria, craignant de graves conséquences dans leur pays et dans la région du Sahel meurtrie par les violences terroristes. Bien avant la médiation de Sheikh Bala Lau, un autre dignitaire religieux, l’ancien émir de Kano Sanusi Lamido Sanusi, s’est entretenu avec le chef des putschistes, le général Tiani.
Les deux personnalités religieuses, Bala Lau Kano et Sanusi, qui jouissent d’une importante influence dans le nord du Nigeria mais aussi au Niger et au Sahel, avaient publiquement exprimé leur aversion pour une intervention armée.
Des responsables politiques, notamment les 58 sénateurs des régions du nord du Nigeria, se sont joints aux deux chefs religieux.
Le 5 août, ils avaient mis en garde Abuja : un recours à la force aurait, selon eux, de «graves implications» pour le Niger mais aussi le Nigeria, dont sept Etats partagent une frontière de 1500 kilomètres avec le Niger. Ils disent également s’inquiéter de voir une intervention déstabiliser davantage ces régions extrêmement pauvres et déjà sous le joug de groupes armés terroristes ou criminels.
Le 9 août, c’est un groupe d’universitaires, d’officiers à la retraite et d’hommes politiques du Nord qui écrivaient une lettre ouverte au président nigérian.
Selon eux, cette intervention «exacerberait» les problèmes sécuritaires du nord du Nigeria, les conflits entre agriculteurs et éleveurs et les enlèvements de masse, «par la circulation des armes et la propagation de l’extrémisme violent».
En outre, elle pourrait aggraver «la crise humanitaire» dans le nord – avec déjà des millions de personnes déplacées et en insécurité alimentaire, selon l’ONU – en raison des déplacements de populations que l’intervention entraînerait.