Bientôt à une année de «l’opération spéciale russe» menée en Ukraine et tout le monde considère que ce conflit s’inscrit dans la durée, ce qui entraîne des dégâts collatéraux planétaires sur les relations internationales et l’économie mondiale. Commençons par affirmer que ce conflit russo-américain, par Ukraine interposée, date véritablement depuis plus de neuf ans, avec la non-application des accords de Minsk I et II, garantis par la RFA et la France notamment, et l’avancée insidieuse de l’OTAN aux frontières de la Russie, contraire aux engagements non écrits des Etats-Unis et de ses alliés occidentaux. Dans ce dossier, les USA sont à la manœuvre et ont pratiquement tout gagné. Au niveau géostratégique et géopolitique, ils tuent dans l’œuf toute idée d’une défense européenne et obligent l’UE à serrer les rangs au sein de l’OTAN qu’ils contrôlent militairement, au niveau du commandement, contraignant ses alliés à mettre «la main à la poche» pour augmenter son budget et en invitant les non-membres à rejoindre l’alliance (Suède, Finlande). Toute idée de construction d’une Europe de «l’Atlantique à l’Oural», chère au général de gaulle, et de la «maison européenne», chère à Gorbatchev, est définitivement enterrée, malgré les promesses verbales qui lui ont été faites, suite à la réunification allemande, de ne pas étendre l’OTAN aux frontières russes. Enfin, dans son «bras de fer» (et notamment sur le dossier de Taïwan) avec la Chine, les Etats-Unis entraînent l’UE dans la tension dans l’océan Pacifique, malgré l’annulation du contrat du siècle de la construction des sous-marins français pour le compte de l’Australie, récupérée par les USA.
L’UE, dans sa diversité, a tout perdu et s’est fragilisée dans tous ses compartiments (politique, diplomatique, stratégique, défense, économique, financier), contrairement aux Etats-Unis qui ont renforcé leur complexe militaro-industriel qui a rempli son carnet de commandes pour les dix prochaines années, en direction de son propre pays, pour les pays membres de l’UE, pour ses alliés asiatiques (Japon, Taïwan, notamment) et pour le reste des pays du monde qui s’approvisionnent auprès d’eux en armement, notamment les pays du Golfe et le Maroc.
Au niveau énergétique, les USA vont remplacer la Russie pour approvisionner l’UE en gaz (quelque 150 milliards de mètres cubes, notamment en gaz de schiste) et de pétrole, à des prix supérieurs au niveau actuel du marché, ce qui va booster les entreprises américaines du secteur, avec des contrats à moyen et long termes. Enfin, les céréales américaines (blé, maïs, orge et avoine…) vont pouvoir se placer, en force, sur le marché mondial, pour remplacer les céréales russes et ukrainiennes. Finalement, les Etats-Unis ont réussi à tirer un maximum de profits dans ce conflit et rester maître du jeu pour mettre en œuvre la «paix juste» que vient de déclarer J. Biden, qui a ébranlé V. Zelenski lors de la visite à Washington.
La Russie, quant à elle, poursuit et consolide sa position sur le terrain en récupérant les territoires qu’elle considère lui appartenir historiquement et pour protéger les populations russophones bombardées depuis plus de neuf ans. La situation militaire donne des résultats positifs aux armées russes, ce qui obligent les USA et ses alliés occidentaux à livrer des armements de plus en plus sophistiqués (chars, artillerie, missiles, avions éventuellement) à l’armée ukrainienne, de peur qu’elle ne s’effondre dès le printemps prochain.
Dans ce bras de fer, ni les Russes ni les Américains ne veulent perdre la face, ce qui signifie que la négociation de la «paix juste» va porter sur la base des acquis sur le terrain. Si la Crimée n’est pas négociable pour la Russie, les territoires du Donbass et de Lougansk le sont et peuvent faire l’objet de tractations diplomatiques, comme un statut de territoires autonomes ou de territoires sous contrôle onusien… L’intégration de la nouvelle Ukraine «rectifiée» à l’UE n’est pas envisageable sur les 20 prochaines années et son appartenance à l’OTAN est exclue pour la Russie. C’est donc dire que les négociations russo-américaines sur l’Ukraine seront longues et difficiles, de manière à jeter les bases d’une «stabilisation» dans la région (le long du fleuve Dniepr), une espèce de «finlandisation» bis, sans paraître avoir perdu la face. Bien entendu, comme c’est toujours le cas dans l’histoire des conflits militaires, il ne faut jamais venir à la table des négociations dans un rapport de force défavorable !