Parfois accusée d’être un «profiteur de guerre» du fait de l’envolée de ses revenus gaziers, la Norvège envisage de redistribuer une partie de cette manne à l’Ukraine et à d’autres pays victimes des répercussions du conflit. Soixante-quinze milliards de couronnes, soit 6,8 milliards d’euros : c’est l’enveloppe que le riche pays scandinave compte consacrer à l’Ukraine sur cinq ans (2023-2027), selon une proposition présentée hier par son gouvernement de centre gauche. «Nous proposons que la Norvège s’engage à donner une contribution durable à l’Ukraine, sur plusieurs années», a déclaré le Premier ministre, Jonas Gahr Støre, lors d’une conférence de presse. «Cela veut dire que l’Ukraine sait qu’on se tient à ses côtés (...) et que la Russie doit entendre que les pays libres et démocratiques soutiennent l’Ukraine», a-t-il affirmé.
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a exprimé sa gratitude sur Twitter, saluant «une contribution significative à notre future victoire sur l’agresseur et à une reconstruction d’après-guerre réussie».
D’un montant annuel de 15 milliards de couronnes, l’enveloppe est censée couvrir l’aide humanitaire et militaire et sera répartie à égalité entre ces deux finalités cette année. Elle est encore susceptible d’être modifiée au Parlement où le gouvernement, minoritaire, a besoin de l’appui d’autres formations pour faire adopter ses propositions. Plusieurs se sont déjà montrées positives. M. Støre a aussi proposé hier d’augmenter de 5 milliards de couronnes l’aide «aux pays du sud qui sont le plus affectés par la guerre en Ukraine», notamment à cause du renchérissement des denrées alimentaires. Son gouvernement a été vivement critiqué pour avoir réduit la part consacrée à l’aide au développement dans son projet de budget 2023, à 0,75% du revenu national brut, soit sous l’objectif national habituel de 1%, alors même que le pays continue de s’enrichir sous l’effet de la guerre.
Ayant supplanté la Russie en tant que principal fournisseur de gaz à l’Europe l’an dernier, la Norvège a, au passage, bénéficié de l’envolée des cours qui ont atteint des niveaux record en août, à plus de 340 euros le MWh. Selon ses propres calculs, l’Etat norvégien a encaissé plus de 1000 milliards de couronnes de revenus pétro-gaziers de plus que prévu l’an dernier, et il pourrait bien dégager cette année un excédent budgétaire record (1127 milliards) qui ira abonder l’énorme fonds souverain du pays, déjà le plus gros au monde.
Plan Nansen
Ces rentrées exceptionnelles dans les caisses d’un pays figurant parmi les plus riches de la planète ont déclenché, à l’intérieur et hors des frontières, des appels en faveur d’une redistribution au moins partielle de cette manne. «Nos énormes bénéfices sont aussi les pertes énormes d’autrui», ont écrit deux économistes norvégiens, Kalle Moene et Ottar Maestad, dans une chronique en novembre. «Nous sommes devenus, malgré nous, une sorte de profiteurs de guerre passifs.» «Les revenus supplémentaires d’au moins 1000 milliards de couronnes que la Norvège empoche à cause de la guerre ne sont, d’un point de vue moral, pas à nous», soulignaient-il. Comme eux, des voix plaident pour que cet argent abonde un fonds international destiné à venir en aide aux victimes du conflit partout dans le monde, puis, l’heure venue, à la reconstruction de l’Ukraine. De son côté, M. Støre balaie l’étiquette de «profiteur de guerre». «C’est une notion que je rejette catégoriquement», disait-il la semaine dernière dans un entretien avec l’AFP. «Depuis 50 ans, la Norvège explore, à ses propres risques, et produit des ressources énergétiques, pétrole et gaz. Ce n’est pas la Norvège qui en fixe les prix», avait-il ajouté. La contribution norvégienne à Kiev paraissait jusqu’à présent modeste : Oslo dit avoir consacré 10,7 milliards de couronnes (985 millions d’euros) à l’assistance civile et militaire en 2022. Au regard du PIB, cet effort place la Norvège au 15e rang dans le classement établi par le Kiel Institute for the World economy. Le plan d’aide présenté hier a été baptisé «Fridtjof Nansen», du nom du célèbre explorateur polaire et diplomate norvégien (1861-1930) qui pilota, au début des années 1920, l’assistance humanitaire à l’URSS en proie à une famine dévastatrice, ce qui, avec son travail pour les déplacés de la Première Guerre mondiale, lui valut le Nobel de la paix en 1922.