Les experts de la question migratoire ainsi que de nombreux gouvernements africains continuent à plaider pour des politiques et des réseaux de solidarité internationaux qui privilégient des solutions économiques à même de fixer les populations les plus vulnérables, en Afrique subsaharienne notamment.
La pression ne baisse pas sur le gouvernement italien, confronté à des vagues de migrants clandestins sans précédent depuis le début de l’année, et il tente tout pour en transférer une grande partie sur les gouvernements du pourtour de la Méditerranée.
A L’initiative de la première ministre, Giorgia Meloni, une conférence internationale sur les migrations s’est ouverte hier à Rome, en présence de dirigeants de plusieurs pays de la région et au-delà, de l’Union européenne et des institutions financières internationales.
A voir la liste des participants à la rencontre, G. Meloni semble avoir réussi le pari de conférer à la rencontre une dimension qui change de l’unilatéralisme qui l’a vu traiter jusqu’ici avec notamment la Tunisie, la Libye ou l’Egypte.
La Tunisie, pays à partir duquel déferle l’essentiel des flux migratoires qui ciblent les côtes italiennes en provenance de l’Afrique du Nord, depuis le début de l’année, est représentée par le premier personnage de l’Etat, le président Kaïs Saïed.
L’homme, confronté à une situation économique interne qui lui laisse peu de choix sur la question migratoire, s’est pratiquement aligné depuis des mois sur les thèses du gouvernement d’extrême droite italien, jusqu’à surprendre son monde. Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, président de la Mauritanie, fait le déplacement également, ainsi que celui des Emirats arabes unis, Mohammed ben Zayed.
Les Emirats, peu concernés théoriquement par la crise en Méditerranée, y participent probablement pour une éventuelle coopération sur les aspects financiers que ne manquera pas de dégager la conférence.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel, ainsi que le haut-commissaire du HCR, Filippo Grandi, sont également de la partie. Une présence qui atténue un tant soit peu le peu d’engagement de nombreux gouvernements européens aux côtés du gouvernement italien sur le sujet. La France et l’Espagne, pourtant concernées directement par la problématique, n’ont pas jugé utile d’y envoyer des délégués.
Les contentieux bilatéraux, notamment avec la France, donnent un air de boycott à ces défections. Malte, l’Egypte, la Libye, l’Ethiopie, la Jordanie, le Niger, le Liban sont également représentés par leurs chefs de gouvernement. Représentant le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, le Premier ministre, Aimene Benabderrahmane, prend part à la conférence pour l’Algérie.
Meloni joue son va-tout
La Première ministre italienne a, dès l’ouverture de la conférence, définit les axes de ce qu’elle appelle «le Processus de Rome». «Lutte contre l’immigration illégale, gestion des flux légaux d’immigration, soutien aux réfugiés, et surtout, la chose la plus importante, sinon tout ce que nous ferons sera insuffisant, une large coopération pour soutenir le développement de l’Afrique, et particulièrement des pays de provenance» des migrants, a-t-elle plaidé.
Deux fronts d’action en somme, qui, sur papier en tout cas, tranchent avec la vision «sécuritaire», jusqu’ici déployée. Elu sur un programme qui promettait de «stopper le débarquements de migrants» en Italie, il y a une année, le gouvernement Meloni ne pouvait pas vivre pire scénario en termes de bilan d’actions. L’année 2023, depuis son début, apporte un discrédit sans appel à ses engagements électoraux.
Près de 80 000 migrants ont pu traverser la Méditerranée depuis janvier dernier et parvenir clandestinement sur les côtes italiennes, selon les autorités de la péninsule, contre 33 000 à la même période l’année dernière. Les instances de l’ONU confirment indirectement ces chiffres, en comptabilisant près de 100 000 arrivées clandestines en Europe via la Méditerranée, les côtes italiennes étant largement celles qui reçoivent les plus gros des flux, depuis les côtes tunisiennes et libyennes.
A la fin de l’année, des records seront fort probablement battus en termes de nombres de migrants réussissant à joindre les côtes européennes de la Méditerranée centrale, avec, malheureusement, leur sinistre et tragique corollaire de nombres de disparus et de morts. Giorgia Meloni a pourtant tout fait, y compris multiplier les entorses aux principes humanitaires, pour dissuader les tentatives de migration et les militants qui font de l’assistance.
Des ONG engageant des navires de sauvetage en Méditerranée, ont régulièrement dénoncé les entraves du gouvernement italien à leurs actions sur le terrain. Le 28 décembre 2022, le gouvernement a ainsi imposé un «code de conduite» aux associations humanitaires en action sur les couloirs de migration, et leur imposant entre autres, de «livrer», les migrants secourus.
Sea-Watch, l’une d’elles, accuse : «La Méditerranée n’est pas seulement un cimetière, c’est une scène de crime», et estime que «l’UE et ses Etats membres continuent de durcir leurs politiques mortelles d’isolement».
Le Pape himself, célébrant une cérémonie religieuse hier au Vatican, faisant écho à ces dénonciations, a appelé les gouvernements européens à «porter secours et assistances» aux migrants traversant la Méditerranée, de même qu’il s’est scandalisé de «l’abandon de migrants» dans les déserts du sud de la Tunisie et de la Libye. Le gouvernement italien récuse régulièrement, quant à lui, les accusations, mais il n’y a pas que les ONG qui trouvent à redire sur ses méthodes.
Une des brouilles les plus spectaculaires avec le gouvernement français, est née du refus des autorités italiennes de laisser accoster un de ses navires sur ses côtes. L’Italie pour sa part se plaint régulièrement de la «démission» et du manque de solidarité de ses partenaires et voisins européens.
Quel partenariat avec l’Afrique du Nord ?
Depuis le début de l’année, Meloni et son gouvernement se sont tournés vers les pays de l’Afrique du Nord pour tenter de freiner les flux. Ils ont trouvé en Kaïs Saïed, le président tunisien, un interlocuteur attentif et acquis à l'idée de l’action radicale. La Tunisie, qui fournit le gros des contingents de migrants qui débarquent en Italie, est elle-même confrontée à de sévères contraintes économiques qui aggravent une situation politique délicate en interne.
A Son corps défendant, le pays est devenu le couloir de passage «passif» des flux en provenance du sud du Sahara. L’Union européenne et Rome sont parvenus à signer la semaine dernière, avec le président tunisien, un protocole d’accord qui dégage rapidement une aide de 105 millions d’euros, au chapitre de la lutte contre les départs de bateaux de migrants et la répression des réseaux de passeurs.
L’accord s’étend également au sujet des retours de Tunisiens en situation irrégulière dans l’espace UE, ainsi que les retours depuis la Tunisie vers leurs pays d’origine de migrants subsahariens. «Des retours» auxquels la Tunisie procède déjà et qu’elle est désormais appelée à intensifier avec les nouveaux financements.
C’est un vieux désir européen que celui de faire jouer aux pays d’Afrique du Nord le rôle de «postes avancés» dans la lutte contre les flux migratoires subsahariens, qui semble se réaliser. «Ce partenariat avec la Tunisie doit être un modèle pour construire de nouvelles relations avec nos voisins d’Afrique du Nord», avait salué Giorgia Meloni à Tunis, où elle s’était rendue accompagnée de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour la signature de l’accord.
L’idée mi- assumée mi-cachée est donc d’élargir l’accord à d’autres pays du sud de la Méditerranée, concernés par la «crise migratoire». Selon la presse spécialisée, des discussions sont déjà entamées entre l’UE, l’Egypte et le Maroc pour nouer des partenariats sur le modèle de l’accord passé avec la Tunisie.
En attendant les conclusions et les résolutions de la conférence de Rome, les experts de la question migratoire ainsi que de nombreux gouvernements africains continuent de plaider pour des politiques et des réseaux de solidarité internationaux qui privilégient des solutions économiques à même de fixer les populations les plus vulnérables, en Afrique subsaharienne notamment.
Et pas seulement des financements pour des opérations de refoulement de migrants et des campagnes de lutte contre les réseaux de passeurs.