L’Algérie doit transformer son économie. Le Président Tebboune, qui vient d’être réélu pour un second mandat, a accompli des réalisations importantes dans les domaines de l’infrastructure et du logement. Mais de profonds défis se dressent sur le chemin de la libération de l’énorme potentiel économique de l’Algérie. La transformation économique nécessite bien plus que de se baser sur une liste unique de réformes structurelles.
L’Algérie est essentiellement coincée entre une économie administrée et une économie de marché, reflétant les tensions non résolues entre l’ambition du pays d’atteindre la souveraineté économique tout en tirant le meilleur parti d’une économie plus ouverte. Avec l’évolution rapide de l’environnement économique, technologique et géopolitique mondial, le moment est venu de tourner la page et de résoudre ces tensions une fois pour toutes.
Pour ce faire, l’Algérie doit se doter d’une nouvelle structure de gouvernance économique capable de naviguer dans ce nouvel environnement et de trouver le bon équilibre entre souveraineté économique et ouverture. En d’autres termes, l’Algérie pourrait parvenir à une forme hybride de capitalisme d’Etat dans des secteurs -clés combinée à d’autres secteurs largement ouverts à l’investissement direct étranger pour favoriser le transfert de technologie à l’instar de la Chine.
Pour le faire de manière crédible et décisive, l’Algérie pourrait s’articuler autour de trois piliers qui sous-tendraient la transformation de l’économie algérienne. Tout d’abord, l’Algérie doit articuler une vision de sa transformation avec des indicateurs-clés de performance (KPI) pour évaluer les progrès par rapport aux objectifs fixés, comme dans le plan saoudien Vision 2030.
L’horizon de cette vision ne devrait pas être dans un avenir trop lointain, idéalement cinq ans. Cette vision de l’Algérie à l’horizon 2030 pourrait utilement établir une feuille de route pour les réformes macroéconomiques et structurelles dans des secteurs-clés tels que l’énergie et les mines, l’agriculture, le numérique et la finance. L’articulation de cette vision est l’occasion de construire un groupe dynamique et stable à l’appui de réformes plus profondes et plus inclusives.
Avec le soutien d’un large électorat, les dirigeants politiques pourraient alors initier le changement. Mais la transformation ne peut pas se faire de manière incrémentielle ou d’un projet à la fois. L’Algérie a besoin d’une réforme en profondeur pour rééquilibrer le rôle de l’Etat et de ses entreprises et travailleurs protégés avec celui d’un marché largement informel. L’introduction de nouvelles idées et de nouveaux modèles est le type d’évolution dont l’Algérie a besoin avant de pouvoir entreprendre la tâche difficile de se transformer. Plus important encore, l’Algérie a besoin d’un espace de débat libre et indépendant sur la politique économique, y compris des groupes de réflexion qui sont trop peu nombreux. Un nouvel écosystème pour la création et la diffusion d’idées fournirait à son tour aux journalistes et à d’autres citoyens les informations dont ils ont besoin pour demander des comptes aux gouvernements. Ce dont l’Algérie a le plus besoin, c’est plus de débat et de transparence.
Deuxièmement, l’Algérie devrait envisager la création d’un fonds souverain pour gérer son allocation stratégique dans le reste de l’économie mondiale.
A mesure que l’Algérie s’engage dans une discipline budgétaire et une transparence accrue, elle accumulera davantage d’épargne dans ses fonds souverains. A son tour, elle investirait cette épargne dans des actifs d’importance stratégique pour le pays. En fin de compte, les fonds souverains pourraient aider non seulement à obtenir des rendements relativement élevés, mais aussi à transférer des technologies ou simplement à acquérir une connaissance plus approfondie des industries internationales et des marchés financiers.
A ce jour, l’Algérie n’a pratiquement pas de dette extérieure. C’est le résultat d’une politique vieille de plus de deux décennies visant à limiter la dépendance vis-à-vis des marchés de capitaux internationaux. L’Algérie a raté l’occasion de construire un tel fonds souverain dans les années 2000, lorsque les prix de l’énergie ont atteint des niveaux record en raison de l’augmentation rapide de la demande chinoise.
Alors que les prix du pétrole ont commencé à baisser en raison du ralentissement de la demande chinoise, l’Algérie a accumulé 67 milliards de dollars de réserves internationales. Le coût d’opportunité de la détention d’un niveau de réserves aussi élevé par rapport à la taille de son économie est élevé, non seulement en termes de rendements différentiels, mais aussi en termes d’externalités de l’engagement de l’Algérie dans l’économie mondiale.
Troisièmement, l’Algérie devrait mettre en place des zones économiques spéciales (ZES) pour attirer plus immédiatement les investisseurs dont elle a tant besoin et créer de bons emplois.
L’Algérie est connue pour la complexité de sa bureaucratie. La vision articulerait des réformes visant à simplifier l’investissement dans le pays. Mais changer cet environnement de manière holistique prendra du temps, et l’Algérie est en concurrence avec d’autres économies désireuses de le faire. Pour relancer l’investissement, en particulier dans des secteurs tels que le tourisme, l’industrie manufacturière, le numérique et le commerce en dehors des secteurs tels que l’énergie où l’Algérie a fait ses preuves, il pourrait être utile d’utiliser les ZES pour montrer cette ouverture renouvelée aux investisseurs étrangers.
Compte tenu de l’énorme potentiel de l’Algérie, la logistique et le tourisme sont des secteurs particulièrement attractifs dans la mesure où ils créeraient de nombreux emplois. L’Algérie a également un rôle important à jouer en tant que porte d’entrée vers le reste de l’Afrique. Un important projet de gazoduc reliant l’Algérie et le Nigeria à l’Europe pourrait contribuer à renforcer le rôle de l’Algérie en tant que plaque tournante énergétique importante mais aussi en tant que puissance agricole avec l’émergence de l’agriculture saharienne.
En somme, l’Algérie est à la croisée des chemins. Les aspirations de la jeunesse algérienne peuvent être satisfaites par une vision ambitieuse et crédible de la transformation économique. L’Algérie gagnerait à mettre en place de nouveaux piliers de la gouvernance économique comme voie vers la prospérité.
Par le Pr Rabah Arezki , Pr à Harvard et directeur recherche
ex. Banque mondiale