Commandant Adel Sekhaf. chef de la section Trafic de stupéfiants de la division judiciaire à la Gendarmerie nationale : «Les saisies de stupéfiants ont augmenté de 256% de 2021 à 2022»

04/04/2023 mis à jour: 07:36
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Commandant Adel Sekhaf

Les quantités de psychotropes saisies en 2022 ont connu une hausse considérable, passant de 2 millions de comprimés en 2021 à 7, 8 millions en 2022, soit une augmentation de 256% en une seule année. C’est ce qu’affirme le commandant Adel Sekhaf, chef de la section Trafic de stupéfiants à la division de la police judiciaire au commandement de la Gendarmerie nationale. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il explique que ces saisies concernent principalement la Prégabaline, venue de Libye et à un degré moindre du Niger.

 

-Entretien réalisé par Salima Tlemçani

 

 

-L’Algérie fait face au trafic de cannabis dont le volume des saisies a baissé au cours de ces dernières années, mais aussi au trafic de stupéfiants qui connaît une envolée. Qu’en pensez-vous ?
 

Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir au contexte géopolitique dans lequel il évolue. L’Algérie se trouve sur la rive sud de la Méditerranée et au nord de l’Afrique. Elle partage sa frontière ouest avec le Maroc, premier producteur du kif traité, dont une quantité annuelle de 1000 tonnes est destinée à l’Europe. L’Algérie est pour lui un passage obligatoire pour faire arriver sa marchandise à sa destination finale. Les routes de ces cargaisons sont bien établies et les barons sont dotés de moyens colossaux. Nos frontières du Sud sont partagées avec les pays subsahariens, où arrive la cocaïne produite en Amérique latine et où activent les groupes terroristes. L’Etat a mobilisé des moyens colossaux pour empêcher toute incursion sur le territoire national. 

A l’est du pays, nous avons près d’un millier de kilomètres qui nous relient à la Libye, devenue, depuis quelques années, la porte d’entrée de quantités importantes de psychotropes, principalement la Prégabaline, connue sous le nom de «Saroukh». A titre indicatif, en 2022, nos unités ont saisi 7,8 millions de capsules, soit 256% de plus que la quantité récupérée en 2021. Ces comprimés sont prisés pour leur prix, leur goût et leur effet immédiat. Cette tendance haussière a commencé à apparaître dès 2015. Mais à partir de 2019, la courbe est devenue ascendante. Nous sommes passés de 4438 comprimés en 2019 à 1,8 millions en 2020, 2 millions en 2021, pour dépasser la barre des 7 millions de comprimés en 2022.
 

-Comment expliquez-vous cette tendance haussière des psychotropes malgré les moyens mis en place dans la lutte ?
 

La Libye est devenue une plaque tournante du trafic des psychotropes, importés par des laboratoires de l’Inde, premier producteur mondial du générique. Il y a quelques laboratoires clandestins dans certains pays comme le Niger, ou encore au Nigeria, et dans certains Etats de l’Afrique de l’Ouest. Mais les quantités produites sont minimes par rapport à celles qui arrivent en Libye. Il faut savoir que ce trafic cible l’Algérie, mais aussi la Tunisie et l’Egypte, où le volume des saisies est très important. La destination finale de ces produits est l’Europe, via la Méditerranée. Il en est de même pour la cocaïne latino-américaine qui transite par les pays de l’Afrique de l’Ouest, puis remonte vers les ports pour son acheminement vers l’espace européen.
 

-Qui est à la tête de ces réseaux de trafiquants ?
 

Pour des pays comme la Belgique ou les Pays-Bas, c’est l’organisation marocaine, plus connues sous le nom de Mocro Maffia, qui assure le transport et la distribution de la cocaïne. En début de cette année, un de ses chefs (maroco-néerlandais) et 13 de ses membres étaient jugées, à Amsterdam aux Pays-Bas, pour trafic de cocaïne, mais aussi pour 13 assassinats et tentatives d’assassinat. C’est pour vous dire que ces organisations sont devenues de véritables cartels de drogue capables du pire. 

Nos enquêtes sont toujours en cours, puisque des commissions rogatoires ont été délivrées pour avoir plus d’information auprès des pays concernés. La prolifération des psychotropes est en train de prendre de l’ampleur et nous savons que les réseaux ont des ramifications à l’étranger. Un des barons, qui a importé de la Prégabaline fabriquée dans un laboratoire clandestin au Niger, est un ressortissant algérien, qui vit actuellement en fuite en Europe.
 

-Peut-on faire un lien entre le trafic de psychotropes, sa consommation et la violence ?

Le lien entre la violence et les psychotropes existe bel et bien. Ces produits altèrent dangereusement la santé des consommateurs, inhibe toute capacité de discernement et les empêche de contrôler leurs actes. Raison pour laquelle, les autorités ont fait de la lutte contre ce trafic une priorité pour éviter que l’Algérie ne passe de zone de transit à un marché de consommation. L’Etat a mis en place une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la drogue 2022-2024, sous l’égide de l’ONLCDT (Office national de la lutte contre la drogue et la toxicomanie), avec deux principaux axes. 

D’abord la limitation de l’offre à travers le renforcement du contrôle sur les axes routiers par les gardes-frontières et les unités de sécurité routière afin de stopper les quantités qui échappent au dispositif sécuritaire, mais aussi par la police judiciaire qui travaille à remonter les réseaux pour récupérer les cargaisons avant qu’elles n’arrivent à destination et d’identifier les dealers et les barons. 

D’autres éléments font dans la prévention avec des opérations de contrôle permanent visant les points connus ou suspectés d’être des lieux fréquentés par des dealers. Le second axe concerne la limitation de la demande par des actions impliquant directement la société civile, notamment les associations agissant dans le domaine, les universitaires, les établissements scolaires et de formation professionnelle, les mosquées et surtout les comités de quartier.

 Il est question de faire des campagnes tout au long de l’année pour montrer la dangerosité du fléau, afin d’éviter aux jeunes de faire le premier pas dans ce monde, et briser ainsi la chaîne. Il y a aussi le volet coopération nationale avec les autres services de lutte et de prévention, régionale et internationale.

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