A l’occasion de la projection de quatre courts métrages dans le cadre de la septième saison de «Quartiers lointains» abritée par l’Institut français d’Algérie à Constantine, mardi 15 octobre, la critique de cinéma Claire Diao a bien voulu s’exprimer à El Watan en marge de la rencontre, pour aborder la montée en puissance des productions de courts métrages.
Ce phénomène observé essentiellement sur les réseaux sociaux, ces dernières années, témoigne d’une dynamique croissante, où des plateformes sont consacrées à la diffusion de ces œuvres, véhiculant des messages et des morales variés. L’essor des courts métrages attire de plus en plus l’attention des cinéphiles, et particulièrement les internautes.
Comment évaluez-vous l’évolution du court métrage ?
C’est intéressant ! Depuis la naissance du cinéma, le court métrage a toujours été à l’origine de nombreuses œuvres, ne serait-ce que pour des raisons financières. Ce format court est en effet moins coûteux à produire. A l’époque, la pellicule représentait un investissement significatif en termes d’achat et de développement. Aujourd’hui, nous sommes dans une ère numérique où les coûts de production sont considérablement réduits, permettant ainsi aux réalisateurs de créer de manière plus prolifique. A l’heure actuelle, avec la consommation massive d’images sur les réseaux sociaux, les spectateurs montrent de moins en moins de patience pour regarder des films longs. Cette évolution contribue à la visibilité accrue des formats courts, notamment à travers l’émergence de séries. Si vous l’avez remarqué, on parle désormais de web-séries et de séries au format court, avec des épisodes de quelques minutes. Cela explique, à mon sens, la prolifération des courts métrages. Ce genre a toujours existé, mais l’avènement du média digital et des réseaux sociaux le rend encore plus privilégié.
Peut-on affirmer que le court métrage représente l’avenir de demain ?
Que le court métrage soit l’avenir de demain ? Je soutiendrai plutôt qu’il représente l’avenir de toujours. Comme je l’ai déjà mentionné, c’est avec le court métrage que ça a commencé et a toujours été présent. Que ce soit à l’époque de la pellicule ou aujourd’hui avec le numérique, ce format continue d’exister.
Pour un spectateur extérieur au domaine du cinéma, la visibilité du court métrage était-elle moins évidente il y a quelques années ?
Peut-être que je suis trop impliquée pour avoir la sensation que c’est nouveau, mais il est vrai que, traditionnellement, en dehors des circuits de festivals, les spectateurs étaient davantage exposés aux longs métrages. On allait au cinéma pour voir des films longs, et les chaînes de télévision achètent ce format. Toutefois, il existe un véritable écosystème autour du court métrage et des festivals dédiés. Certaines chaînes de télévision achètent des courts aussi, qui font des packages, souvent très tard le soir pour les diffuser. De plus, des plateformes VOD se consacrent désormais aux courts métrages. Cela dit, ce format a toujours sa place, car des réseaux sociaux comme Snapchat, TikTok ou même Instagram imposent des durées limitées, ce qui favorise la création de contenus courts.
Est-ce un travail de génie de condenser des dialogues en un échange de regards, comme dans le film «Bulles d’air» ou l’animation «On the Surface», riches en messages ?
En fait, la force du court métrage réside dans sa capacité à être à la fois concis et percutant. L’histoire doit être racontée, que ce soit en deux minutes ou en vingt. Il est crucial que le développement des personnages soit clair et qu’une chute soit présente. On n’a jamais dit que c’était facile.
Quelles sont les contraintes auxquelles se heurtent la réalisation et la production d’un court métrage ?
Même pour un court métrage, la réalisation peut prendre beaucoup de temps. Dans une logique de financement, il est impératif d’écrire plusieurs versions de scénarios, d’élaborer des dialogues, puis de chercher des financements et un producteur. Le producteur, quant à lui, doit également trouver des sources de financement. Ensuite, il est essentiel de sélectionner les bons acteurs, ce qui implique un casting et être satisfait de ces acteurs qui vont bien incarner le film, ainsi que de réunir des techniciens compétents pour garantir la bonne qualité technique du film. La post-production, incluant le montage, le mixage audio et l’étalonnage des couleurs, requiert aussi une équipe qualifiée. En somme, même pour un court métrage, de nombreuses personnes sont mobilisées, sauf si le projet est réalisé de manière indépendante. Par ailleurs, il est essentiel d’établir de bons circuits de diffusion pour éviter que le film ne reste inexploré sur un ordinateur ou dans un tiroir. L’objectif est que le film soit vu, afin de pouvoir échanger avec les spectateurs. C’est pourquoi, j’ai créé une société de distribution qui se consacre à la diffusion de films d’Afrique et de la diaspora, qu’il s’agisse de court, moyen ou long métrages. Cette problématique touche l’ensemble de l’industrie, pas seulement les réalisateurs de courts métrages. Toutefois, il est vrai que les courts métrages, une fois terminés, rencontrent davantage de difficultés pour générer des revenus et se commercialiser. C’est là que la distribution devient intéressante. Sur le plan panafricain, cela demeure inédit, car souvent les créateurs estiment qu’une fois leur film terminé, il n’y a plus qu’à attendre les financements, les sélections en festivals et les prix, puis hop ! Repartir à zéro pour le prochain projet. L’enjeu est de recréer une chaîne cinématographique qui intègre le maillon de la distribution, souvent manquant dans nos pays, afin de générer des recettes permettant aux auteurs de produire de nouveaux films.
Qu’est-ce que vous recommandez pour qu’un jeune producteur ou un cinéaste se lance dans ce créneau de court métrage ?
Je conseillerai de ne pas lâcher quand on a envie de faire des films, il faut s’accrocher. C’est vraiment de la persévérance et de l’obstination. Il y a beaucoup de contraintes et il faut aller droit au but. Sauter par-dessus, contourner. Enfin, j’ai écrit tout un livre sur des cinéastes qui ont fait ça, qui sont rentrés par la fenêtre, par la cheminée, par le garage, dans une industrie qui ne voulait pas forcément d’eux ou en tous cas qui ne les calculait pas. Et certains, aujourd’hui, pèsent même économiquement et ont des financements suffisants pour faire les films qu’ils ont envie de faire, ce qui n’est pas le cas de tous les cinéastes.
C’est, on va dire, le rêve absolu pour chacun. Cela dit, il est essentiel de s’accrocher et de s’entourer des bonnes personnes. Ce n’est pas parce qu’une personne est un ami qu’elle est nécessairement la plus appropriée pour votre film. Choisissez soigneusement votre équipe et assurez-vous de maximiser la diffusion de vos créations, afin qu’elles ne restent pas dans votre coin et que les gens entendent parler de vous et de votre film. Il existe mille et une façons de se faire une place dans l’industrie du cinéma. Le court métrage n’est pas un sous-genre.
Propos recueillis par Yousra Salem