Chronique littéraire de Benaouda Lebdai / Lynda Chouiten ou l’âme en peine

05/07/2023 mis à jour: 00:52
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Universitaire convertie à l’écriture romanesque, Lynda Chouiten inclut à son actif d’écrivaine de la quatrième génération deux romans : Pôv cheveux publié chez El Kalima et Une valse chez Casbah Éditions ainsi qu’un recueil de nouvelles Des rêves à leur portée publié chez le même éditeur.

Elle vient d’écrire un opus de 89 pages intitulé J’ai connu les déserts et autres poèmes, édité en France aux éditions Constellations en 2003. Volontaire et talentueuse, Lynda Chouiten creuse son sillon dans le monde de l’édition, ce qui n’est pas toujours facile, comme tout écrivain qui débute en fait l’expérience. 

Suite à une prose bien maîtrisée dans ses deux romans qui attirèrent l’attention comme La valse qui reçut le Prix Assia Djebar en 2019. Ainsi, changer de genre littéraire, aller du roman vers la nouvelle pour s’essayer ensuite à la poésie risque d’être contre-productif pour la visibilité de l’écrivaine auprès de ses nouveaux lecteurs. J’ai connu les déserts... est un recueil de poèmes en vers libres. 

Composé de soixante poèmes, ce recueil donne vraiment à réfléchir, car il est traversé par une sorte de mélancolie avec un mélange de pessimisme et d’optimisme. Des sentiments exprimés qui révèlent beaucoup de l’autrice. Dans certains poèmes qui tutoient le politique, il me semble que la poétesse ne va pas toujours vers un engagement assumé. Mais cela relève de l’essence même de la poésie, celle d’être allusive par rapport à des questions sociologiques, voire politiques. 
 

Dans tous les cas, Lynda Chouiten excelle dans cet art de l’allusion, du non-dit, grâce à une grande maîtrise de la langue française, de ses subtilités et de l’art de la métaphore. 

En filigrane, ces soixante poèmes sont révélateurs de ce qui la préoccupe, l’angoisse, la hante même. Elle révèle aussi ce qui l’enchante. 

Mis à part quelques poèmes de composition où la poétesse joue avec les mots et les formules, voire avec des références littéraires, l’ensemble des poèmes prend sa source dans une grande sensibilité, avec pudeur et retenue, ce qui donne à mon sens plus de force à la poétique des vers publiés. Il est à noter que dans ce recueil, Lynda Chouiten rend hommage à la poétesse Amina Mekahli suite à son décès le 8 mai 2022. 

Dans ce poème en guise d’adieu les premiers vers décrivent parfaitement la poétesse disparue, sa sensibilité et sa personnalité hors du commun : 
 

«Ce sont ceux qui ne ressemblent qu’à eux-mêmes
Qui nous manquent le plus 
Quand vient l’heure d’emporter au loin
Son baluchon de souvenirs et de rêves.»
 

Une tristesse et un certain mal-être traversent ces poèmes. Cela transparaît dans les titres choisis qui en disent long sur l’état d’esprit de la poétesse comme J’ai traversé les désert, A l’abri du monde, Secrète, Tu aurais dû rester, Femme sans corps», Sans mémoire, Triste bonheur, Absence, Comment assassiner un poème, Noyade ou encore Un volcan s’est éteint. 

Force est de constater que ce sont des signaux révélateurs d’expériences de vie qui semblent difficiles dans J’ai connu les déserts avec leurs vastitudes arrogantes. 

Ce qui apparaît douloureux et qui s’exprime dans plusieurs poèmes, c’est le fait de se sentir étrangère dans un environnement qui change, comme dans ce vers qui dit une préoccupation latente et existentielle :
 

« Étrangère parmi vous, bien que vous soyez les miens
 

Comme je le suis ailleurs, sous des ciels moins bleus»
 

Et l’angoisse se lit aussi dans ce vers :
 

«Étrangère aussi dans ce corps que je ne reconnais plus
Et jusque dans ma tête capricieuse et changeante.
 

Il y pleut tout le temps sous les nuages secs de Tizi »…
La force des mots et leur agencement marquent un territoire d’une écriture révélatrice d’un état qui fait mal à l’âme, un terme qui revient comme un leitmotive.  Ainsi, la poétesse dit grâce à la force des mots :
«J’ai fui ta tyrannie mon âme :
 

Loin de ton visage qui sourit peu» …
 

Ou encore : «Mon âme se dévêt». Elle évoque cette âme qui demeure un rempart qui la sauve comme dans ce poème :
 

« Je vends un peu de mon âme 
Aux diables qui m’entourent …
Je vends un peu de mon âme
Et m’achète un semblant de vie » …
 

Par ailleurs, sans être ouvertement féministe Lynda Chouiten crie la défense des femmes dans Femme sans corps  en leur conseillant :
 

«Enduisez-vous de plomb
 

Et construisez-vous une identité solide»…
 

Dans cette thématique, elle révèle dans un autre poème ce mal-être : «Ma tour d’ivoire n’a d’ivoire que le nom.» Avec délicatesse, elle dit qu’elle étire sa «jeunesse à l’infini» face au temps qui passe si vite. 
 

A remarquer que Lynda Chouiten n’est pas sourde aux bruits du monde africain quand elle fait allusion à cette Méditerranée qui se transforme en cimetière : 
 

«Et ils s’en vont, l’un après l’autre, dans une file interminable
Dans des embarcations de fortune
Non pour saluer le monde
Mais pour étreindre la mort.»
 

Cela rappelle si fort le dernier tragique événement au large des côtes grecques. Je conclurai en affirmant que ce recueil de poésie relève de l’intime qui s’écrit avec une grande maîtrise du verbe et de la métaphore. «J’ai connu les déserts et autres poèmes» mérite le détour, car y sont livrés des poèmes à lire et à relire.
 

Benaouda Lebdai ,  Professeur des universités
 

 

 

 

 

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