Sur le «système de murailles médiévales de Chine et de Mongolie», plus connu sous le nom de Grande Muraille de Chine, une section diffère radicalement de sa voisine Mutianyu à l’est : la section de Jiankou (district de Huairou), considérée comme la plus sauvage et dangereuse du «mur de dix mille li» en raison de ses sentiers abrupts des montagnes de Pékin, endommagés par le passage des siècles.
Edifiées pendant la dynastie Ming (1368-1644), ses pierres sont depuis restées quelque peu à l’abandon, contrairement à celles de la plus touristique portion de Mutianyu, restaurées dans les années 1980. Une cinquième phase de restauration est toutefois en cours sur les portions de Jiankou. Dans ce cadre, des fouilles archéologiques s’y tiennent depuis plus de deux mois, et elles ont déjà donné lieu à d’importantes trouvailles, annoncées par l’Institut d’archéologie de l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS) dans un article du Beijing Daily du 3 juin 2024 : l’exhumation de trois éléments architecturaux, des «bêtes de faîte» de la dynastie Ming, parmi lesquelles la plus grande, représentant un grand dragon, témoigne de la structure raffinée des constructions de la Grande Muraille.
Zhi shou, décorations de toit impérial
C’est sur la tour de guet numéro 120 de la section de Jiankou que ces incroyables découvertes ont été réalisées. «En raison de son effondrement ancien et de peu de destructions humaines, ce site pourrait conserver de nombreuses précieuses reliques historiques», révélait Shang Heng, chercheur associé à l’Institut d’archéologie, au journaliste du Beijing Daily qui a grimpé un sentier à travers la forêt dense pour atteindre la construction haute.
En nettoyant progressivement les vestiges du mirador, accumulés après son effondrement, les archéologues ont finalement mis à jour des écailles, des griffes… Il s’agissait finalement des restes de «bêtes de faîte» ou «charmes de toit», des zhi shou. Souvent placées sur les toits des bâtiments, particulièrement aux extrémités des faîtages – partie supérieure des toits, où se rencontrent les deux pans inclinés – ces décorations traditionnelles se retrouvaient sur les bâtiments officiels impériaux (palais, bâtiments gouvernementaux et certains temples) chinois. Leurs toits étant généralement en croupe, avec de petits pignons, ces sculptures en céramique ou en pierre placées le long de la ligne de faîte étaient très visibles pour leurs anciens observateurs.
Les bêtes de faîte représentaient généralement des créatures mythologiques ou animales (dragons, lions, phénix et autres créatures fantastiques). Elles avaient à la fois une fonction esthétique et symbolique, protégeant les bâtiments contre les mauvais esprits. Elles sont ainsi observables dans la Cité interdite de Pékin, dans le palais d’Eté… mais aussi sur des structures fonctionnelles, telles que les portes et les casernes de la Grande Muraille de Chine. Du moins, pour celles qui ont été préservées.
Des «émojis» de la dynastie chinoise Ming
Shang Heng rappelle en effet que les tours de guet du «Dragon de pierre» comportaient autrefois des constructions, dont peu d’entre elles ont survécu. Malgré sa chute lors de l’effondrement de la tour, la «bête de faîte dragon» est pourtant restée intacte au fil des ans, ce qui est rare dans l’archéologie de la Grande Muraille, est-il noté. «On peut voir que ses écailles sont très délicates, et les détails de la bouche, des yeux, du nez sont bien gravés, ajoute le chercheur.
On peut imaginer que la tour de guet numéro 120 était très imposante et magnifiquement détaillée à l’époque Ming». Pour le journaliste chinois du Beijing Daily, la décoration exposée sur le site, accompagnée de ses deux semblables de différentes tailles, «(allie) majesté et mignonnerie, formant un ensemble d’émojis de la dynastie Ming». La plus petite, décrit-il, montre une rangée de petites dents, des yeux ronds et des cils ornés de motifs floraux. La moyenne, au «gros col de poils» autour du cou, tire la langue.
La plus grande aux longues pattes se tient quant à elle la tête haute, les coins de la bouche relevés. Selon les experts, durant la période de cette dernière dynastie chinoise, la position de la tour de guet 120 était relativement basse. Elle était probablement un point de défense clé sur la ligne de front. La finesse de ses éléments architecturaux, qui étaient «situés sur le faîte [de son] toit [...], aux deux extrémités de la faîtière principales» laissent dans tous les cas à penser que ses occupants – peut-être, un petit officier de garnison, suggèrent les archéologues – étaient d’un niveau social élevé.
Une première arme sur la section de Jiankou
Un autre artefact majeur a en outre été dévoilé dans cette guérite de Jiankou : un anneau semi-circulaire, suspendu au centre d’une «barre de fer» noir-rouge de la taille d’une paume. Il s’agit de la première arme découverte par l’archéologie de Jiankou, un sous-canon d’un «pierrier à boîte» – folangji en chinois. Shang Heng précise que ce dernier fut introduit en Chine depuis l’Europe à la période Jiajing (1522-1566) de la dynastie Ming. Il fut largement déployé sur la Grande Muraille sous les règnes des empereurs Longqing et Wanli, sous l’impulsion du célèbre général chinois Qi Jiguang. «En général, un canon principal de folangji est accompagné de huit sous-canons, éliminant le processus de nettoyage du canon et de rechargement des munitions des armes à feu traditionnelles, augmentant ainsi la cadence et la densité de tir», décrit l’expert.
Celui-ici décelé est obstrué par la rouille. Des échantillons ont été prélevés, dans l’espoir de révéler en laboratoire des traces éventuelles de poudre. Les membres de l’équipe de recherche ont enfin découvert divers objets en fer sur cette portion de Jiankou, dont des anneaux de porte, des cuillères et des pelles. «Bien que ces artefacts semblent modestes, ils nous permettent de percevoir la vie réelle des soldats de garnison», s’enthousiasment-ils.