Cheikh Omar Chaqleb, la voix d’or de Constantine

25/06/2023 mis à jour: 20:53
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Cheikh Omar Chaqleb à gauche, en compagnie de cheikh Kara-Baghli vers 1930

De son vrai nom Chennoufi Omar, il est considéré comme étant la voix principale qui accompagna la génération de chouyoukh des musiques citadines constantinoises à partir des années 1920 jusqu’à la moitié des années 1940. 

Malgré une courte carrière, sa précocité, sa mémoire prodigieuse et ses mélopées vocales marqueront profondément la pratique musicale dans la cité. Une part de mystère accompagne toujours cette illustre figure, qui reste, hélas, mal connue, et que nous essayerons de dissiper en retraçant son parcours à travers des témoignages et une étude discographique et poétique.   
 

Naissance d’un artiste 

Cheikh Omar Chaqleb est né le 16 décembre 1902 à Constantine. Fils de Mohamed Salah, riche propriétaire terrien à Bizot (actuellement commune de Didouche Mourad) et Mosly H., issue d’une famille originaire de Tunisie, bien implantée dans le champ citadin constantinois. La fille du cheikh, Chennoufi F., nous dira : «Mon père, fils unique, sera orphelin de père dès son enfance. C’est chez mon oncle maternel à Sidi Bouannaba qu’il grandira.» Cet environnement familial sera propice au développement de l’aura artistique du cheikh Omar, les Mosly étant connus pour leur implication dans la confrérie religieuse des Aïssaoua. 

D’abord, son grand-père, cheikh Sid-Ahmed Mosly dit Chaqleb (dont il héritera le surnom), était le chef spirituel de la tariqa au cours du XIXe siècle, connu notamment pour l’introduction des berouels dans la pratique musicale sacrée. Ensuite, son oncle, cheikh M’hammed Mosly, mkadem chez les Aïssaoua, fera office de figure paternelle et polisseur du talent de son neveu qui l’accompagnait, très jeune, dans les fêtes et représentations publiques faisant montrer un potentiel artistique très précoce. Il grandit au sein de la zaouia où il développe la faculté de l’apprentissage et de la mémoire -h’ifd- pour laquelle il sera cité en exemple. Il sera le premier de sa jeune promotion à réciter par cœur les 60 hizbs du coran. Il s’initie également aux pratiques musicales sacrées au sein de la confrérie en s’accompagnant d’instruments de percussion. 

Maîtrisant l’arabe, il excellait dans les berouels et animait par moments la confrérie des Aïssaoua en remplacement de son oncle. Lors d’un mariage dans la ville, il a interprété El Fiyachiya, composée de 36 parties avec ses istikhbarate, alors qu’il ne dépassait pas les 15 ans subjuguant ainsi la présence. 

Par sa précocité, sa mémoire exceptionnelle et son aura artistique, il suscite très vite l’intérêt des chouyoukh d’El Ala(1). La forte proximité des pratiques musicales profanes et sacrées aidant à cette transition naturelle.  
 

La consécration : Passage au répertoire profane

C’est vers 1920 que cheikh Omar Chaqleb intégrera le monde des musiques savantes et citadines aux côtés de cheikh Tahar Benkartoussa et cheikh Kara-Baghli Abderrahmane dit Baba-Abeid. Faisant ses armes à la percussion, il s’impose très vite à la derbouka qu’il maniait avec adresse et justesse rythmique dans la tradition de son grand-père. Accompagnant les orchestres les plus réputés de son époque tels que ceux de cheikh Abdelkrim Bestandji et cheikh Benelamri Mohamed-Larbi. Très vite, par la qualité de sa voix et de son interprétation, il s’impose en tant que chanteur principal de ces formations «consacrant définitivement l’autonomie du chanteur dans l’exercice légitime de la musique au même titre que la maîtrise technique d’un instrument ou d’un répertoire. 
 

Omar Chakleb, premier chanteur de la ville, fait figure de fondateur».(2) En compagnie de cheikh Benkartoussa à la flûte, cheikh Benmerabet au violon, cheikh Benelemouffok au luth, cheikh Louadfel au tar, cheikh Kara-Baghli, il sera sollicité pour des enregistrements radiophoniques, discographiques et l’animation des festivités locales et familiales. Chennoufi F. nous parlera de cette période : «En 1934, mon père a acheté une villa dans le quartier de Sidi Mabrouk. Etant le seul héritier des deux côtés de sa famille, il consacrait tout son temps pour sa passion. Notre maison ne désemplissait pas et était le lieu de rendez-vous réguliers de toute la sphère musicale constantinoise. 

Cheikh Toumi, Si Hsouna, Zouaoui et cheikh Hamou Fergani, Raymond et tous les autres étaient accueillis dans le plus grand des fastes». Ayant fait l’unanimité dans le champ musical aussi bien qu’au sein de la population locale où il était considéré comme un véritable prodige grâce notamment à ses enregistrements discographiques à succès, c’est tout naturellement qu’il fut choisi en 1934 pour être le premier chanteur à représenter Constantine à l’étranger lors de la première rencontre maghrébine de musique savante qui s’est déroulée à Fès au Maroc. Mohamed Hamma, artiste et formateur de malouf, nous dira à propos de cette aventure : «La délégation constantinoise a été choisie par Sidi Ahmed Bestandji. Elle comptait Omar Chaqleb en qualité de chanteur, Benmerabet, Bach Khaznadji, Toumi, Benkartoussa Tahar et Benelamri qui en était le chef. Cheikh Toumi assurait quant à lui la présentation théorique, historique et poétique du malouf constantinois».
 

Approche discographique et poétique 

On dit souvent de cheikh Omar Chaqleb que c’est un cheikh du mahdjouz. Ceci est vrai sachant la contribution qu’il apporta à ce genre musical étant même dépositaire d’un style propre à lui, mais ceci est en soi réducteur si on prend en compte l’implication du cheikh tant dans le malouf, le hawzi, le aroubi, le medh, le sacré et même la hadoua. Pour approfondir cela, on s’intéressera d’abord à son recueil de textes. (1) On y trouve 176 pièces poétiques qui ont été transcrites par le cheikh durant les années 1920. Toutes ces pièces sont des textes chantés dans le malouf ou les silsilats et organisées selon les noubas ou les modes musicaux qui leur sont attachés ce qui montre son fort intérêt pour le répertoire savant. 

Sur les passages radiophoniques du cheikh, qui ont majoritairement eu lieu durant les années 1940, c’est principalement le répertoire savant et le aroubi qui dominent. Quant à sa contribution discographique qui reste la plus immuable, on retrouve sa première trace en mai 1925, lors de la première grande série d’enregistrements constantinoise (on retrouve entre autres Jacob Nabet, Benzarti, Benkartoussa, Bentari, Benelamri…), dans un disque du label «Gramophone» où il interprète Ana Ladhi Bia Saken Sammim Fouadi suivi d’un mahdjouz Ach Halet Men Bikoum. 

Ensuite, c’est en compagnie de Benkartoussa et Baba-Abeid qu’on le retrouvera pour le compte de l’édition «Parlophone» où il enregistrera quatre disques, dont trois hawzi et un mahdjouz. La plus grande série d’enregistrements du cheikh aura lieu en 1938. Sur sollicitation de Bachetarzi Mahieddine, il fera le voyage à Alger pour graver sa voix sur 11 disques pour «Gramophone : La voix de son maître» variés entre quatre hawzi, trois mahdjouz, trois savant et un zendali.   
 

L’héritage du maître 

Malgré une carrière relativement courte, cheikh Omar Chaqleb aura assumé le rôle d’initiateur aux musiques profanes, notamment avec Brahim Amouchi, cheikh Maâmar Benrachi et Raymond Leyris. Des parts de mystères entourent encore sa vie faisant croître l’aura et les légendes autour de sa figure. Sa fille nous confirmera l’histoire de son empoisonnement qui lui fera perdre une partie de ses capacités vocales. La mort de son fils l’affecte profondément et le fait tomber dans une forme de dépression. Malgré sa maladie, il fera une dernière apparition à la radio le 25 février 19461 comme ultime preuve de son attachement inconditionnel pour la pratique musicale. Il succombera finalement à une cirrhose du foie le 31 mars de la même année. 

Omar Chennoufi aura été le vecteur principal de la rénovation des pratiques musicales citadines à Constantine. Créant une brèche qui sera suivie et perfectionnée, basée non plus sur une maîtrise instrumentale ou la justesse d’exécution, mais sur les capacités vocales du «chanteur». 

Sa virtuosité lyrique aura survécu au XXe siècle, notamment dans la pratique du mahdjouz jusqu’à devenir le style constantinois de référence. Malgré cette importance historique, il n’a eu droit qu’à quelques hommages tardifs, timides ou groupés. En attendant une considération qui convient à sa stature, dans chaque interprétation de mahjouz, c’est un peu un hommage à cheikh Omar Chaqleb qui est rendu.   

 

Par Ammar Bourghoud

Auteur d’articles sur l’histoire de la musique à Constantine   

 

 

Notes
1 : Mehdi Megnaoua. 2017. Fahrasat el malouf tome 1. Oum El Hawader. 
2 : Merdaci Abdelmadjid. 2008. Dictionnaire des musiques citadines constantinoises. Les Éditions du Champ Libre. 
 

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