Chahinez Ghellab. Fondatrice de la marque de cosmétique Biochamelle, la beauté naturelle venue du Sahara : «Je veux inculquer aux gens la culture du bio»

13/04/2024 mis à jour: 14:58
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Informaticienne, guérisseuse adepte de la médecine traditionnelle algérienne et chinoise, Chahinez Ghellab est désormais entrepreneuse dans la filière cosmétique biologique et naturelle dont une large gamme est confectionnée à base de produits du terroir saharien. 

Elle nous parle du beau défi qu’elle a décidé de relever : Réussir dans la cosmétique biologique en incluant une dimension culturelle saharienne inspirée de la routine cosmétique de la femme du ksar de Ouargla.  Ce défi difficile qui nécessite de s’approprier un patrimoine qui se meurt à la faveur de produits modernes plus commodes et bon marché.

 

Entretien réalisé par Houria Alioua

 

Avant de commencer, pourriez-vous vous présenter ?  


Chahinez Ghellab est une Algérienne, native de Constantine, mariée et mère de deux enfants, journaliste de terrain dans la presse écrite francophone et ancienne correspondante des journaux El Watan, Liberté, Reporters et actuellement journaliste dans le quotidien El Moudjahid. J’ai été classé 5e au niveau national dans la compétition Algeria startup challenge 2020. Entrepreneure dans la savonnerie et cosmétique naturelle et propriétaire de la marque Biochamelle et de la boutique «la grotte des bulles».  Savonnière depuis plus de 7 ans, j’ai créé la première savonnière artisanale dans le sud d’Algérie.


Quel a été le déclic pour entrer dans le monde de l’entrepreneuriat ?


La fonction salariale prend tout votre temps, que vous aimiez ou pas ce que vous faites. Le but final est d’obtenir à la fin de chaque mois, un salaire qui sera dépensé pour subvenir à vos besoins et rebelote. On travaille, on dépense le salaire et c’est ainsi que le temps passe jusqu’à la retraite.


Après avoir consacré toute votre vie à votre travail, et seulement votre travail, vous vous retrouvez après tant d’années de services sans but, plongée dans le vide et l’ennui. C’est une réalité que j’ai eu à constater et côtoyer et l’idée d’en subir les affres m’a toujours effrayée, car j’ai peur de tomber dans ce piège. Je me suis donc arrêtée un moment et fait un bilan de ma vie. 


Je me suis posée plein de questions : qu’est-ce que j’ai fait jusqu’ici, suis-je satisfaite, suis-je heureuse, est-ce mon travail est utile, quels sont mes points forts et mes points faibles, et surtout que souhaites vraiment vivre Chahinez, quels sont ses rêves, ses passions ses projets, etc.


J’avoue que ça m’a pris des années pour que je puisse me répondre à toutes ces questions et reprendre courage pour me lancer dans une autre activité qui m’est propre et dans un tout autre domaine afin de consacrer mes efforts et mon temps à quelque chose que j’aime et qui soit utile pour moi, pour l’humain et l’environnement.


Considérez-vous qu’il s’agisse d’une reconversion professionnelle ou d’une continuité ?

Pour être claire, ce n’est pas vraiment une reconversion parce que je suis toujours journaliste, mais il s’agit plutôt d’une activité parallèle que j’ai créée pour vivre ma passion et faire mes preuves dans un domaine que j’aime. J’aime le journalisme, mais rien ne m’oblige à rester dans la même sphère. J’estime que l’on peut toujours changer de cap, se fixer un nouvel objectif et se lancer dans une nouvelle aventure.

Quel objectif cherchiez-vous à atteindre ? 


L’idée était d’inculquer aux gens une culture d’utilisation des produits naturels sains et n’affectant pas l’environnement. Chaque année, les statistiques relatives au nombre de cas de cancer chez nous et de par le monde donne froid dans le dos en plus des bilans onusiens accablants sur l’action de l’humain sur la planète. Si chacun prend sa part de responsabilité, cela pourrait minimiser les dégâts et à travers la création d’une marque de cosmétique et de savonnerie biologique et naturelle, j’essaye de transmettre ce message tout en appelant à revisiter notre patrimoine pour y trouver des réponses à notre actualité et j’ai pu trouver des pépites croyez-moi. 
 

Parlez-nous de l’introduction des produits de terroir, du volet patrimoine et écologie de ton projet…

Un jour j’étais en famille à la ferme de mon beau-père qui se situe au niveau du village El bhour, à 45 km de Ouargla. La grand-mère de mon époux m’a montré une plante spontanée, qui pousse naturellement dans le désert et présente effectivement dans plusieurs coins sablonneux de la ferme. Elle m’a dit qu’elle utilisait cette plante pour traiter, les brûlures de peau et les blessures superficielles. Ça m’a étonné. Je me suis dit comment cette plante de rien du tout peut être bénéfique. Un an après, lors d’un court stage au laboratoire de recherche de génie des procédés à l’université de Ouargla, j’ai trouvé un échantillon de cette plante qui a fait l’objet de nombreuses recherches, notamment dans le traitement des blessures et la régulation de la glycémie. J’ai fait des recherches sur Google et j’étais stupéfaite par ce que j’ai lus sur cet herbe sauvage bourrées de vertus médicales, curatives et cosmétiques. 


Cette plante appelée localement «El Agua», zygophylle en français, est non toxique et très riche en actifs. J’ai vu cette plante un peu partout dans le désert en allant de Ouargla vers le Nord mais je l’ai méprisée. Elle était souvent couverte de sachets et d’ordures emportés par les vents. C’est à partir de là que j’ai commencé à utiliser cette plante médicinale par excellence que malgré son aspect sauvage et spontanée, elle est une mine d’actifs et c’est ainsi que je l’ai introduite dans mes produits notamment le savon, les baumes et onguents soit en poudre ou macérât que j’ai préparé moi-même. Vu les richesses de cette région, j’ai décidé de me baser sur des matières premières locales pour fabriquer mes produits. J’ai déjà fait du savon au lait de chamelle, savon exfoliant au sable, à la poudre des noix de datte. Outre le Rub, également appelé sirop ou miel de datte. 

Ce dernier n’augmente pas seulement le pouvoir moussant du savon mais il le rend très doux et offre une protection et une hydratation longue durée grâce à ses substances actives riche en minéraux tel que le potassium, le calcium, le zinc et le magnésium. Mon rêve est de pouvoir un jour créer un savon 100% sahraoui, si je peux le dire tout comme le savon d’Alep et le savon de Marseille. Notre Sahara est très riche, et on a de quoi faire d’excellents produits si on exploite ces richesses locales, encore négligées.


Côté écologique, l’utilisation des savons et produits d’hygiène corporel est quotidienne. En sachant combien de substances chimiques composent ces produits, vous pouvez imaginer la quantité de pollution environnementale qui en résulte.  A ça, s’ajoutent les emballages en plastique, bouteilles et flacons de shampoing, de gels douche et les conséquences qu’elles engendrent. Quand j’ai mis sur pied mon projet, j’ai décidé de rayer tout ce qui est polluant de mon activité. J’ai contacté des ateliers à Alger et Oran pour qu’ils me confectionne des boîtes, feuilles en kraft et boîtiers coffrets biodégradables et sacs personnalisés en papier avant même que je n’ouvre le local. 
 

Pour les produits cosmétiques, je n’utilise que les pots en verre et en métal. C’est un principe que j’ai adopté afin de contribuer à réduire les agents polluant et préserver notre planète. 


Estimez-vous que se lancer dans le business et la création d’une entreprise est une manière de s’émanciper et mettre à profit ses atouts et ses potentialités ?
 

Une femme, de par sa nature sérieuse, stricte et disciplinée, mérite qu’on lui ouvre grand les portes. Elle est capable d’apporter une valeur ajoutée et une qualité de travail et de management qu’on ne trouve pas chez les hommes. Dans la plupart des expositions et salons auxquels j’ai participé, en tant qu’artisane ou bien même lors des couvertures médiatiques de par mon travail de journaliste, les femmes étaient plus présentes et plus distinguées. 


Ici, à la chambre de l’artisanat, nous avons des jeunes femmes intellectuelles qui se sont lancées dans différents domaines, tels que le stylisme et la couture, la fabrication de chocolat, la fabrication de bijoux ethniques, la poterie et la peinture sur céramique. Les femmes sont de meilleures leaders que les hommes, c’est clair. 
 

Comment avez-vos vécu votre expérience dans l’entrepreunariat. Qu’est-ce qui vous a le plus plu dans votre aventure de vie jusque-là ?


Ce qui est beau dans la fabrication du savon, c’est le lien qui se crée entre vous et la nature. Il faut des huiles, des plantes, des couleurs et des parfums pour faire du savon et tout cela est disponible dans la nature. La savonnerie est l’activité qui rassemble plusieurs spécialités, à savoir la phytothérapie, l’aromathérapie et la chimie. C’est un domaine infini qui vous met constamment en contact avec la nature et l’environnement et qui procure plaisir et confort psychologique. 


Par conséquent, la fabrication de savon était un exutoire pour moi. Je le considère comme un traitement contre le stress et l’anxiété. 

De plus, le savon n’est pas seulement un produit pour se laver, mais plutôt une culture, un savoir-faire et une éthique environnementale que nous devons apprendre. Ce qui m’encourage, c’est que j’apporte quelque chose de valeur et de significatif et que je contribue, d’une manière ou d’une autre, à la préservation de la santé des personnes et de l’environnement, et cela n’a pas de prix pour moi.


Quelles sont les prochaines étapes dans le développement de votre projet ? Vos aspirations ?
 

Après avoir fabriqué du savon par saponification à froid et du shampoing solide naturel complètement exempts de produits chimiques, je travaille actuellement à la fabrication de savon liquide exclusivement avec des huiles naturelles, dont on peut extraire des gels douche et des shampooings. C’est sans danger pour la santé et respectueux de l’environnement. 


C’est une nouvelle technique et tendance dans le monde de la savonnerie avec une dimension d’éthique écologique. Je travaille actuellement à l’introduction de ce produit dans la chaîne de produits d’accueil.


Comme vous le savez, les shampooings commerciaux sont composés de plus de 10 produits chimiques tels que les sulfates, le formaldéhyde, le texapone, l’hexachlorophène et les phtalates qui sont très nocifs pour la santé et l’environnement, dont la plupart sont cancérigènes. Dans la région du Sud, il n’existe pas d’usine ou de fournisseurs de produits hôteliers, c’est une des raisons qui m’ont poussées à me lancer dans cette niche et combler le vide en créant, pourquoi pas, une unité pour fournir ces produits aux hôtels de Ouargla et ses environs dans un premier temps et 100% naturels, une première en Algérie. 


J’ai communiqué dans ce sens avec certains hôtels via Facebook, et j’ai été surprise lorsqu’un commercial d’un hôtel à Dar El Beïda Alger m’a commandé une quantité de savon, shampoing et gel douche, que je n’ai malheureusement pas pu satisfaire, car je n’avais pas les moyens pour acheter une remplisseuse et un mélangeur. J’essaie actuellement de collecter de l’argent pour rembourser mes dettes de loyer et stabiliser ma situation financière, car la pandémie a tout figé et il a fallu s’adapter à la situation.


Si vous deviez recommencer à zéro demain, que changeriez-vous ? 


Sans aucune hésitation, je changerai de local. Malgré la beauté du lieu et malgré les souvenirs qui m’y lient, étant le premier endroit que j’ai découvert à mon arrivée dans cette merveilleuse ville en septembre 1998, alors que la majeure partie appartenait à l’époque à l’entreprise nationale des systèmes informatiques (ENSI) où je travaillais. 
Le prix de location est trop cher, c’est le plus cher au niveau national et ça a été le grand handicap que j’ai affronté depuis le début de mon projet. 


Par rapport à la position du local. Je n’ai pas de façades, il est trop loin de la route principale et l’entrée se situe dans une zone militaire donc le mouvement est quasi inexistant. Cela veut dire qu’il y a pas de possibilité de visibilité. 


Imaginez-vous, je n’ai même pas terminé ma première année, que je me suis retrouvée endetté de 21 millions de centimes, sachant que j’étais la première à payer l’avance de trois mois, avant même que je finalise les travaux d’aménagement. J’espérais sincèrement que la chambre de l’artisanat soit à l’écoute et service des artisans surtout lors du démarrage de projet.


Un conseil pour les personnes qui veulent se lancer ?


Mon conseil, choisissez ce que vous aimez, et ce, dans quoi vous êtes doué. Ne choisissez surtout pas une activité simplement parce que les autres l’ont fait, car vous en aurez vite marre et devenir frustré. Choisissez ce que vous aimez, vous y réussirez certainement, et même si vous échouez mille fois. Croyez-en vous, ne baissez pas les bras et soyez patient, le succès sera sûrement votre allié. Et bonne chance. 

 

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