«L’écriture est en moi», soutient l’enseignante et auteure en langue amazighe Chabha Ben Gana qui dit tirer son amour pour l’écriture de sa toute tendre enfance.
Invitée de l’acte 7 de l’atelier Si Amer Boulifa de littérature amazighe qu’a lancé l’association culturelle Tanekra des Ouacifs, l’écrivaine Chabha Ben Gana a animé samedi une conférence. Lors de cette rencontre à laquelle ont tenu à assister nombre d’écrivains et d’écrivaines et autres universitaires, ce qui a rehaussé le niveau des débats, la fille du village de Koukou, dans la région d’Aïn El Hammam, est revenue sur son parcours d’écrivaine.
Un statut dont les tout premiers indices remontent à sa toute tendre enfance quand, dit-elle, «je prenais du plaisir à coucher sur des feuilles tout ce qui me passait par la tête, ce que j’observais presque au quotidien». Une sorte de «journal intime» ou encore de «rapport journalier» qu’elle gardait jalousement et qui lui arrivait souvent de parcourir.
Des récits qu’elle prenait le soin de consigner en kabyle, elle qui, pourtant, n’avait pas suivi de cours de tamazight aussi bien au collège qu’au lycée, faute de son enseignement à cette époque. Une démarche «intime» qui allait changer de trajectoire à la faveur de l’arrivée de notre écrivaine à l’université, une fois son bac lettres en poche. Sans aucune hésitation, la jeune Chabha opte pour le département de langue et culture amazighes de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou.
Un choix à propos duquel la conférencière, avoue-t-elle, avoir subi de vives réserves au sein de la famille et de l’entourage qui s’interrogeaient quant à «l’opportunité d’opter pour une si jeune langue sans avenir et qui ne nourrirait pas». Mais c’était compter sans sa conviction chevillée» renforcée, dit-elle, par sa découverte que la langue amazighe était écrite.
Ceci, dit-elle, à la faveur de sa lecture des deux premiers ouvrages en kabyle, à savoir «Tagrest urghu» d’Amer Mezdad et Askuti de Saïd Sadi. «Jusque-là, avoue-t-elle, j’ignorais que notre langue était écrite, et ces deux livres m’ont ouvert les yeux et ont été pour beaucoup dans le changement de ma vision.». Et d’ajouter dans la foulée qu’elle pensait jusque-là que «la cause identitaire se limitait à célébrer le printemps amazigh et brandir l’étendard culturel éponyme».
Amsebrid
Une sorte de tournant décisif dans sa démarche qui, jusque-là, était «naïve» et sans «substrat». Ainsi, armée de cette conviction «renforcée» et «consolidée», Chabha Ben Gana passe à l’acte en décidant de partager avec le plus grand nombre ses écrits.
En 2018, elle qui avait, entre-temps, obtenu successivement sa licence et son master en langue amazighe, elle a édité son tout premier ouvrage, un roman. Intitulé Amsebrid (Passager), cette œuvre est, dit-elle, le concentré de tous mes écrits intimes que j’ai ainsi agencés pour en faire une œuvre romanesque. Un ouvrage «loin de constituer une quelconque œuvre biographique», se défend-elle, elle qui soutient «écrire ce que je vois, ce que j’entends dans mon entourage immédiat».
Un roman qui sera suivi, trois ans plus tard, d’un recueil de poèmes avec son jeune frère. Celle qui soutient que «l’écriture est en moi», affirme aussi que «l’acte d’écrire constitue également d’une autre façon de mener le combat identitaire».
Mais pour son tout prochain roman en cours de correction en vue de sa sortie publique, celle qui est également enseignante de tamazight à l’Ecole nationale supérieure de Bouzaréah, à Alger, dit opérer une «autre rupture» dans sa démarche. «Il ne s’agit plus d’écrire pour moi-même», dit-elle, tenant néanmoins à préciser qu’il ne s’agira pas pour autant de tout faire pour plaire aux lecteurs». Seulement, ajoute-t-elle, «je ne suis plus seule, et je n’écris plus que pour moi.
D’autres doivent en bénéficier». Enfin, Chabha Ben Gana avoue «ne pas apprécier» que des visiteurs lors de salons, activités et autres occasions livresques lui disent acheter ses œuvres que pour l’encourager. «Me concernant, je souhaite que les gens apprécient l’œuvre indépendamment de son auteur. Je n’aime pas que quelqu’un me dise qu’il achète mes livres rien que pour m’encourager».
Fait relevé lors de cette rencontre littéraire appelé à s’instaurer en tradition livresque, un enseignant universitaire à la retraite et chercheur venu d’Alger avec des amis à lui s’est dit «agréablement surpris par cette rencontre littéraire en tamazight».
Ceci non sans relever «la convivialité des participants, l’intérêt de la thématique choisie, la conférencière maîtrisant très bien son sujet ainsi que les échanges pertinents des participants qui ont, selon lui, relevé le niveau intellectuel et la saveur de la rencontre». M. K.