Centre historique de la Havane : Les résonances du Concert baroque d’Ernest Pignon-Ernest

21/11/2024 mis à jour: 20:50
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L’artiste français Ernest Pignon lors de l’installation de son œuvre à La Havane le 15 novembre 2024

Avec «Concert baroque», collage réalisé dans le centre historique de La Havane, l’artiste français Ernest Pignon-Ernest, pionnier de l’art urbain, fait résonner à la fois sa propre histoire et son admiration pour l’œuvre de l’écrivain cubain Alejo Carpentier (1904-1980). 

«Le mauvais papier, c’est ce qu’il y a de mieux !», lance malicieusement Ernest Pignon-Ernest, en mettant la dernière main aux dessins qu’il s’apprête à coller sur un mur de la Vieille Havane, le quartier historique de la capitale  cubaine. Chutes de papier journal récupérées des rotatives du journal Le Monde,  fusain, pierre noire : le style d’Ernest Pignon-Ernest est immédiatement reconnaissable. 

Sur les sept rouleaux qui constitueront l’œuvre finale se distingue une série de personnages historiques, de Vivaldi à Haendel, en passant par  l’empereur aztèque Montezuma ou le compositeur Joseito Fernandez, auteur du  succès cubain «Guantanamera». Pour cette participation à la 15e Biennale d’art de La Havane (novembre 2024-février 2025), l’artiste de 83 ans a décidé de faire résonner son œuvre avec un événement de sa jeunesse : son premier voyage à La Havane à l’occasion des obsèques d’Alejo Carpentier, mort en 1980 à Paris après y avoir vécu les quinze dernières années de sa vie. «Il s’est passé une chose incroyable», raconte Ernest Pignon-Ernest à l’AFP. «En 1980, un matin, l’ambassade de Cuba m’appelle. Je ne comprends pas ce qu’ils me disent, comme je ne parle pas espagnol. Je rappelle peu après en disant : ‘Vous m’avez demandé de venir à l’ambassade ou d’aller à Cuba ?’ Non, Alejo Carpentier est mort, on voudrait que vous soyez du voyage’. Je ne connaissais personne, ni à l’ambassade ni à rien. Je ne savais pas  pourquoi. Donc, je suis allé à l’aéroport», poursuit l’artiste, manifestement encore étonné. A La Havane, la veuve de Carpentier attend l’artiste au pied de l’avion. «Elle me dit : ‘Mon mari a tellement aimé votre exposition (au Musée d’art moderne de Paris) qu’il voulait vous rencontrer’. Moi, j’ai fondu parce que Carpentier, c’était comme Gabriel Garcia Marquez, quelque chose d’un peu Inaccessible.» De là, le choix de l’artiste d’évoquer dans son collage havanais «Concert baroque», un court roman de l’écrivain cubain paru en 1974, où se mêlent les époques et les continents. 


TEXTURE

L’histoire raconte le voyage d’un riche Mexicain qui, après une escale à La Havane, se rend à Venise pour le Carnaval, où apparaissent autant Vivaldi, Haendel, Scarlatti que Luis Armstrong. «C’est un roman absolument exceptionnel. Il affirme, avec la musique, la dimension universelle de la culture», s’enthousiasme Ernest Pignon-Ernest. Le personnage principal «amène symboliquement la musique des Caraïbes et de l’Afrique» à Venise. «C’est la rencontre de toutes ces musiques. C’est une espèce de métaphore magnifique», dit-il. Dans la capitale cubaine, où il n’était pas revenu depuis 1980, l’artiste appose, avec l’aide d’une poignée d’assistants, son «balcon» d’artistes sur un mur donnant sur la Place d’armes, une des plus anciennes de la ville. Avec toujours cette volonté que l’œuvre s’incorpore totalement au lieu. «Quand il est mouillé par la colle, le papier devient très fin, très fragile et je peux le faire entrer dans la moindre anfractuosité du mur. Il y a une espèce de texture», explique-t-il. 

Une fois la colle sèche, l’œuvre prend un relief troublant, jouant de la perspective avec un Alejo Carpentier à la fenêtre qui regarde les passants, non loin de son complice, le poète français Robert Desnos (1900-1945) et du poète cubain Nicolas Guillén (1902-1989). La Havane vient ainsi allonger la liste de villes — Charleville-Mézières, Paris, Naples, Brest, Soweto, Alger, Port-au-Prince, Ramallah... — où Ernest Pignon-Ernest a disséminé ses portraits grandeur nature, dont certains sont devenus des icônes, tels son Arthur Rimbaud, le «jeune homme qui marche» où son Pasolini portant son propre cadavre. Sans dévier de la ligne qui a présidé à tout son parcours créatif : faire parler l’histoire avec des œuvres éphémères qui n’ont de valeur que dans le lieu où elles existent. A La Havane comme ailleurs, «l’œuvre, c’est le lieu travaillé par la présence de mon dessin», résume l’artiste.

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