Une simple prise de sang pour jauger l’efficacité d’un traitement contre le cancer ou encore pour repérer très précocement une tumeur dans l’organisme : explorées par les scientifiques, ces pistes seront sans doute un jour une réalité.
Des dizaines d’études sont en cours pour démontrer l’utilité de l’utilisation d’un nouvel outil, la «biopsie liquide», dans le suivi de patients traités pour un cancer. Une biopsie liquide n’est autre qu’une prise de sang qui vise à rechercher dans le sang d’un malade des fragments d’ADN de la tumeur ou des cellules cancéreuses. Cette technique présente des avantages considérables et nombre d’observateurs estiment que sa découverte mériterait un prix Nobel de médecine: elle est notamment beaucoup moins invasive qu’une biopsie «classique», qui prélève des tissus de l’organisme. Elle recèle surtout des informations très précises sur le cancer d’un patient: «le prélèvement de ce que l’on appelle +l’ADN circulant+ vise à détecter des mutations, pour certains types de cancer, et adapter ainsi les traitements en conséquence», explique Alain Thierry, directeur de recherche à l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier (sud de la France), spécialiste du sujet. Pour certains cancers comme ceux du poumon, où les tumeurs sont souvent difficiles d’accès, il s’agit d’une réelle avancée. L’analyse du sang des malades pourrait aussi permettre prochainement de surveiller comment un cancer réagit aux traitements. «Concrètement, après le retrait chirurgical d’une tumeur, on prescrit souvent une chimiothérapie alors qu’on ignore si le patient en a réellement besoin», relève M. Thierry. A l’avenir, l’analyse du sang d’un malade pourra, dans de nombreux cas, permettre d’administrer des traitements moins lourds ou moins longs mais aussi détecter d’éventuelles récidives. Mais la biopsie liquide recèle encore d’autres potentiels, certes bien plus incertains. «Il y en a un qui est vertigineux : c’est le dépistage précoce du cancer», s’enthousiasme Alain Thierry.
Très coûteux
Plusieurs équipes et biotechs y travaillent dans le monde. L’idée : pouvoir déceler une tumeur chez un individu en prélevant son sang, avant même que n’apparaissent des symptômes ou qu’elle soit visible sur une radio. «Technologiquement, c’est beaucoup plus compliqué qu’un suivi du cancer car cela nécessite d’analyser à grande échelle des mutations de l’ADN mais aussi d’autres marqueurs spécifiques, tout en ne sachant pas à l’avance ce qu’on cherche», décrit François-Clément Bidard, oncologue à l’institut Curie à Paris, responsable du laboratoire de biomarqueurs tumoraux circulants. Récemment, les résultats d’une étude de la biotech américaine Grail ont été particulièrement remarqués : dans leur essai, une prise de sang a permis de détecter des cancers sur des individus de 50 ans et plus a priori sains. Plus de 6.600 personnes se sont soumises au test. Il y a eu une suspicion de cancer pour 92 d’entre eux. Au final, 35 ont effectivement eu un cancer confirmé dans l’année et 57 personnes ont donc cru à tort qu’elles en avaient un. Mais le test a permis de détecter 9 cancers qui n’auraient sans doute pas pu l’être par un dépistage classique précoce. Le bilan est toutefois très mitigé et il faudra probablement des années avant d’améliorer la fiabilité de ces tests, qui sont déjà commercialisés aux Etats-Unis. Et, même fiables, ces tests poseront encore certaines questions, prévient François-Clément Bidard. «L’une d’elle est le coût, ce type de séquençage étant extrêmement onéreux. Un autre sujet est l’éventuel ‘sur-diagnostic’ induit par ces tests, car un certain nombre de cancers détectés ont en fait une évolution extrêmement lente et n’appellent pas nécessairement de traitement», explique-t-il. Il faudra aussi prouver que ces tests représentent un progrès notable par rapport à ceux qui sont en vigueur aujourd’hui. «On a quand même aujourd’hui des stratégies de dépistage du cancer bien rodées» mais «le taux de participation n’est que de 40% au mieux» à ces tests de dépistage proposés par l’Assurance maladie, rappelle le Pr Fabrice Barlesi, directeur général du centre anti-cancer Gustave-Roussy, en région parisienne, qui n’exclut toutefois pas que les tests par prise de sang servent un jour de «complément».