Les feux de forêt seraient un phénomène presque régulier et normal en forêts méditerranéennes et dans les régions du monde à climat méditerranéen.
- On dit souvent que les feux de forêt sont un phénomène presque régulier et normal. Est-ce vraiment le cas ?
Les forêts méditerranéennes ont toujours été façonnées par les feux. C’est d’ailleurs, la définition même du maquis méditerranéen imputant aux feux répétés la physionomie de cette forêt. Depuis son existence, elle est le théâtre de passages répétés d’incendie qui, au fil du temps, ont donné la forêt telle que nous la connaissons aujourd’hui. De par sa spécificité pyrophytique, la végétation qui compose nos forêts est particulièrement sensible aux incendies.
Les pinèdes, les ronces et la broussaille demeurent très inflammables et passent par des cycle de croissance qui finissent en forêts «en équilibre», puis basculent directement vers des stades de vulnérabilité à cause d’une grande charge de combustible ligneux et broussailleux prêt à s’enflammer dès la réunion de conditions de départ de feu, à savoir le combustible (bois sec et broussailles sèches), comburant (oxygène ramené par les vents chaud de l’été) et obligatoirement une source d’énergie de déclenchement (une flamme ou un quelconque déchet ou source d’étincelle).
Ces paramètres réunis lors de saisons sèches, conjugués à une mauvaise précaution et une absence d’aménagement de forêts et des travaux sylvicole de prévention d’incendie, attisent le risque de départ de feux qui peuvent devenir dévastateurs, si la lutte ne se fait pas correctement et dans des délais les plus rapides.
- Qu’est-ce qui explique cette recrudescence des feux ?
Les feux répétés dans la forêt méditerranéenne remontent dans le temps aux périodes géologiques très anciennes avec de moindres fréquences par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui. Malheureusement, le facteur d’anthropisation de nos espaces forestiers et la pression exercée sur ces milieux amènent les fréquences des incendies à une nette recrudescence.
Les travaux de scientifiques stipulent d’ailleurs que les fréquences des incendies sur un espace forestier méditerranéen étaient il y a un siècle d’un incendie tous les 50 ans, alors qu’elles sont aujourd’hui d’un incendie tous les 20 ans.
On peut également imputer cette fréquence au changement climatique et au réchauffement des milieux qui rendent le risque croissant, car le combustible est plus sec et les périodes sèches sont devenues de plus en plus longues au cours des 30 ou 40 dernières années.
- Qu’est-ce qui rend les feux difficilement maîtrisables ?
C’est d’abord la longueur de la saison sèche et sa fréquence qui rendent particulièrement le combustible très inflammable. L’accès aux parties incendiées n’est également pas toujours facile, compte tenu du relief méditerranéen qui est, dans sa majorité, montagneux et donc escarpé.
Par ailleurs, l’alerte n’est pas donnée suffisamment en avance, car les études dans le monde prouvent que les délais d’intervention sont primordiaux lorsqu’on veut maîtriser un incendie. Malheureusement, chez nous, les délais sont très longs et lents par manque de veille suffisamment efficace pour couvrir tout notre patrimoine forestier.
Il est aussi important de soulever la faiblesse des moyens de lutte contre les incendies qui demeurent, à mon sens, peu suffisants et mal répartis sur le territoire national. Il faut savoir que l’idéal dans les périodes à risque est de s’appuyer sur des scénarios préalables conçus en amont avant chaque saison estivale pour définir les zones à plus haut risque d’incendie et ainsi disposer les plus grands moyens auprès de ses zones vulnérables.
C’est un préalable connu dans la discipline de la DFCI (défence forestière de lutte contre les incendies) qui s’appuie sur des simulation et scénarios établis à l’aide de compilation de données divers pour ressortir les lieux les plus vulnérables et sensibles au départ de feux suivant une vision spatio-temporelle de chaque site forestier, en étudiant un ensemble de facteurs combinés, comme la fréquence des feux, les données météorologiques, les vents chauds, la natures du combustible (son degré d’inflammabilité) en plus d’autres facteurs que la cartographie peut facilement révéler.
Il est donc important de recourir à ces méthodes pour mettre en place avant chaque saison estivale un plan de lutte par priorité de mobilisation de moyens afin qu’ils soient utilisés rationnellement dans les milieux les plus vulnérable et non répartir l’arsenal de lutte sur tout un territoire au risque de sous-utiliser les moyens dans des régions non vulnérables et sur utiliser les mêmes moyens et devenir dépassé par l’intensité des feux dans des régions hautement inflammables.
- Pensez-vous que ces feux vont être de plus en plus difficiles à gérer ?
Je n’irai pas jusque-là ! Je crois plutôt, comme tous les scientifiques, que le remède est entre nos mains, mais que les bonnes décisions doivent être prises en concertation avec les spécialistes, notamment ceux de la restauration des milieux.
Si l’on considère que nous devons lutter chaque année avec plus de moyens et de «vigilance», c’est que nous n’avons rien compris dans la gestion de nos milieux, car aujourd’hui, les solutions naissent d’une profonde conception de la réelle problématique qui est la suivante : «Nos forêts brûlent, ne se régénèrent pas, les reboisements ne réussissent pas suffisamment pour compenser les pertes, et en plus, au lieu que nos forêts deviennent une source de vie et de rentes économiques, elles puisent des fonds publics énormes pour leur surveillance et leur entretien.»
Cette problématique est au centre de réflexions multiples qui finissent généralement dans de grands rapports d’expertise, mais jamais appliqués sur le terrain.
- Que recommandez-vous alors ?
Il faut d’abord une gestion en amont de création de richesse forestière nationale n’ayant comme seul objectif l’extension des surfaces forestières, mais pas seulement les arbres forestiers.
Il est important aujourd’hui, dans l’écologie de restauration, d’appliquer des modèles dit «mimic nature», suivant le concept américain de mise en valeur et réhabilitation des territoires et paysage en apportant progressivement des actions de régénération commençant par la restauration et la conservation des sols, le reverdissement herbacé pour reconstruire petit à petit la pédo-faune et les micro-organismes du sol avant de penser à mettre en place l’arbre.
Cet équilibre à réaliser en amont est garant de la durabilité et de la réussite des boisements, car ils procurent aux arbustes et aux arbres le biotope idoine pour une forte résilience et une bien meilleure installation de nouveaux cycles biologiques sains et aptes à améliorer la productivité des écosystèmes, la séquestration du carbone, adoucir les climats et élargir les surfaces forestières qui souffrent aujourd’hui d’une désertification.
Ce dernier concept de «désertification des forêts» a été fortement employé ces derniers jours en Espagne et en France après les méga incendies que ces pays ont subis.
- Le climat caniculaire est-il pour quelque chose dans ce phénomène ?
Le risque d’incendie ira croissant dans le monde avec les changements climatiques. C’est une réalité que personne ne peut nier, même les plus climatosceptiques commencent à revenir sur leurs propos et comprennent l’énormité d’un tel changement, rendant les canicules plus fréquentes et plus longues dans le temps.
Certes, un combustible soumis à de fortes chaleurs séchera vite et deviendra plus vulnérable au départ d’un feu qu’un combustible frais, mais je répète que si les sols sont correctement couverts avec des strates fonctionnelles, les épisodes de canicules peuvent être adoucis par l’humidité du couvre-sol.
- Ces feux ne sont pas sans conséquences et risquent de peser très lourd sur notre richesse forestière. Concrètement...
Il est important de rappeler que notre richesse forestière nationale ne représente qu’environ 1,7% de toute la surface du pays. Avec des pertes régulières de forêts denses, nous sommes en voie de perdre tout ce patrimoine si nous continuons d’incriminer à chaque saison des comportements et des personnes.
Il est temps d’agir et de planifier non seulement des opérations de reboisement qui soient bien couvertes par les médias, mais proposer des solutions de fond, comme faire des choix forts de boisement des villes et des périphéries en répondant simplement à un concept émergent que plusieurs pays ont adopté et qui préconise de mettre en place des forêts urbaines et périurbaine.
Si l’on fait aussi les choix de consacrer des «recettes spécifiques» de reboisement et non copier un modèle général sur tout un pays au risque de ne voir aboutir aucun projet, nous ne pouvons tout expliquer ni tout dire, car la compréhension même de la restauration des milieux dégradés est mal perçue par nos concitoyens et décideurs, qui ne voient que le remède de reboisement hâtif sans suivi dans le temps, sans remise en question, ni objectifs lointains, alors que notre flore regorge de plantes incroyablement résistantes et rentables économiquement, nos compétences humaines sont très qualifiées et peuvent suggérer des solutions qui, certes, requièrent plus de temps mais auront une portée écologique et socioéconomique certaine.
- Comment ces feux impactent-ils notre environnement ?
Il y a d’abord la rupture des cycles biologiques qui ont mis des décennies à se construire.
Ensuite, la faiblesse de la biomasse qui rend les sols exposés à tout phénomène d’érosion et de perte des sols. Egalement, la disparition des micro-organismes importants dans les chaînes trophiques et la fertilité des sols.
Rajoutez à cela la disparition des ressources biologiques et génétiques locales et l’appauvrissement des banques de semences des sols. Sans parler de la perte de tout un couvert végétal, exposant ainsi les biotopes à toutes les formes d’agression (orages, ruissellement, perte de substrat, perte de faune, migration des populations paupérisées suite aux feux...).
Les conséquences sont innombrables, sans parler des dommages annexes ou dérivés qui affectent la sécurité hydrique des populations et la pollution du bassin versant à l’ère de la sécheresse mondiale). La végétalisation des terres en perte de biomasse d’année en année.
- Selon vous, l’avenir alimentaire est-il compromis, car dépendant de la santé des écosystèmes locaux ?
Toute sécurité hydrique dépend d’un couvert végétal naturel, surtout dans un pays sec comme le nôtre. Il y va alors de la sécurité alimentaire. Que les dommages soient directs : pertes des terres et des facteurs de production agricole, ou indirectes : érosion et diminution de productivité des milieux naturels et agricoles, le constat est plus qu’une gestion d’une saison d’incendie.
Il doit être relevé aux priorités de développement et de sécurité alimentaire de toute une nation en accroissement démographique constant confronté à une perte constante des terres productives et celles qui les protègent (terre forestière). La sécurité alimentaire n’est en réalité qu’un maillon d’un complexe système de production piloté par l’homme qui n’arrive pas encore à relier la durabilité de son existence à la santé de tout le biotope et particulièrement des forêts.
Ces dernières doivent être recréées de toute urgence, même dans les milieux les plus improbables, car garants de la sécurité des personnes, et ce, en diminuant l’impact des inondations, la sécurité alimentaires (en maintenant les terres fertiles et productives et servant même de milieux de production), de sécurité hydrique (en maintenant le bassin versant sans érosion et sans vase) sans évoquer leur capacité à adoucir les climats, baisser les factures d’énergie dans les milieux urbains, offrir des emplois dans les milieux dits d’ombre et honorer nos engagements universels vis-à-vis de la communauté internationale dans la lutte contre les changements climatiques et la séquestration du carbone.