Avant-première algérienne d’un long métrage sur Frantz Fanon à Annaba : La thérapie sereine d’un psychiatre contre l’aliénation en temps de guerre

28/04/2024 mis à jour: 07:23
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 Le long métrage Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’Hôpital psychiatrique Blida-Joinville est en compétition au 4e Festival d’Annaba du film méditerranéen. Le festival se poursuit jusqu’au 30 avril.

 

Ecrit et réalisé par Abdenour Zahzah, le film a été projeté, le 25 avril en avant-première algérienne, au Théâtre régional Azzeddine Medjoubi d’Annaba en présence d’un public nombreux. 

Le film porte un titre long : Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l’Hôpital psychiatrique Blida-Joinville, au temps où le docteur Frantz Fanon était chef de la cinquième division entre 1953 et 1956. Tourné en noir et blanc, le film se concentre sur l’arrivée de Frantz Fanon (Alexandre Dessane) dans cet hôpital, une année avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale en Algérie. Le jeune psychiatre constate que des méthodes brutales sont pratiquées au sein de l’établissement.

 D’abord, il y a la séparation entre Français et musulmans, une extension des pratiques coloniales françaises. Contre parfois l’avis de ses pairs, habitués à la psychiatrie à l’ancienne, il entreprend avec détermination à changer la manière de traiter avec les malades. Il ordonne de ne pas appeler les patients par des sobriquets mais par leur nom pour ne pas contribuer «à détruire leur identité». 

Il décide ensuite de fêter Noël et le Mawlid Ennabaoui à l’hôpital. Il fait appel à un infirmier artiste, le chanteur blidéen Abderrahmane Aziz qui chante Zad ennabi ou frahna bih, autour de bougies et tamina au sein de l’hôpital en présence des patients. Fanon décide de faire sortir les malades de l’hôpital avec des promenades au niveau de la montagne de Chréa avec pique-nique sur herbe. 

L’idée est de rattacher de nouveau les malades à la société. Face aux hésitations et parfois à la résistance douce des infirmiers et des aides-soignants, il organise des cours de formation pour les impliquer davantage à pratiquer ses méthodes, en rupture avec celles de l’Ecole d’Alger qui imposait «une psychiatrie coloniale», basée sur des perceptions racistes développées par Antoine Porot. C’est le même Porot qui avait contribué à l’ouverture de l’hôpital psychiatrique de Joinville à Blida, au début des années 1930.


Militantisme anticolonialiste

Frantz Fanon était adepte des conceptions novatrices de François Tosquelles. Ce psychiatre franco-espagnol a introduit la pratique de la psychiatrie institutionnelle qui privilégie l’humanisation des établissements de soins et la densification de la relation entre les médecins et les malades. 

Le film, qui n’est pas un biopic dans le sens strict, suit Frantz Fanon dans sa relation avec ses pairs, les infirmiers, les malades, l’administration et son épouse Josie (Chahrazad Kracheni). Josie Fanon avait beaucoup appuyé son époux dans son travail et dans son militantisme anticolonialiste. Le côté fictionnel dans le film est lié au personnage de Juliette (Amel Kateb), une patiente orpheline que Fanon installe chez lui pour aider son épouse aux travaux ménagers. 

Le long métrage d’Abdennour Zahzah ne s’attarde pas beaucoup sur l’engagement de Frantz Fanon en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Le cinéaste s’est, sans doute, appuyé sur l’idée que le soutien de l’auteur de Peaux noires, masques blancs au FLN et à l’ALN était connu. Ce qui l’est moins, c’est sa lutte contre les méthodes coloniales au sein d’un hôpital psychiatrique dans un pays sous-domination extérieure. 

La torture, les exécutions extrajudiciaires, les injustices, les brutalités policières durant la période coloniale française sont évoquées dans le film à travers les dialogues. Un commissaire de police, pris par des remords à cause de pratiques de maltraitance, vient solliciter les conseils de Frantz Fanon. 

Abdenour Zahzah a choisi la parole à l’action, le traitement psychiatrique lui-même étant basé sur l’échange, la discussion, la confession. «On connaissait peu de choses sur Josie Fanon. Il y a peu d’images sur Frantz Fanon. La première fois où on verra Fanon parler et bouger est dans ce film. On connaît l’Emir Abdelkader, mais on n’a pas d’images de lui. Il va falloir qu’il soit présent dans un film. 

Il faut noter qu’à l’époque, l’hôpital de Blida, plus grand hôpital en Afrique, était un fief du FLN. Les médecins et les infirmiers l’avaient utilisé pour cacher des armes et du matériel. Cet hôpital compte 26 martyrs. Le médecin chef R. Lacaton a été torturé par les militaires français», a souligné le cinéaste lors d’une conférence de presse, après la projection du film.


Chaque film est un miracle

Il s’agit d’un long métrage calme qui essaie de montrer la colonisation du côté français. «Dans nos films sur la guerre de Libération, on a mis en avant la résistance des Algériens, mais sans expliquer les raisons de cette résistance, on ne montre pas cette colonisation de l’autre côté. Il faut bien comprendre la colonisation pour saisir les raisons de la résistance», a relevé Abdenour Zahzah. Abdenour Zahzah, qui a produit son film aussi, a déclaré que le ministère des Moudjahidine a refusé de contribuer au financement du film. «J’ai reçu par contre de l’appui du ministère de la Culture et de la Santé. 

Il était impossible de tourner dans un hôpital sans l’autorisation du ministère de la Santé et des médecins. Les médecins Benseddik, Bencharif et Benmansour m’ont aidé lors du tournage», a-t-il dit. Le film a été appuyé financièrement par Sonatrach, l’ONDA (Office national des droits d’auteur) et par l’Institut français d’Algérie (IFA). «Avant ce film, je n’ai pas travaillé pendant dix ans. 

Il est encore compliqué de réaliser un film en Algérie. En Algérie, et en Afrique en général, chaque film est un miracle. Tout est fait main. Le cinéma africain, c’est de la haute couture. On se fatigue pour faire un film. Dans notre pays, les décors sont partout. Dès le premier clic, on a une belle photo», a souligné Abdenour Zahzah. 

Annaba 
De Envoyé spécial  Faycal Métaoui

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