Deux sculptures en bronze doré d’une femme de loi trônent désormais au cœur de New York, dont l’une, juchée sur le toit d’un palais de justice, est l’unique représentation féminine aux côtés de statues des prophètes, empereurs et législateurs Moïse, Justinien, Confucius ou Saint-Louis. L’artiste pakistano-américaine Shahzia Sikander, dont les statues «NOW» et «Witness» se dressent en majesté sur la corniche d’un bâtiment néoclassique de la Cour suprême de New York et dans le parc Madison attenant, à Manhattan, veut sensibiliser sur la faible représentation artistique des femmes dans l’espace public et sur les discriminations politiques, sociales et économiques dont elles sont victimes. «Sur le toit du tribunal, les statues étaient traditionnellement des représentants masculins de la loi, donc sans aucune représentation féminine», explique à l’AFP la sculptrice de 53 ans, dont les deux œuvres sont visibles jusqu’en juin, dans le cadre d’une exposition en plein air intitulée «Havah... to breathe, air, life» et qui offre même une application pour de la réalité augmentée. Le long de la corniche du palais de justice, datant de la fin du XIXe siècle, se dressent neuf statues en marbre d’hommes célèbres et légendaires: les prophètes Moïse et Zoroastre, le philosophe Confucius, l’empereur byzantin Justinien et le roi de France Saint-Louis. Jusqu’en 1955 s’y trouvait aussi celle du prophète Mahomet, jusqu’à ce que le Pakistan, l’Indonésie et l’Egypte en obtiennent le retrait. Les autres statues ont ensuite été descendues ou déplacées, mais il restait un socle inoccupé. Ce qui fait dire à Shahzia Sikander que sa «sculpture ne déplace personne et ne remplace personne». «Comme il y avait cet espace vide, j’ai proposé qu’on y mette quelque chose», sourit-elle à propos de son projet qui a vu le jour en janvier avec le soutien des autorités municipales et judiciaires de New York, l’une des capitales internationales des arts. Pour la sculptrice née à Lahore, au Pakistan, et arrivée aux Etats-Unis il y a 30 ans, il est «important» de provoquer un débat sur la «représentation des femmes dans des domaines qui ont été fondamentalement très patriarcaux, comme le droit et l’art». Dans un communiqué présentant son travail, Shahzia Sikander va plus loin dans sa volonté d’incarner et de défendre les droits des femmes. «Malgré des années de lutte des femmes pour l’égalité politique et socio-économique, les préjugés de genre continuent d’être des obstacles pour nombre d’entre elles; qu’il s’agisse des droits à la santé et à l’éducation, des opportunités économiques, de la violence basée sur le genre et la race ou des discriminations sociales», écrit-elle. La statue du parc Madison, de près de six mètres de haut, représente le corps d’une femme de haute stature, coiffée d’une immense chevelure nouée, les yeux grands ouverts et arborant un large col en dentelle de magistrate: un hommage à la tenue de l’ancienne juge progressiste de la Cour suprême des Etats-Unis, Ruth Bader Ginsburg, décédée en septembre 2020 à l’âge de 87 ans. La haute cour penche fortement à droite depuis la présidence de Donald Trump (2017-2021) et a cassé en juin dernier le droit fédéral à l’avortement, en revenant sur la jurisprudence du fameux arrêt «Roe v. Wade» de 1973. «Avec la mort de Ginsburg et le retour en arrière sur Roe, les avancées constitutionnelles pour les femmes marquent le pas», estime Shahzia Sikander. Pour la commissaire de l’exposition, Brooke Kamin Rapaport, la statue de Shahzia Sikander peut être «un anti-monument ou un non-monument». «Le plus souvent, les monuments représentent des hommes blancs, et les femmes en sont souvent exclues en tant que sujets», conclut-t-elle, en plaidant pour que cette «nouvelle forme de monument civique dans l’espace public» soit «accessible à tous les citoyens».