«C'est un endroit bien chaud où venir, vu le coût du chauffage ces temps-ci», explique Marina Flynn qui passe sa journée dans une bibliothèque de l'est de l'Angleterre. Y trouver refuge n'a plus rien d'exceptionnel. De plus en plus de personnes ont du mal à payer leurs factures et viennent se réchauffer au milieu des livres. «Il fait aussi froid chez moi que dehors cet hiver», confie Marina Flynn, 54 ans, alors que la température à Ipswich plafonne à 5 degrés en cette journée de fin janvier.
Sans emploi, Marina Flynn vient régulièrement depuis un an à la Bibliothèque Chantry, pour se réchauffer, se divertir et aussi pour les distributions de nourriture ou produits de toilette. Le Royaume-Uni, où l'inflation dépasse 10% depuis des mois, traverse une sévère crise du coût de la vie et des millions de Britanniques n'ont plus les moyens de se nourrir ou se chauffer correctement.
Les bibliothèques municipales et d'autres centres ou locaux communautaires font office de lieux d'accueil chauffés pour les habitants les plus démunis. «J'ai beaucoup recours à la banque alimentaire (...) je n'ai plus les moyens d'acheter à manger», ajoute, en train de lire un livre, Marina Flynn en forçant sur sa voix pour se faire entendre parmi les babillages de bambins et bébés venus avec leurs parents ou nounous participer à une activité musicale.
Le rôle des bibliothèques publiques britanniques auprès des communautés fragiles s'est renforcé. Elles sont financées par les conseils municipaux, qui ont eux-mêmes pâti de vastes coupes budgétaires depuis la crise financière. Les bibliothèques ont dû lever des fonds supplémentaires ou recourir à des bénévoles. Par ailleurs face à l'inflation et à la flambée des factures d'électricité une organisation caritative spécialisée dans l'accès aux bibliothèques, Cilip, a publié des directives pour les organismes qui souhaitent établir ces «points de chauffage», comme les églises ou les salles municipales.
Vulnérabilités multiples
«Ces services sont très utilisés», principalement «dans les zones de multiples vulnérabilités», concentrant à la fois pauvreté, personnes âgées, addictions, explique Nick Poole, le directeur exécutif de Cilip. Mais les bibliothèques, sous pression pour offrir toujours plus de services, sont elles-mêmes confrontées à l'envolée de leurs coûts de chauffage et éclairage. «C'est dur pour elles de survivre», déplore Nick Poole.
Le gouvernement conservateur de Rishi Sunak finance un plafonnement des factures d'électricité et gaz cet hiver. Mais les ménages comme les entreprises doivent malgré tout payer bien plus qu'il y a un an, avant l'invasion de l'Ukraine. Pas en reste pour aider la communauté de ce quartier défavorisé d'Ipswich, le petit café installé dans un coin de la bibliothèque, offre le dimanche des boissons chaudes et des soupes gratuites.
«Nous avons des clients qui viennent et qui sont tristes, et nous les aidons autant que possible», explique Mark Dyer, le propriétaire du café. Pour Nick Poole, offrir un espace accueillant et sécurisant pour tous est «extension naturelle du rôle des bibliothèques». Les gens qui se retrouvent plongés dans la précarité se refusent souvent à en parler, par pudeur, ou par honte. «Les gens n'aiment pas admettre qu'ils ont des problèmes», fait-il remarquer.
Plus tard dans la journée, un groupe de femmes se réunit pour faire du tricot. À côté de l'entrée les vêtements à donner sont rangés sur des penderies. Vicki Mann, directrice de la Bibliothèque Chantry, qu'ils étaient déjà là avant la crise actuelle, mais c'était surtout pour les enfants. Maintenant il y a des vêtements pour adultes. Ils partent si vite qu'il n'y en a jamais assez.