J’ai rejoint le maquis de la Maouna (Guelma, Zone 4, Région 3, wilaya 2) alors que je n’avais que dix-neuf ans, ceci pour venger mes oncles maternels, Séridi El Hachemi, Touhami et Larbi assassinés par l’armée française et incinérés dans un four crématoire lors des tragiques événements du 8 Mai 1945.
Condamné à mort à deux reprises par l’armée française, j’ai réussi à lui échapper après avoir exécuté une première mission qui m’a été confiée par l’Ordre (qualificatif attribué à l’action armée, politique et culturelle menée par le FLN).
Durant mes faits d’armes, j’ai eu l’honneur et la chance de côtoyer les défunts moudjahidine, Boubnider (dit la Voix arabe) El Hachemi Hadjeress et Tabbouche Abderrahmane. Agé Aujourd’hui de 87 ans, je me propose de livrer mes précieux et précis témoignages sur toute la période vécue au djebel de la Maouna parmi les vaillants, maquisards de l’inoubliable ALN à laquelle nous devons notre indépendance.
• Acte I : Pourquoi et comment j’ai rejoint le maquis :
Lors des événements tragiques du 8 Mai 1945, mes oncles maternels, les chouhada Séridi El Hachemi, Touhami et Larbi avaient été assassinés par l’armée française et incinérés comme des bêtes immondes, ainsi que tant d’autres chouhada, dans un four crématoire pour avoir manifesté leur désir d’être libres et indépendants, eux qui avaient pourtant aidé la France à se débarrasser du Nazisme.
L’armée coloniale ne pouvant cacher les odieux assassinats du 8 mai 1945 niait cependant les avoir incinérés dans le four crématoire et distillait une information selon laquelle les chouhada avaient été enterrés à différents endroits.
J’accompagnais donc ma pauvre mère aux endroits indiqués et l’aidais à remuer la terre à la recherche des dépouilles de ses frères qu’elle chérissait tant, en vain, elle les pleurait tellement qu’elle avait fini par contracter une grave maladie des yeux.
Pour la consoler, je lui promets de les venger une fois devenu grand.
Dans un petit atelier de menuiserie attenant à notre domicile au n° 10 de la rue Zama (Emir Abdelkader aujourd’hui), travaillaient deux braves menuisiers, les chouhada Tahar Goubéche et bouras Kaddour, lesquels d’après certaines indiscrétions entretenaient des relations avec L’ordre, une occasion dorée par moi ayant atteint l’âge de la majorité, de solliciter leur aide afin de regagner le maquis et venger mes oncles.
En qualité de résistants aguerris, ils n’accordaient, au départ, aucune attention à mes sollicitations, mais devant mon obstination et après s’être assurés de mon identité, sans l’ombre d’un doute, ils me chargeaient d’une mission «Test de confiance» : je devais remettre un couffin, d’ont j’ignore le contenu à ce jour, à un personnage, que je devais rencontrer à un endroit précis, ce que je fis.
Comment cet individu m’a-t-il reconnu ? Qui était- il ? Que contenait le mystérieux couffin ?
Le succès de la mission test me permet de remplir une deuxième, d’une grande importance.
L’ordre devait éliminer un collaborateur de la France coloniale de haut rang qui nuisait à la révolution.
Le chahid Amar, un vendeur ambulant de produits de la pêche, sensibilisé très tôt à la lutte armée que menait l’ALN, sa demeure était attenante à celle du chahid Souidani Boudjemaa, fut chargé de l’exécution ; mon rôle consistait à lui remettre un pistolet automatique dont l’ordre m’a appris les rudiments de l’utilisation, et lui désignait la cible. Le jour indiqué, je suivais le collaborateur qui se rendit à Dar El Hakam (L’Administrateur français) ; arrivé à l’endroit choisi, je rejoignis le chahid Amar, lui remis l’arme et lui désignais la cible dont il s’approcha et ouvrit le feu à trois reprises, des cris s’élevèrent déjà du haut d’un balcon «Assassins- Assassins ! »
Amar avait déjà quitté les lieux transporté par un autre fidai au moyen d’une motocyclette, quant à moi je rejoignis le café Dahele pour récolter des informations ; les sirènes de la police retentissaient au loin.
Quelques jours plus tard, l’ordre m’informait que je devais rejoindre le maquis, le chahid Amar avait été appréhendé. En effet, au djebel il a eu des problèmes de santé, en rejoignant son domicile pour se soigner, il fut arrêté, l’ordre savait que les hommes du commandant Lafouchardière allaient torturer Amar et craignait pour ma personne.
Le chahid Amar fut guillotiné mais il ne put donner aucun renseignement me concernant, car ne connaissant pas ma véritable identité.
Au maquis, le responsable de région, le moudjahid Tabbouche Abderrahmane m’affecta aux services du moudjahid Rabah Fisli, responsable du secteur militaire qui m’a remis un treillis est un fusil anglais 303, ainsi qu’une cartouchière. Durant deux mois, j’ai aidé le toubib Si Ahmed dans ses fonctions avant d’être désigné comme commissaire politique et affecté de nouveau au secteur du moudjahid Abdallah Guergour.
En plus de la peine que je ressentais au fond de moi-même d’être séparé de mes pauvres parents, privé de ma vie d’adolescent, j’étais révolté par le sort de la population rurale notamment, laquelle endurait les souffrances quotidiennes que lui infligeait l’armée coloniale : assassinats, destruction des gourbis (taudis misérable, conçu avec de l’argile et de débris hétéroclites de bois), incendie des récoltes, vol et viol. L’ennemi, par l’entremise de ces violences barbares, cherchait à briser, en vain, la cohésion qui existait entre la population rurale et notre brave ALN (Armée de libération nationale) ; sans l’aide de cette population rurale, je pense sincèrement que n’aurions pas pu résister face à la barbarie d’une armée coloniale professionnelle, formée et programmée pour semer le chaos.
Certes, une grande partie de cette population rurale était misérable, mais sa misère extrême, parfois, ne l’empêchait pas d’être convaincue de la légitimité de la lutte armée que menait l’ALN, en dépit du peu de moyens dont elle disposait, et était de ce fait prête à se sacrifier pour se libérer de ce joug colonial fasciste qui considérait les Algériens comme des untermensch (sous hommes).
La plupart des paysans qui rejoignaient nos rangs, s’ils ne savaient, certes ,ni lire ni écrire, arrivaient cependant facilement à assimiler la manipulation des différentes armes et à s’intégrer rapidement dans nos équipes de combat, de fidai, de sabotage et de renseignement, ils étaient prêts à mourir pour notre Algérie.
C’est cette réalité que l’ennemi, aveuglé sans doute par sa force redoutable n’a pas su percevoir à temps et qui a hâté sa défaite.
Je rencontrais de sérieuses difficultés à former les groupes de moudjahidine qui devaient faire partie des missions programmées par l’ordre. Tous voulaient y participer.
«Nous aussi, nous voulons mourir pour la nation», rétorquaient ceux que je n’ai pas choisis, et il leur arrivait même de verser des larmes.
Ces scènes de bravoure hantent mes rêves à ce jour.
Acte III : Un seul mot d’ordre : soutenir l’ALN, même au péril de sa vie.
En qualité de moudjahid, j’ai vécu des moments émotionnels intenses. Durant le mois décembre de l’année 1958, alors qu’il pleuvait à torrent, je regagnai le djebel de Maouna, trempé jusqu’aux os, après avoir accompli une mission de trois jours à la ville de Guelma, je marchai à grands pas dans l’obscurité de la nuit, ayant pour seule compagnie l’immense ciel algérien et ses étoiles, ainsi que mon arme Mat 45 récupérée lors d’un accrochage sanglant avec l’armée française, j’avais ma main sur la gâchette prêt à faire face à une rencontre surprise avec les nazis du sinistre colonel Colson qui s’aventuraient rarement la nuit.
Exténué, vers deux heures du matin, j’arrivai à la mechta (douar) de Laghouaza, à proximité du gourbi du chahid Boughazi, qui m’accueillit à bras ouverts, je lui ai demandé la permission de me reposer une heure de temps sous son toit, il intima l’ordre aux membres de sa famille d’aller continuer à dormir dans l’enclos réservé aux animaux qu’il possédait, et m’offrit son lit de fortune qu’il venait à peine de quitter, et s’empressa d’aller faire le guet afin d’éviter toute intervention impromptue des militaires français.
A mon réveil, et au moment où je m’apprêtai à quitter les lieux, il m’invita à prendre un café, du lait et me remit de la galette toute fraîche. Sa magnifique épouse avait tout préparé durant mon sommeil.
Ces braves gens «n’avaient rien dans les poches, mais tout dans le cœur». Je ne peux oublier ce dévouement indéfectible à la cause nationale.
J’ai d’ailleurs toujours enfui au fond de moi - même, le douloureux souvenir que chaque fois que j’évoque, j’ai du mal à m’endormir, celui de la chahida Seraidi Houria, une très proche parente, assassinée par les nazis du colonel Colson, alors qu’elle n’avait que trente ans et était enceinte de six mois.
Son époux, un moudjahid, était sorti parler à un voisin, en commettant par inadvertance, la grave erreur d’oublier son arme, Houria la courageuse, ayant entendu les cris du voisinage annonçant la présence des militaires français, était sortie secourir son époux, en lui remettant son arme, elle tomba nez à nez avec la horde barbare du colonel Colson qui la cribla de balles.
Repose en paix Houria !
Les paysans algériens ne pouvaient tolérer aucun comportement nuisible à la lutte armée menée par l’ALN et n’hésitaient pas à se dresser contre les auteurs coupables de faits de trahison, même s’il s’agissait d’un membre de leur propre famille.
Ainsi durant l’année 1959 lors d’un déplacement avec mes djounoud, nous avons fait une halte auprès d’un paysan qui nous offrit son hospitalité ; lors qu’il s’absenta un moment, son fils vint m’informer que son père entretenait des relations suspectes avec l’ennemi et qu’il n’excluait pas une intervention éclair des soldats français.
Nous dûmes quitter les lieux rapidement, évitant de justesse d’être surpris par les hommes du colonel Colson. L’auteur de la dénonciation fut appréhendé et condamné à mort, et c’est son propre enfant qui exécuta la sentence.
Cette abnégation particulière ne pouvait laisser indifférents les services de renseignements français, lesquels décidèrent de déstabiliser l’ordre par tous les moyens.
Acte IV/ intrigues, cruauté, Chantages et menaces : la devise, des services de renseignements de l’ennemi.
Dignes héritiers de la Gestapo allemande, les services de renseignements français ont fait recours à la violence, l’intrigue, le chantage, et les menaces pour déstabiliser et affaiblir l’ordre ; cependant, la juste cause que défendait notre invincible ALN sera à l’origine de leur cuisante défaite.
L’officier français des renseignements, le nazi Ménoze a obtenu des informations selon lesquelles un citoyen entretenait des relations avec l’ordre. Il l’arrêta et exerça sur lui un odieux chantage : collaborer avec l’ennemi ou la mort ! Le citoyen céda aux menaces, il fut chargé de remettre à la population de fausses missives qui émaneraient de l’ordre l’invitant à s’acquitter de ses cotisations, le sinistre Ménoze avait au préalable confectionné un faux cachet de l’ordre et imita ma signature pour tromper les citoyens. Une fois la lettre transmise à son destinataire, ce dernier est vite appréhendé par les militaires et soumis au marchandage: verser les cotisations à Ménoze ou la prison pour soutien à l’ALN !
Par l’entremise de ce diabolique subterfuge Ménoze pensait détruire l’ordre, en créant un climat de doute et de suspicion parmi la population.
Notre réseau de renseignements nous mit vite au parfum et le collaborateur de Ménoze fut arrêté. Il nous donna d’importantes informations, mais il fut tué lors d’une intervention de l’armée française.
Au début de l’année 1959, un jeune citoyen, dont le père a été éliminé par l’ordre pour de sérieuses accointances avec l’ennemi, exprima sa volonté de regagner les rangs de l’ALN, il m’expliqua qu’il était en mesure de manipuler un F.M 24, les yeux bandés. Je lui remis l’arme en question tout en prenant soin de vider le chargeur afin d’éviter toute surprise.
Sa démonstration m’ayant convaincu, je l’ai chargé d’une mission test : liquider Ménoze qui habitait tout près de chez lui. Il accepta sur le champ la mission, mais il ne remit jamais plus les pieds au camp ; il espérait, sans doute avoir le FM chargé entre les mains et commettre ainsi un carnage parmi nos troupes, ce qui assouvirait sa vengeance.
Il n’est pas à exclure que Ménoze soit à l’origine de toute cette funeste manigance, connaissant parfaitement l’histoire du jeune homme, il a pensé exploiter son désir de venger son père, mais il ne lui est jamais venu à l’esprit que son homme pourrait être chargé de l’exécuter, c’est ce qui l’a poussé sans doute à faire marche arrière ! Notre réseau de renseignements nous informa qu’un citoyen collaborateur de l’ennemi semait la panique parmi la population en s’éprenant à tout citoyen soupçonné à tort ou à raison d’avoir des relations avec l’ordre.
Un très jeune fidai se porta volontaire pour le supprimer, sa tentative échoua ; le traître en question, une véritable armoire à glace, arriva à déjouer le plan de notre jeune fidai, qui sera assassiné par le vendu après l’avoir attaché à sa moto tout en le traînant sur la chaussée.
Ce dernier devenu trop voyant et trop gênant fut muté à Bône (Annaba actuellement). Mais c’était sans compter avec les redoutables fidai du chahid Rizi Amor qui le liquidèrent, une semaine seulement après sa mutation, près de l’ancienne usine à gaz, quartier mythique de la ville d’Annaba.
L’aile armée du contre-espionnage français (SDEC) jeta dans la nature des balles piégées qui nous ont été ramenées par la population. Il s’agissait au fait de balles qui implosaient dans les canons des fusils, détruisant l’arme et rendant ainsi vulnérable nos moudjahidine. Ce piège a fonctionné au départ et à coûté la vie à certains de nos valeureux djounoud. L’ennemi a eu aussi recours aux bombes à retardement au phosphore.
L’un de nos responsables militaires, Si Younes, été sérieusement blessé par l’une de ces bombes incendiaires au phosphore blanc, j’ai eu du mal à le secourir, tant il était très difficile et très délicat d’éteindre les flammes qui ont envahi ses vêtements et atteint une grande partie de son corps.
En effet, le phosphore blanc se propage à une vitesse vertigineuse.
Il dut son salut à la paysanne El Heiss et à Ammi El Tayeb qui lui prodiguèrent des soins traditionnels à base de jaune d’œuf et de peau de lièvre brûlée.
Par Seridi Abdelhak , Officier de l’ALN