Asie centrale : La fonte des glaciers menace toute une région

18/09/2024 mis à jour: 14:08
AFP
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Vue du glacier Adygene, dans les monts Tian-Shan au Kirghizstan, le 8 août

A près de 4000 mètres d’altitude au Kirghizstan, la scientifique Goulbara Omorova montre un amas de débris rocheux : «C’était un glacier, mais il a complètement disparu.» En Asie centrale, où l’eau manque déjà, la fonte des glaciers menace toute une région.  «Jusqu’à sa fonte il y a trois-quatre ans, c’était un glacier assez imposant, avec de la neige même en plein été», raconte à l’AFP la glaciologue dans le nord du pays, au coeur des montagnes du Tian-Shan qui s’étirent à travers toute l’Asie centrale. 

Les glaciers font office de châteaux d’eau cruciaux pour la sécurité alimentaire des Centrasiatiques, alimentant les fleuves notamment durant les mois sans précipitations. Mais ces réserves vitales d’eau douce s’amenuisent inéluctablement dans cette région aride et enclavée, à des milliers de kilomètres des mers les plus proches. «Nous mesurons partout la fonte avec nos balises», alerte Mme Omorova. «Et les glaciers ne peuvent pas se régénérer à cause de la hausse des températures», poursuit l’experte de 35 ans, arrivée après six heures de marche à la plus haute station scientifique d’Asie centrale, modeste mais cruciale pour l’étude - encore insuffisante - des glaciers. Un peu plus loin, Goulbara Omorova montre le glacier Adygene, qui recule «d’environ 16 mètres chaque année, soit plus de 900 mètres depuis les années 1960». A l’image de la tendance régionale : entre 14 et 30% des glaciers du Tian-Shan et du Pamir, les deux principaux massifs montagneux centrasiatiques, ont fondu ces 60 dernières années, estime la Banque eurasiatique de développement dans un rapport.    


Les données relevées par Mme Omorova sont inquiétantes, alors que 2024 sera probablement l’année la plus chaude jamais enregistrée, selon les prévisions de l’observatoire européen du changement climatique Copernicus. «La fonte est bien plus intense que les années précédentes», poursuit la spécialiste, notant déjà une baisse de plusieurs centimètres du niveau de la glace. Mais les moyens sont insuffisants au Kirghizstan, l’une des plus pauvres ex-républiques soviétiques. «Nous manquons de matériel de mesure, il n’y a pas assez d’argent pour tout acheminer vers notre station d’observation, où nous n’avons même pas d’électricité», regrette Mme Omorova, appelant à élaborer une loi pour protéger les glaciers. 


Moyens insuffisants et partage complexe des eaux

Sous ses pieds, le glacier Adygene a déjà pris une couleur grisâtre. L’eau de fonte se déverse dans un lac avant de dévaler la montagne dans un torrent tumultueux vers la capitale, Bichkek.  Plus bas dans la vallée - à tout de même 2200 mètres d’altitude -, les frères scientifiques Erokhine, Sergueï et Pavel, s’affairent au bord de ce même torrent, potentiellement dangereux à cause de la fonte accélérée. «Quand les glaciers fondent, des lacs glaciaires se créent. L’eau s’y accumule et ils peuvent exploser. Cette masse d’eau emporte avec elle des rochers, déboule dans la vallée et peut atteindre la ville» résume pour l’AFP l’aîné, Sergueï, 72 ans.  «Notre tâche est de surveiller la situation en haute montagne, de prévoir les possibles ruptures des lacs glaciaires, d’établir des cartes pour que les gens et infrastructures ne se retrouvent pas dans ces zones dangereuses», poursuit-il. Le cadet, Pavel, change la batterie d’un capteur «installé à environ 50 centimètres au-dessus de l’eau et qui émet un signal radio en cas de crue». 

A l’échelle régionale, la complexe distribution des eaux en Asie centrale, pensée sous l’URSS mais désormais caduque, reste un sujet épineux, malgré une meilleure coopération interétatique. Les pays se reprochent de ne pas respecter leurs obligations mutuelles en fourniture d’eau, avec le risque latent de voir un conflit éclater. «En Asie centrale, les ressources hydriques se trouvent au Kirghizstan et au Tadjikistan», deux pays aux sommets tutoyant les 7500 mètres d’altitude et comptant chacun environ 10  000 glaciers, explique Mme Omorova.  «Nous partageons l’eau avec nos voisins situés en aval», poursuit-elle, en référence au Kazakhstan, à l’Ouzbékistan et au Turkménistan, pays désertiques gourmands en eau où vivent les trois quarts des quelque 80 millions de Centrasiatiques. 

Et le Kirghizstan comme le Tadjikistan multiplient les initiatives pour attirer l’attention sur la catastrophe qui pointe. Avec un certain succès, 2025 ayant été déclarée par les Nations unies «année de la préservation des glaciers». «Si selon les prévisions antérieures, la superficie des glaciers (d’Asie centrale) diminuera de moitié d’ici 2050 et disparaîtra complètement d’ici 2100, cela pourrait en réalité se produire beaucoup plus rapidement», avait alerté l’an passé le président kirghiz Sadyr Japarov. Mais les glaciers centrasiatiques font face à une autre menace: l’appétit grandissant pour les immenses ressources naturelles de la région, comme les terres rares ou l’or. Leur extraction dans des zones montagneuses, avec des produits chimiques, participe au dépôt de poussière sur les glaciers et accélère leur fonte. 
 

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