Après le séisme : La double peine des femmes sinistrées

08/03/2023 mis à jour: 22:01
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Selon une bénévole d’une association en Turquie, «les femmes patientent dès le matin aux distributions de vivres, elles cuisinent, s’occupent des enfants et des personnes âgées, font la vaisselle, la lessive…»

Dans la petite clinique des femmes – un conteneur installé dans un parc d’Antakya, dans le sud de la Turquie –, l’étagère du Dr Günbegi recèle tout ce que ses patientes n’osent pas demander au-dehors.

Des sous-vêtements féminins, des produits d’hygiène intime, protections périodiques, traitements contre les infections locales, tests de grossesse... des soins qui ne nécessitent pas de visite à l’hôpital et un peu d’attention. Le chagrin, le stress, le manque d’hygiène et d’intimité, la promiscuité sous les tentes et dans les habitats de fortune, tout concourt à alourdir le quotidien des femmes dans les régions ravagées par le séisme du 6 février, qui a fait plus de 46 000 morts dans le sud et le sud-est du pays (et 6000 en Syrie). La «clinique» où reçoit le Dr Günbegi, un conteneur orange signalé par une pancarte en carton, a été installée par l’Association des médecins turcs dans un parc entre deux pans de ville dévastés : la vieille Antioche réduite à l’empilement de ses ruines d’un côté et des rangées d’immeubles plus récents, debout mais menaçants, à deux pas du fleuve Oronte.

Médecin légiste de 33 ans, elle accueille des femmes qui ont tout perdu : domicile, souvenirs, effets personnels et se retrouvent contraintes, parfois en deuil, à la promiscuité avec un accès compté aux douches et aux toilettes. Une de ses étagères reste mieux garnie que les autres : celle des préservatifs. «Les hommes rechignent à les utiliser», indique le Dr Meltem Günbegi en désignant les boîtes noires intactes. «C’est pourquoi les femmes viennent nous demander discrètement une contraception», poursuit-elle. Mais en dépit de la solidarité des pharmaciens du pays, «ce qui nous manque le plus, ce sont les pilules contraceptives» – une pénurie chronique en Turquie.

La charge du quotidien

«En trois jours, j’ai vu trois femmes enceintes en état de choc», reprend le Dr Günbegi. «Quand j’ai demandé si elles sentaient le bébé bouger, elles ont réalisé qu’elles n’y avaient plus pensé. Elles ont croisé la mort, les destructions, elles ont oublié le bébé.» «Un mois après, elles reprennent à peine conscience de leur état», estime-t-elle.

«La situation est dure pour tout le monde, mais les femmes sont confrontées depuis le début à de lourdes difficultés et supportent toute la charge du quotidien sur leurs épaules», note Selver Büyükkeles, 28 ans, bénévole de l’association féministe LGBT Mor Dayanisma. «Elles patientent dès le matin aux distributions de vivres, elles cuisinent, s’occupent des enfants et des personnes âgées, font la vaisselle, la lessive...» énumère la jeune fille, elle-même rescapée du séisme après des heures d’efforts pour se dégager des décombres. La situation traumatisante consécutive au séisme renforce un «fort sentiment d’insécurité», constate-t-elle. «Les femmes se sentent responsables de la situation de la famille, elles redoutent un nouveau tremblement de terre à chaque nouvelle secousse (plus de 13 000 en un mois, ndlr). Et l’environnement général, la vie sous les tentes, la promiscuité, les insécurise.»

Cependant, à ce stade, les militantes et médecins interrogées par l’AFP n’ont pas relevé davantage de violences ou d’abus domestiques, malgré les tristes records de la Turquie en la matière. Question de temps, met en garde Fidan Ataselim, secrétaire-générale de la plateforme «We Will stop the feminicides», qui appelle à mettre en place des mécanismes de prévention dans les régions sinistrées.

En 2022, au moins 327 femmes et 39 enfants ont été tués et 793 blessées selon la revue des Femmes qui compile les données. Dans le parc de l’Amitié, non loin de la clinique des femmes, le Parti des travailleurs a établi une permanence deux jours après le séisme et apposé des affiches en turc et en arabe, pour les nombreux réfugiés syriens : «Ici, zone sûre pour les femmes et les (personnes) LGBT+».

Une trentaine de tentes ont été dressées, surveillées par des volontaires qui assurent aussi leur sécurité quand elles se rendent aux douches ou aux sanitaires. Lundi, 150 à 200 femmes y avaient trouvé asile, indique une jeune militante de 23 ans, Aslihan Keles. Et le Parti des travailleurs, qui célèbre d’ordinaire le 8 Mars par une marche contestataire du pouvoir islamo-conservateur, a cette fois prévu des cadeaux pour les femmes sous les tentes.

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