C’est une véritable spirale de terreur qui semble avoir aspiré le Liban depuis les deux jours cauchemardesques de cette étrange «attaque aux bipeurs» qui a ébranlé le pays mardi et mercredi.
Cela a commencé avec cette série d’explosions simultanées de «pagers», ces appareils de transmission radio utilisés par des membres du Hezbollah, opération spectaculaire planifiée et exécutée avec une précision diabolique par les services secrets israéliens. Le lendemain, mercredi, ce sont des talkies-walkies préalablement piégés qui ont commencé à sauter.
Au cours d’une conférence de presse, avant-hier, le ministre libanais de la Santé, Firas Abiad, a détaillé le bilan des pertes humaines de cette double attaque. Les deux vagues d’explosions cumulées ont fait 37 morts et 2931 blessés, a-t-il affirmé. Il y a eu 12 morts et 2323 blessés le premier jour. 226 personnes touchées sont toujours en soins intensifs. Le deuxième jour, il y a eu 25 morts et 608 blessés, dont 61 sont en soins intensifs.
Si l’attaque n’est pas vraiment inédite par son mode opératoire, elle l’est en revanche par son ampleur. A ce titre, elle porte un coup dur non seulement au système de communication du Hezbollah mais surtout à son orgueil et à sa «crédibilité» en tant qu’organisation capable de tenir tête à l’hégémonie israélienne dans la région.
Nasrallah : «C’est une déclaration de guerre»
Dans un discours télévisé prononcé jeudi, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a distillé un certain nombre de messages destinés en premier lieu à rassurer sur l’état du mouvement de résistance libanais tout en adressant à Israël une riposte verbale avant la réponse militaire sur le terrain des affrontements. Pour lui, «l’ennemi israélien a franchi toutes les lignes rouges», en s’attaquant à des civils. Il en veut pour preuve que «certaines explosions se sont produites dans des hôpitaux, dans des marchés et sur la voie publique ainsi que des sites qui n’abritent que des civils».
D’après lui, Israël «escomptait tuer 4000 personnes en une minute», le premier jour, et «5000 personnes en deux minutes, sans aucune considération pour les victimes». Dès lors, nous sommes face à «une opération terroriste majeure», dit-il. «Et nous tenons à définir ce qui s’est passé mardi et mercredi derniers comme des massacres», a insisté le leader chiite. Il en déduit que ces deux agressions constituent un casus belli caractérisé. «C’est une déclaration de guerre», a-t-il martelé.
Hassan Nasrallah avoue : «Il va sans dire que nous avons reçu un coup énorme, tant sur le plan sécuritaire que sur le plan humain.» «C’est une attaque sans précédent dans l’histoire de la résistance au Liban. Ce mode d’action criminelle est inédit à l’échelle mondiale», reconnaît-il. Le chef du Hezbollah considère à juste titre que le haut niveau de sophistication technique dont témoigne cette offensive spectaculaire montre que «l’ennemi jouit d’une supériorité technologique».
Mais s’il a cette supériorité, c’est «grâce au soutien américain et celui de l’OTAN», fulmine-t-il. Nasrallah refuse pour autant de s’avouer vaincu. De son point de vue, le Hezbollah a un énorme avantage sur Israël : il l’a obligé à vider le nord du territoire occupé par l’Etat hébreu de 60 000 habitants. «Un ancien chef d’état-major adjoint israélien a décrit ce qui se passe dans le Nord comme une défaite historique pour Israël» argue-t-il.
«Front d’usure»
«Ce coup a été dur et puissant, mais il ne nous a pas fait vaciller et ne nous fera pas tomber», assure le secrétaire général du parti chiite libanais. Et de faire remarquer que le Hezbollah constitue «l’un des moyens de pression les plus importants» sur Israël. Il le qualifie de «front d’usure» dans la lutte contre l’impérialisme sioniste dans la région. «Le front libanais est l’un des instruments de négociation les plus importants que possède la résistance palestinienne», souligne-t-il.
Et malgré toutes les pressions et les offensives militaires pour anéantir ce front, «la résistance est restée fidèle à sa position et à son objectif, ce qui explique le recours de l’ennemi au niveau criminel le plus élevé possible», explique Nasrallah. Et de prévenir : « Nous disons au gouvernement ennemi et à l’armée ennemie que le front du Liban ne s’arrêtera pas tant que la guerre contre Ghaza n’aura pas cessé». «Le maintien de la résistance sur toutes ses positions signifie que l’ennemi israélien n’a pas atteint ses objectifs», poursuit-il. «L’occupant a voulu frapper le système de commandement et provoquer une déroute, mais cela ne s’est pas produit un seul instant.
Les bombardements à grande échelle n’ont pas affecté la structure de la résistance. (…) L’ennemi doit savoir que ce qui s’est passé n’a affecté ni son commandement ni sa présence sur les fronts», rassure-t-il. Commentant la stratégie israélienne, il lance : «En Israël, on parle d’une escalade dans le Nord, et il y a ceux qui parlent d’une guerre totale. Je dis à Netanyahu et à Gallant que vous ne pourrez pas renvoyer la population vers le Nord. La seule façon de ramener la population dans ces régions est de mettre fin à l’agression contre Ghaza et la Cisjordanie.»
Raid meurtrier sur Beyrouth
De son côté, l’armée israélienne a intensifié ses raids sur le Liban, notamment au sud. L’entité sioniste a affirmé avoir bombardé des plateformes de lance-roquettes, précisant avoir ciblé une centaine de lanceurs «et d’autres infrastructures représentant environ 1000 canons», rapporte l’AFP. Et ces opérations militaires contre le Hezbollah vont se poursuivre, a affirmé le ministre de la Défense, Yoav Gallant. Mercredi, ce dernier avait annoncé que le «centre de gravité de la guerre se déplaçait vers le Nord (vers la frontière avec le Liban, ndlr)». Selon l’agence de presse libanaise Ani citée par l’AFP, l’armée sioniste a frappé le sud du Liban à 52 reprises. Ce vendredi, les Israéliens ont annoncé avoir mené une «frappe ciblée» au sud de Beyrouth, bastion du «Hizb». Le raid ne s’est guère révélé aussi précis, puisqu’il a fait 9 morts et 59 blessés, selon le ministère libanais de la Santé. Le raid visait un haut cadre militaire du Hezbollah. L’AFP qui cite une source proche du parti chiite libanais nous apprend que «le chef de la force Al Radwan, l’unité d’élite du mouvement, Ibrahim Aqil, a été tué dans ce raid».
Pour sa part, le Hezbollah dit avoir mené, ce jeudi, 17 attaques contre 14 cibles militaires dans le nord d’Israël. Il précise dans un communiqué avoir ciblé «le principal quartier général des renseignements dans la région nord (d’Israël), responsable des assassinats (…) avec des salves de roquettes Katioucha». Quelques 140 roquettes ont été également tirées hier du Liban vers Israël à la mi-journée.
Alors que l’escalade semble avoir franchi un palier critique, prélude à une guerre régionale de haute intensité, les appels à la retenue se multiplient. Joe Biden pense «faisable» une résolution diplomatique du conflit entre Israël et le Hezbollah. Emmanuel Macron a adressé un message vidéo aux Libanais, estimant lui aussi qu’un «chemin diplomatique existe». Le chef de la diplomatie libanaise, Abdallah Bou Habib, a déposé de son côté une plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU pour «l’agression cyberterroriste israélienne qui constitue un crime de guerre». Mustapha Benfodil
L’Algérie convaincue de la nécessité d’imposer la paix à ceux qui la rejettent
Le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations unies (ONU), l’ambassadeur Amar Bendjama, a mis l’accent, jeudi à New York, sur l’urgence de prendre des décisions soutenues par des mécanismes de poursuite et de reddition de comptes, pour qu’elles puissent être appliquées, soulignant la conviction de l’Algérie quant à la nécessité d’imposer la paix à ceux qui la rejettent et n’y croient pas. «Aujourd’hui, nous avons besoin en urgence de décisions accompagnées d’un suivi rigoureux et de mécanismes de reddition de comptes. C’est pourquoi l’Algérie est convaincue que la paix doit être imposée à ceux qui la rejettent et n’y croient pas», a déclaré l’ambassadeur Bendjama dans son allocution lors de la réunion du Conseil de sécurité sur la situation au Proche-Orient, y compris la cause palestinienne. Après avoir appelé à «prendre une position ferme et claire quant à la situation dégradante dans la région», M. Bendjama a rappelé que «la principale mission du Conseil de sécurité est de préserver la paix et la sécurité internationales (...)», ajoutant que «la gravité de la situation au Proche-Orient requiert des actions rapides et décisives et que tout un chacun présent ici doit comprendre que la région est au bord du gouffre (...)». «Nous devons tirer les enseignements de l’histoire, afin de prévenir le pire d’une guerre régionale totale», a-t-il mis en garde. Le représentant permanent de l’Algérie a dénoncé les politiques de ségrégation menées par l’entité sioniste et ses tentatives d’exécuter des plans de nettoyage ethnique à Ghaza et de semer le chaos en Cisjordanie. «La puissance occupante impose également un nouveau statu quo, d’autant plus que cette année nous avons assisté à des niveaux sans précédent d’expansion des colonies et d’annexion des territoires en violation de la résolution 2334.» M. Bendjama a exprimé son indignation face à l’impunité dont jouit l’occupant sioniste, son désengagement des accords précédents et ses violations répétées du droit international qui est la base de l’établissement des sociétés civilisées. «Si nous voulons vraiment protéger les prochaines générations des affres de la guerre comme nous nous sommes engagés dans la Charte de l’ONU, la solution est claire : il ne peut y avoir de paix au Moyen-Orient sans l’établissement d’un Etat palestinien indépendant», a-t-il souligné. L’ambassadeur a évoqué, dans ce cadre, l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 19 juillet dernier adressé à l’AG de l’ONU et au Conseil de sécurité stipulant que «les modalités mettant fin à la présence israélienne illégale dans les Territoires palestiniens occupés, est une question à laquelle doivent œuvrer l’AG et le Conseil de sécurité». Et de s'interroger : «Effectivement, l’Assemblée générale a adopté hier une résolution dans ce sens. Ce Conseil continuera-t-il d’ignorer les principes fondateurs de l’ONU ? Que restera-t-il de ce Conseil s’il ne répond pas aux injonctions de sa plus haute juridiction ?» M. Bendjama a évoqué également la situation critique dans les Territoires palestiniens occupés, telle que briefée par Tor Wennesland, coordonnateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, en mettant la lumière sur «le terrorisme auquel sont confrontés les Palestiniens, y compris les enfants», déplorant «le double-standard et le mépris envers la vie des Palestiniens sur fond d’un racisme odieux que la communauté internationale n’a eu de cesse de condamner». «Nous réaffirmons, aujourd’hui, que la vie des Palestiniens compte et que les principes et droits de l’homme, semble-t-il, sont devenus le privilège de certains au détriment d’autres», a-t-il martelé. (APS)