Annulation des indemnités du Conseil supérieur de la magistrature

22/01/2022 mis à jour: 18:55
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Le président tunisien Kaïs Saïed / Photo : D. R.

Au-delà des éliminations des avantages des membres du CSM, c’est le rôle de cette structure qui constitue un gros différend entre l’autorité publique et les magistrats.

La magistrature, épine dorsale de l’Etat de droit, piétine en Tunisie, selon le président Saïed. Les juges, serviteurs de l’Etat, bloquent certaines procédures urgentes, comme le contrôle des élections. Décision a été prise par Saïed d’annuler les indemnités des membres du Conseil supérieur de la magistrature.

Le président Saïed est passé à l’acte, mercredi dernier, concernant la réforme de la magistrature, en mettant fin aux primes et privilèges accordés aux membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le Président tunisien a évité la dissolution du CSM, un corps élu par la corporation. Il s’est limité à éliminer les privilèges de l’instance, comme le lui permet l’autorité publique. Lesdits privilèges étant octroyés par le CSM, pour les membres du CSM.

Différends

Depuis le coup de force du 25 juillet 2021, le président Saïed n’a cessé de s’attaquer à la magistrature, notamment pour n’avoir pas accordé l’importance requise aux infractions électorales. «Il y a des affaires concernant les élections de 2014 qui n’ont pas été encore clôturées, alors que le mandat électoral a expiré», s’est exclamé le président Saïed devant la ministre de la Justice et la présidente du corps judiciaire au sein du CSM.

D’autres affaires traînent en longueur, comme les assassinats politiques, avec, à la clé, des disparitions de preuves et des omissions accablantes, qui ont déjà entraîné, d’abord, la mise à l’écart du procureur, le juge Béchir Akremi, ancien procureur de la République près le Tribunal de première instance de Tunis I, avant qu’il ne soit ensuite suspendu et son dossier transmis au ministère public.

Le juge Béchir Akremi est connu pour sa connivence avec les islamistes d’Ennahdha depuis le temps de la troïka en 2012/2013, lorsque Noureddine Bhiri était à la tête du ministère de la Justice.

Ce dernier est en résidence surveillée actuellement, pour des soupçons d’implication dans l’attribution frauduleuse de la nationalité tunisienne à des terroristes syriens. En plus, de forts soupçons pèsent sur ce même Akremi d’avoir manipulé dans le sens de scinder la magistrature tunisienne entre son clan et celui de Taïeb Rached, le 1er président de la Cour de cassation.

Le deal était parfait jusqu’à ce que Rached accuse Akremi de graves omissions dans des affaires de terrorisme. La réplique d’Akremi fut immédiate avec une longue lettre au président du CSM, où il accuse Rached de suspicion de corruption financière en lien avec de gros dossiers qu’il examinait et de possession de biens non déclarés, dont les valeurs s’estiment à des millions d’euros. Les deux hauts magistrats se sont bousillés entre eux et c’est tout l’échafaudage judiciaire qui s’écroule.

Implications

Au-delà des éliminations des avantages des membres du CSM, c’est le rôle de cette structure qui constitue un gros différend entre l’autorité publique et les magistrats. «La magistrature est au service de l’Etat», n’a cessé de répéter le président Saïed.

La Tunisie veut s’inspirer de l’exemple français avec des magistrats concrétisant l’indépendance de la justice, tout en mettant en valeur la primauté de l’autorité de l’Etat. «L’Etat des juges n’existe pas, mais il y a les juges de l’Etat», a insisté le président Saïed devant le Conseil des ministres du 6 janvier 2022, tout en rappelant que «personne n’est au-dessus de la loi» et qu’il faut «poursuivre tous ceux qui ont commis des crimes contre le peuple tunisien».

Le président Saïed a entrepris ainsi sa bataille contre les barons de la justice, où les islamistes d’Ennahdha disposent de forts soutiens. «La bataille du Président ne sera pas facile, puisqu’il y a des intérêts mixtes entre les islamistes, corrompus, avocats, police judiciaire, etc.», reconnait Me Ridha Reddaoui, membre du comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohmed Brahmi.

Il est clair que ce comité soutient les mesures du président Saïed. Me Reddaoui attire l’attention sur la possible réaction des juges qui peuvent lancer une grève comme la dernière de deux mois, en novembre et décembre 2020, bloquant le service judiciaire. La Tunisie n’arrive, certes, pas encore à entamer ses grandes batailles.

 

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