Amérique latine : La Colombie à l’épreuve de la présidentielle et de sa soif de changement

28/05/2022 mis à jour: 00:54
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La Colombie se prépare à voter demain dimanche à une élection présidentielle plus polarisée que jamais, avec un opposant en favori, Gustavo Petro, qui pourrait devenir le premier président de gauche de l’histoire récente du pays.
 

Près de 38 millions d’électeurs sont attendus dans 12 000 bureaux de vote, où ils auront le choix entre six candidats, pour désigner un remplaçant au très impopulaire président conservateur sortant Ivan Duque, qui ne peut pas se représenter. 

Ce scrutin se déroule dans un climat de vives tensions politiques, après quatre années marquées par la pandémie, une forte récession, des manifestations urbaines massives et une aggravation de la violence des groupes armés dans les campagnes. 
 

Le «paro» (grève) national du printemps 2021, sévèrement réprimé par la police, a révélé l’ampleur des frustrations populaires face à la pauvreté et aux inégalités. 

Au cours du dernier mandat, aucune grande réforme de fond n’a été entreprise pour répondre à cette demande de justice sociale. Et beaucoup de Colombiens ont toujours le sentiment que «les élites sont déterminées à perpétuer un système socio-économique privilégiant une petite minorité», constate le groupe de réflexion International crisis group (ICG). Dans les zones rurales, les guérillas et groupes armés liés au narcotrafic ont accru leur emprise au sein des communautés, avec une avalanche de meurtres, déplacements, confinements et recrutements forcés, mettant à mal les quelque acquis de l’accord de paix signé 2016 avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxistes).
 

« Lutte acharnée » 
 

Dans ce contexte, la campagne a vu droite au pouvoir et opposition de gauche «se livrer une lutte acharnée», reflétant «le profond clivage politique de la société», selon l’ICG. En tête des sondages (41%), le sénateur de gauche Gustavo Petro, un ex-guérillero converti à la social-démocratie, ex-maire de Bogota et vieux routier de la politique, a su capitaliser sur la soif de «changement» dont il a fait l’emblème de sa campagne.
 

«Dimanche prochain changera l’histoire de la Colombie», assure le candidat de 62 ans, avec en colistière pour la vice-présidence l’Afro-colombienne Francia Marquez. Un pari réussi alors que cette modeste femme de chambre devenue militante féministe et antiraciste s’est déjà imposée comme l’un des phénomènes de cette présidentielle. 

Disant vouloir «redonner sa dignité au peuple», ce duo de la coalition du «Pacte historique» (arrivée en tête des législatives de mars) promet pêle-mêle justice sociale, retour à la paix, transition verte, lutte contre «l’économie prédatrice» et «l’autoritarisme». 
 

En face, le candidat conservateur Federico Gutierrez, ancien maire de Medellin (nord-ouest) crédité de 27% des voix, se pose en défenseur des Colombiens «ordinaires», auxquels il promet «ordre et sécurité», dénonçant les «discours de haine» d’une gauche toujours assimilée à l’épouvantail «communiste». M. Gutierrez - «Fico» pour ses partisans - a bien pris soin de se démarquer du président sortant et du Centre démocratique, au pouvoir, de l’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010), englué dans des démêlés judiciaires. 
 

Il tente de tirer profit «de la peur profonde que suscite Petro chez certains Colombiens, terrifiés à l’idée de devenir un nouveau Venezuela», relève Michael Shifter, du groupe de réflexion Inter-American Dialogue. «Fico» est désormais sérieusement talonné dans les sondages par un candidat indépendant, l’outsider Rodolfo Hernandez, un entrepreneur de 77 ans au discours populiste auquel s’est ralliée la candidate franco-colombienne Ingrid Betancourt. Un centriste, Sergio Fajardo, arrive en quatrième position. 
 

Volcan
 

La campagne a été marquée par des menaces d’assassinat contre M. Petro et sa colistière, qui ne s’expriment plus en public que derrière une haie de boucliers blindés, mais également contre «Fico». Menaces qui ont ravivé le spectre de décennies de violences politiques. Après des incohérences dans le pré-comptage des législatives, des doutes ont été aussi exprimés sur la fiabilité du processus électoral. Le camp Petro s’est dit inquiet face à ce qu’il estime être un «manque de garanties». 
 

Le gouvernement a promis le déploiement de près de 200 000 militaires et policiers dans tout le pays, alors que la Mission d’observation électorale (MOE), une coalition d’ONG locales, a constaté une nette augmentation de l’activité des groupes armés en période préélectorale. Le cartel du Clan del Golfo a, lui, imposé début mai aux populations rurales du nord une retentissante «grève armée» en représailles à l’extradition de leur chef «Otoniel» vers les Etats-Unis. 
 

Quelle que soit l’issue du scrutin, qui pourrait connaître un second tour le 19 juin, se posera la question de la gouvernabilité pour le nouvel élu. Considéré avec suspicion par les élites et une partie de l’armée, M. Petro sera-t-il en mesure de gouverner? Un «Fico» vainqueur pourra-t-il contenir un nouveau mécontentement social? «Deux sentiments dominent l’électeur : le besoin de changement (...), et la méfiance», juge Jorge Restrepo, professeur à l’université de la Javeriana. 

Un candidat centriste, Alejandro Guaviria, retiré de la course, a prévenu : «Il serait peut-être préférable d’avoir une explosion contrôlée avec Petro que de mettre le volcan en bouteille. Le pays exige un changement».

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