Pour la 3e fois, l’Afrique du Sud est revenu, jeudi dernier, devant la Cour international de justice (CIJ), pour demander à cette juridiction de l’Onu, «le retrait immédiat des forces armées israéliennes de Rafah et l’arrêt des opérations à Ghaza», où elle décrit une situation «humanitaire chaotique». Pretoria dénonce «le non-respect» par Israël des décisions de la CIJ et du Conseil de sécurité de l’Onu et exige l’accès des journalistes, de l’Onu, des ONG et des enquêteurs à Ghaza. Demandes rejetées, hier, par l’Etat hébreu, qui affirme «faire tout pour protéger la population, lui assurer les soins médicaux et l’aide humanitaire». L’un des magistrats de la Cour a demandé un rapport sur les mesures prises, devant être remis au plus tard aujourd’hui.
Les audiences publiques relatives à la demande par l’Afrique du Sud, des mesures conservatoire additionnelles contre Israël, et liées à la situation humanitaire à Ghaza, ont pris fin hier, après deux jours de plaidoiries, devant la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’Onu, basée à La Haye, aux Pays-Bas. Des audiences ont été programmées à la suite de la seconde requête en indication de Pretoria, déposée le 10 du mois en cours, réclamant des mesures conservatoires additionnelles à celles décidées par la même juridiction, le 26 janvier et 28 mars derniers.
Pour l’Afrique du Sud, les mesures précédemment indiquées «ne sont pas susceptibles de répondre pleinement à l’évolution de la situation et aux faits nouveaux sur lesquels se fonde sa demande».
Durant les deux heures de plaidoiries, le collectif de sept experts, à leur tête son ambassadeur, aux Pays-Bas, Vaughan Lowe, l’Afrique du Sud s’est attelée à mettre un argumentaire pertinent pour expliquer devant la Cour que «l’attaque menée contre les Palestiniens à Ghaza est d’une telle nature qu’elle ne peut que viser la destruction de ce groupe, même si certains, en Occident notamment, refusent encore de le croire.
L’impunité institutionnelle dont a bénéficié Israël jusqu’à présent a contribué à ce génocide qui choque la conscience de l’humanité (…)». D’autres intervenants lui emboîtent le pas.
Ainsi, l’avocate Adila Hassim estime que «les caractéristiques des actes génocidaires apparaissent à travers le nombre de civils tués par Israël, les conditions humanitaires catastrophiques, les attaques systématiques contre les installations sanitaires de Ghaza, la découverte de fosses communes, l’absence d’endroit sûr pour les habitants, etc.» Très émue, l’avocate parle, les larmes aux yeux, des «crimes contre les enfants et les conséquences catastrophiques de ces crimes qui vont les traumatiser pour le reste de leurs jours ! Selon l’ONU, plus de 14 500 enfants ont été tués à Ghaza, depuis le 7 octobre 2023».
D’après l’oratrice, «la situation résultant de l’attaque israélienne contre Rafah et le risque extrême qu’elle fait peser sur l’acheminement de l’aide humanitaire et la fourniture des services de base à Ghaza, la survie du système médical palestinien et la survie même des Palestiniens de Ghaza en tant que groupe ethnique ne constituent pas seulement une escalade de la situation, mais occasionnent de nouveaux développements qui causent un préjudice irréparable aux droits du peuple palestinien de Ghaza».
Avec un collectif de sept représentants, à leur tête l’ambassadeur sud-africain aux Pays-Bas, l’Afrique du Sud a estimé qu’Israël n’a respecté ni l’ordonnance du 26 janvier ni celle du 28 mars 2024, qui a fait le constat d’un risque accru de génocide et faisait état de mesures conservatoires supplémentaires.
«Mais depuis, la situation s’est encore aggravée. Les aides humanitaires sont empêchées ou interdits d’accès à Rafah, où toute la population qui y est réfugiée et est menacée. Le 10 mai, l’Afrique du Sud a demandé de nouvelles mesures conservatoires, notamment un cessez-le-feu et le retrait de Rafah.»
L’Afrique du Sud : «des fosses communes expriment pour masquer ses crimes»
Pour Pretoria, la situation à Ghaza a changé en raison du fait que «Rafah est aujourd’hui le dernier refuge à Ghaza, dont Israël contrôle désormais tous les points d’entrée à Ghaza, utilise l’intelligence artificielle pour tuer encore plus de Palestiniens et que des charniers et des fosses communes ont été découverts, prouvant ainsi la volonté d’Israël de masquer ses crimes et effacer les traces de ces derniers. Ce qui démontre qu’il y a urgence à réagir pour arrêter ces crimes et empêcher qu’ils se déroulent».
Abondant dans le même sens, Tembeka Ngcukaitobi évoque «l’intention génocidaire», en s’appuyant sur les déclarations, le 30 avril dernier, du ministre des Finances israélien, Smotrich, promettant : «Pas de demi-mesures. Rafah, Deir Al Balah, Nusseirat c’est l’annihilation totale.
Tu effaceras le souvenir d’Amalek de sous les cieux, absolument tous les cieux», avant de rappeler aussi que le vice-président du parti Likoud, Shimon Boker, avait déclaré le 3 mai : «Je crois que nous aurions dû envahir Rafah hier. Il n’y a pas d’innocents. Il faut y aller et tuer, tuer, tuer… Nous devons les tuer tous avant qu’ils ne nous tuent», a-t-il déclaré avec cynisme.
Pour étayer sa présentation, l’intervenant projette un enregistrement vidéo dans laquelle on voit des soldats israéliens se préparer à aller «détruire Rafah». Selon lui, cela montre l’intention de détruire la ville et ses habitants (…) Israël intensifie ses attaques et viole sciemment les mesures conservatoires et les résolutions contraignantes du Conseil de sécurité et se voit exempté de respecter le droit international.
Cette impunité d’Israël a choqué la conscience de l’humanité. Le génocide se déroule dans le contexte de la Nakba qui se poursuit «(…) Nous commémorons le 76e anniversaire avec les déportations, les exécutions, le remplacement de la population par les colons (...) Un processus criminel entériné par 76 années d’apartheid.
Les Palestiniens doivent constamment fuir pour sauver leur vie (…) Si la Cour n’agit pas maintenant, la possibilité de reconstruire une vie à Ghaza sera anéantie (…) Le droit de légitime défense n’est pas éternel et ne peut justifier la famine. La légitime défense et rien ne saurait justifier un génocide. C’est une norme impérative du droit international (…) Pour sauver des vies, il est essentiel de mettre fin aux opérations militaires à Ghaza (…)
La Cour n’est pas impuissante. Elle doit agir pour assurer son autorité et le droit international. Si Israël continue de nier tous ces actes et n’empêche pas la commission de ces crimes, la Cour doit lui rappeler ses obligations ainsi qu’à tous les autres pays qui l’aident à poursuivre ses opérations», a déclaré l’intervenant.
Lui succédant au prétoire, Blinne Ní Ghrálaigh conclut la plaidoirie en rappelant que «malgré toutes les ordonnances de la Cour, Israël n’a pas stoppé ses horreurs à Ghaza», avant de demander à la juridiction «d’ordonner des mesures supplémentaires (…) le non-respect par Israël des ordonnances de la Cour souligne la nécessité de mesures supplémentaires.
Israël ne peut pas assurer la sécurité des Palestiniens à Ghaza, tout en les bombardant et en les exécutant. Israël a intensifié sa campagne génocidaire en entrant dans Rafah». Le collectif sud-africain réclame à la CIJ «d’ordonner à Israël de se retirer immédiatement du gouvernorat de Rafah et Ghaza, de cesser son offensive militaire et de prendre toutes mesures pour garantir l’accès à Ghaza, à l’ONU, aux enquêteurs, aux ONG et aux journalistes».
Israël : «Les incidents durant la guerre ne constituent pas des génocides»
Hier, c’était au tour de la défense d’Israël de répondre aux demandes sud-africaines à travers deux avocats. Le premier commence par regretter qu’au moment où Israël préparait son rapport exigé par la Cour, il reçoit une nouvelle convocation, et sa demande de report a été rejetée. L’avocat officiel est en voyage et les autres sont indisponibles, elle a demandé un renvoi en raison de l’absence de son avocat principal et l’indisponibilité de ses autres avocats, mais elle a été rejetée.
Résultat, Israël n’est pas représenté comme il se doit. Par respect à la Cour, «d’autres avocats d’Israël se sont présentés». Pour l’Etat hébreu, «l’affaire est totalement détachée de la réalité (…) Rafah est le bastion principal de Hamas et un point de départ des opérations terroristes. Ce qui se passe est une guerre tragique et non pas un génocide, les incidents marginaux durant cette guerre ne peuvent constituer un génocide (…)».
L’intervenant accuse l’Afrique du Sud d’avoir «dénaturé la réalité pour appuyer sur ses allégations de génocide», puis revient sur Rafah, en disant que si elle tombe, Ghaza tombera aussi, évoquant «des opérations ciblées» en avançant à chaque fois le prétexte «de légitime défense» et dénonce «une lecture erronée» du droit international.
Il souligne qu’«Israël ne sous-estime pas les rapports de l’Onu et des autres sources, toutefois, il ne faut pas les prendre automatiquement comme source fiables». Il remet en cause le bilan des victimes qui, selon lui, «n’est pas réel (…) Les listes comprennent également des membres de Hamas et comportent des erreurs pour faire croire à un génocide.
Le nombre total des personnes tuées dans une guerre n’est pas une preuve de violation du droit international». Pour lui, le rapport de l’Afrique du Sud «regorge de mensonges», accusant Pretoria, d’être «tombé très bas» en faisant «le parallèle avec la Shoah et les massacres de Srebrenica».
Lui emboîtant le pas, sa consœur conteste toutes les révélations de la plaignante avant d’énumérer les mesures prises pour protéger les civils, comme «l’installation de huit hôpitaux de campagne à Ghaza et à Rafah, en attendant d’autres en voie de réalisation, la prise en charge des malades, l’accès aux médicaments», avant d’appeler l’Afrique du Sud «de dire à son allié Hamas de ne plus utiliser les hôpitaux comme refuge».
Elle fait état des «aides humanitaires envoyées à la population civile qui augmentent significativement» et nie catégoriquement «toute attaque des forces israéliennes contre le personnel médical ou des malades dans les hôpitaux. L’armée fait tout ce qui est en son pouvoir pour protéger le corps médical et les patients. Nous combattons Hamas par la population civile que nous protégeons».
En moins des deux heures, la défense d’Israël a plié sa plaidoirie en demandant à la Cour de rejeter les demandes des plaignants. Un des magistrats de la Cour leur a demandé de transmettre un rapport contenant toutes les mesures concrètes qu’Israël a prises pour protéger la population, au plus tard, demain (aujourd’hui), alors que la Cour a signifié à Pretoria qu’elle a jusqu’à lundi prochain, pour répondre aux exposés israéliens. La décision de la Cour n’est donc pas pour bientôt et n’interviendra pas avant mercredi prochain.