Lors de leur procès devant la cour d’appel criminelle d’Alger, Saïd Bouteflika, frère conseiller du défunt président déchu, et Tayeb Louh ancien ministre de la Justice, ont été très durs avec le défunt vice-ministre de la Défense, Gaïd Salah, et l’ex-ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, accusés d’être «des personnes aveuglées qui ont commis un crime». Saïd Bouteflika affirme avoir été «condamné» pour son «silence», alors que Tayeb Louh dénonce la politique d’«El Mendjel», (la faucille), prônée par l’Etat en 2019. Le parquet a requis 10 ans de réclusion contre Louh, 5 ans contre Bouteflika, d’autres peines de 7 ans et d’un an.
Durant leur procès devant la cour d’appel criminelle à Alger, l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh et Said Bouteflika, frère conseiller du défunt président déchu, se sont défendus en remettant l’affaire dans son contexte de l’époque, avant que le procureur général ne fasse hier, son lourd réquisitoire. Il réclame 10 ans de réclusion criminelle contre Tayeb Louh et une autre de 7 ans de réclusion, contre son inspecteur général, Tayeb Benhachem, son secrétaire général, Zouaoui Laâdjine, et la candidate à la députation, Meriem Benkelifa. Il a également demandé une condamnation de 5 ans de prison contre Saïd Bouteflika et l’homme d’affaires Ali Haddad, et une autre d’un an de prison contre les autres mis en cause.
Poursuivis pour avoir «interféré» dans le travail de la justice à travers des «instructions» pour «entraver le bon déroulement de la justice», ils ont été auditionnés pour quatre dossiers distincts, à savoir l’annulation des mandats d’arrêt lancés en 2013 contre l’épouse de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, et ses deux enfants, la libération d’un justiciable placé sous mandat de dépôt pour entrave à l’exécution d’une décision de justice, l’acceptation, en dehors des délais, d’un dossier de candidature d’une députée FLN, lors des élections législatives de 2017 et l’interférence dans le fonctionnement de la justice, au profit de la chaîne de télévision privée Beur TV.
Poursuivi lui aussi pour «abus de fonction» et «complicité à incitation à la partialité», Said Bouteflika, dès sa prise de parole, commence par revenir à son incarcération à la prison militaire. «Lorsque le juge d’instruction est venu à la prison pour m’entendre en tant que témoin, notre discussion était un peu électrique. J’ai refusé de parler. Il m’a menacé en me disant en ces termes : ‘‘Si vous ne répondez-pas vous assumez.’’ J’ai refusé de signer le procès-verbal…», dit-il avant que la présidente ne le ramène aux faits : «Il fallait se plaindre aux autorités compétentes.» Saïd Bouteflika poursuit : «J’ai été surpris en lisant le compte rendu, qui était pour moi un faux.»
La juge : «Pourquoi n’avez-vous pas déposé plainte ?» «Laissez-moi terminer. Ce juge s’appelle le colonel Amalou. Il a commis un faux…», lance Bouteflika avant qu’il ne soit rappelé à l’ordre par la présidente : «C’est vous qui êtes devant la barre pas le juge. Revenez aux faits. Vous êtes intervenu auprès du ministre de la Justice au profit d’Ali Haddad. L’avocate de ce dernier, Samia Abrous, vous a transmis un SMS, dans lequel, elle évoque des affaires d’Ali Haddad, en précisant que celles-ci nécessitent une intervention d’en haut.»
Saïd Bouteflika commence par affirmer qu’il a déposé une plainte contre le juge au tribunal militaire, puis revient au message (SMS), en affirmant qu’il lui a été transmis par Ali Haddad et qu’il l’a à son tour envoyé à Tayeb Louh. Selon lui, il s’agit, d’une affaire opposant un certain Nacer Kettane à l’Inapi, liée à la chaîne de télévision Beur TV. La juge : «Il y a eu une décision de justice en sa faveur.»
Bouteflika : «En 2018, Kettane a été débouté par la justice. Est-ce que l’auteur de ce jugement s’est plaint ? Où est donc l’interférence ? 80% du courrier que je recevais à la présidence sont renvoyés vers les ministres pour une prise en charge. Est-ce une interférence ?» Interrogé sur l’affaire Chakib Khelil, Bouteflika présente ce dernier comme un voisin de quartier, un ami d’enfance des membres de la famille et particulièrement du défunt Abdelaziz Bouteflika, avec lequel, souligne-t-il, il a grandi. «Un jour, le Président m’a dit qu’il venait de parler avec Tayeb Louh sur les mandats d’arrêt contre Chakib Khelil. Il m’a informé qu’il venait de me désigner pour suivre le dossier. C’est sa manière de gérer. Il charge quelqu’un d’une mission, et désigne quelqu’un d’autre pour suivre le dossier.»
«Une affaire qui restera un point noir dans l’histoire du pays»
La juge le ramène aux instructions relatives à l’annulation des mandats d’arrêt contre l’épouse et les deux enfants de Khelil et Bouteflika répond : «Je ne suis pas un homme de loi. Mon frère m’a demandé de suivre le dossier et non pas de donner des ordres. Pourquoi n’ont-ils pas attendu le retour du Président de sa convalescence à Val-de-Grâce en France, vers la fin de 2013 pour lancer ces mandats d’arrêt ? En 2019, un vice-ministre qui se lance dans des opérations d’arrestation et d’offense de la famille. C’est du jamais-vu !»
La présidente recadre l’accusé en le ramenant aux SMS trouvés sur son téléphone. «Ils ont pris les communications de manière brute. Chakib Khelil m’appelait tous les jours, à partir de Washington durant la maladie de mon frère. Notre relation avec lui était très forte. Nos familles s’échangeaient les visites, nos enfants se rencontraient souvent. Mais, l’expertise n’a pris en compte que quelques communications et quelques SMS.
On m’a condamné pour mon silence. Les journalistes me diffamaient souvent et je ne les connaissais pas. Ils écrivent que les mandats d’arrêt ont été annulés sur ordre du Président et de son frère et accusé de dossiers politiques de corruption. Je n’ai pas dit qu’il a annulé les mandats d’arrêt, mais qu’il m’a chargé de suivre le dossier après l’avoir confié au ministre de la Justice».
La juge l’interroge : «Ali Haddad vous a contacté pour l’aider dans son litige avec l’USMA.» Saïd Bouteflika nie catégoriquement. Il termine en déclarant que les «instructions indirectes ont été données par le Président à son ministre de la Justice, dans l’intérêt supérieur du pays, et aujourd’hui, le ministre de la Justice vient dire que les ordonnances sont illégales».
Hier, c’était au tour de Tayeb Louh de faire un lourd réquisitoire contre le système politico-judiciaire, qui l’a «traîné» lui et «des magistrats» en justice. Pour lui, cette affaire «restera un point noir dans l’histoire du pays». Il commence par s’interroger «où se trouvent les faits de «dilapidation de deniers publics et de corruption», contenus dans le communiqué du tribunal de Sidi M’hamed, publié en 2019, lors de sa mise en détention. «Le dossier concerne en fait la gestion judiciaire qui ne tombe sous le coup d’aucune loi pénale. C’est une affaire civile.» Par cette affaire, ajoute-t-il, «on a donné des arguments aux ennemis de l’Algérie, pour attaquer sa justice devant les instances onusiennes des droits de l’homme».
Tayeb Louh accuse «deux personnes aveuglées», précisant «le défunt vice-ministre de la Défense a donné des instructions à un officier, lequel a instruit Belkacem Zeghmati, alors procureur général près la cour d’Alger. Slimane Brahmi, alors ministre de la Justice, avait refusé de poursuivre pénalement les magistrats. Il a été tout simplement démis de ses fonctions, sur ordre du vice-ministre de la Défense, par chef de l’Etat, intérimaire, qui n’avait qu’une seule prérogative, celle d’organiser une élection présidentielle. Il n’avait pas le droit de démettre ou de désigner un membre du gouvernement, pourtant il a nommé un nouveau ministre».
«Aujourd’hui j’ai décidé de dire des vérités…»
Louh revient sur son parcours de magistrat, président du syndicat des magistrats, de ministre du Travail et de la Justice, puis lance d’une voix coléreuse : «Où allez-vous avec cette politique ? Le procureur de Sidi M’hamed a appris sa relèv, par la télévision. Le chef de l’Etat intérimaire n’avait pas le droit de le démettre. C’est un scandale. Est-ce de cette manière qu’on préserve le pays ?» La présidente le fait revenir à l’affaire de cessation de recherche et l’annulation des mandats d’arrêt contre les membres de la famille de Chakib Khelil.
Il fait l’éloge du juge d’instruction et déclare : «Aujourd’hui j’ai décidé de dire des vérités parce que j’ai divorcé définitivement de la politique. Deux ans après ma désignation à la tête de la justice, Zeghmati, qui était procureur général près la cour d’Alger, est venu me voir pour me dire qu’il avait commis de graves erreurs dans l’établissement des mandats d’arrêt contre Chakib Khelil, son épouse et ses deux enfants, que ses collègues lui en veulent pour ces faits et qu’il avait envie de se corriger. Il a écrit tout cela dans une lettre qu’il m’a adressée à moi et au Président. Elle est toujours dans les archives.» Saïd Bouteflika prend la parole et confirme que la lettre adressée à la Présidence est également aux archives.
Tayeb Louh poursuit : «Zeghmati m’a déclaré qu’il était en congé à l’étranger, lorsqu’on l’a rappelé pour lui dire que le ministre (à l’époque Mohamed Chorfi) avait besoin de lui en urgence. Il est rentré et on lui a donné l’ordre de faire le communiqué lié au lancement des mandats d’arrêt internationaux. On lui a même dit que le président de la République a donné ordre pour lancer immédiatement la procédure, alors que les concernés n’ont jamais été convoqués. Chakib Khelil en tant que ministre bénéficiait du privilège de juridiction. Personne à part la Cour suprême n’avait le droit de le convoquer.
Pourquoi cette erreur ? J’ai demandé au juge d’instruction qui était en charge du dossier et il m’a confirmé qu’il y avait des erreurs.» La juge lui demande s’il a donné des instructions pour procéder à la cessation de recherche et Tayeb Louh répond : «Chakib Khelil avait bénéficié de l’annulation du mandat en 2013, mais j’ai protégé le juge et le procureur général qui étaient à l’origine de ces erreurs. Je ne voulais pas nuire à leur personne. Aujourd’hui, les gens sont en liberté et Tayeb Louh en prison.» Il s’offusque : «La politique d’ «al mendjel» (la faucille) prônée par l’Etat en 2019 est une catastrophe», puis ajoute : «On a murmuré dans l’oreille du vice-ministre de la Défense que je menais une enquête sur ses enfants, alors que c’était faux.
Le Président après avoir reçu la lettre a demandé le dossier de Chakib Khelil, il a m’a dit qu’il y a eu une erreur, mais jamais il ne m’a parlé d’extinction des poursuites ou le non-lieu. Mme Khelil a la nationalité américano-palestinienne et ses deux enfants sont américains. Jamais ils n’auraient été livrés. Ils sont venus de leur propre gré. L’affaire est toujours en instruction, comment peut-on la débattre en audience ?» La présidente revient à la charge : «Avez-vous donné des instructions ?»
En colère, Tayeb Louh déclare : «Ceux qui ont géré ce dossier ont manqué d’intelligence. Si ça continue comme ça, vous allez vous-même, demain être touchée. Pas vous seulement, mais tous les autres magistrats.»
A propos de l’affaire de garde d’une petite fille, il explique «pour prendre un enfant il faut une décision définitive de garde et exécutoire. Cet homme est parti avec un huissier de justice, chez les grands- parents, pour prendre l’enfant avec une simple requête, et ce après la mort de la mère, à la suite des violences morales qu’il lui faisait subir. Le grand-père a refusé de remettre l’enfant. Il a été placé en détention après sa condamnation à 6 mois, lors d’une comparution immédiate. C’est du jamais vu. J’ai été informé et saisi le secrétaire général pour voir comment libérer ce grand-père. La présidente de la chambre d’accusation a fait une main levée.»