Le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a tenu jeudi dernier à «sonner l’alarme la plus forte possible» concernant la situation en Cisjordanie occupée. Volker Türk s’exprimait devant les journalistes à l’issue d’une visite effectuée au poste-frontière de Rafah (séparant l’Egypte de la Bande de Ghaza), et devant le mener également à Amman, en Jordanie, et à Tel-Aviv.
Cette dernière étape restait jusqu’à hier hypothétique et attendant l’aval du gouvernement israélien. «Nous ne voyons pas d’intérêt à la visite du chargé des droits de l’homme à l’ONU», avait, il y a quelques jours, dédaigneusement commenté le cabinet de Benyamin Netanyahu qui, en l’occurrence, n’en est pas à sa première marque d’irrévérence à l’égard des instances onusiennes. «Je suis profondément préoccupé par l’intensification de la violence et la grave discrimination contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est.
A mon avis, cela crée une situation potentiellement explosive», a encore développé M. Türk, se référant à des rapports de plus en plus nombreux comportant des «allégations extrêmement graves de violations multiples et sérieuses du droit international humanitaire». L’homme en appelle à la mise en place d’une commission d’enquête internationale pour situer les responsabilités, et en termes de responsabilité l’on devine la partie incriminée derrière la réserve diplomatique.
L’horreur sans limites abattue sur Ghaza depuis près d’un mois et demi et son fracas universel voilent des exactions quotidiennes en Cisjordanie qui, chaque jour davantage, poussent les près de 3 millions d’habitants des territoires occupés, et censément gouvernés par l’Autorité palestinienne, dans leurs derniers retranchements.
Le gouvernement israélien profite du contexte pour lâcher la bride à ses membres ouvertement suprémacistes pour multiplier les provocations et instaurer de nouveaux faits accomplis territoriaux. Il faut juste rappeler que l’un des principaux motifs invoqués par les brigades d’Al Qassam, en menant leurs attaques du 7 octobre dernier, a été les «profanations» répétées des ministres d’extrême droite israélienne contre l’Esplanade des mosquées à El Qods.
La situation confirme, si besoin, que Tel-Aviv ne déclare pas la guerre seulement au Hamas et ses combattants, ni même seulement à la population de Ghaza, coupable à ses yeux de soutien populaire au Mouvement, mais à tout le peuple palestinien et ses aspirations tenaces à la souveraineté. Les territoires déjà exsangues et tendus de Cisjordanie avant la déflagration du 7 octobre sont depuis cette date soumis à une pression sécuritaire qui est allée en s’aggravant durant ces dernières semaines.
Incursions militaires dans les camps de réfugiés, de jour comme de nuit, rafles brutales et tirs sans sommation au moindre jet de pierre ou manifestation de colère… sont le lot quotidien des Palestiniens. Selon un bilan de la petite administration qui tient lieu de ministère palestinien de la Santé, plus de 200 jeunes ont été tués depuis un mois.
La situation est en train de virer à la confrontation armée depuis des jours, bien entendu suivant le même acharnement disproportionné et indiscriminé de la machine de guerre israélienne. Hier encore, des incursions nocturnes ont été menées dans des villes et camps de réfugiés durant lesquelles deux Palestiniens ont été tués à Jenine, et plus au sud dans la région de Bethleem.
Les colons en escadrons de la mort
Deux gamins de 16 et 17 ans ont été par ailleurs blessés par balles, selon le Croissant-Rouge palestinien. La veille, la ville de Naplouse, située au nord du territoire occupé et relativement épargnée jusque-là par les épisodes de tension, s’est réveillée sur une violente frappe aérienne qui a ciblé le camp de réfugiés de Balata et tué 5 combattants du Fatah, mouvement politique de résistance fondé par Yasser Arafat et présidé actuellement par Mahmoud Abbas. L’armée israélienne déclare là aussi avoir «éliminé des terroristes qui préparaient des attaques imminentes contre des civils et cibles militaires israéliens».
Les camps de réfugiés de la ville de Jenine, dans ce même territoire en lambeaux du Nord, depuis des semaines en ébullition, avaient subi, il y a une dizaine de jours, des raids d’envergure qui se sont soldés par la mort de 14 Palestiniens, présentés par l’armée israélienne comme des membres de groupes armés s’apprêtant à lancer des attaques.
Une véritable guerre est menée en Cisjordanie, alors que les yeux horrifiés du monde sont accaparés par le supplice de Ghaza. Une guerre qui ne fait que monter en intensité, alors que l’Autorité palestinienne, à sa tête le président Mahmoud Abbas, assiste impuissante à ces ultimes coups portés à sa légitimité déjà chancelante et son pouvoir réduit. L’administration palestinienne, coincée dans ses bureaux à Ramallah, interpelle depuis des semaines les instances internationales sur les exactions d’une autre armée d’occupation contre les Palestiniens.
Celles de près de 500 000 colons israéliens ayant proliféré en Cisjordanie ces dernières années en toute illégalité, et dont les appétits territoriaux se sont déchaînés depuis environ un mois. Les échos et les rapports de l’ONU font état d’expéditions nocturnes armées contre les bédouins palestiniens pour les mettre en demeure d’abandonner leurs terres sous peine d’être massacrés avec leurs familles.
Selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), la violence des colons a significativement augmenté depuis un mois pour atteindre le nombre de sept incidents graves par jour, alors que les rapports faisaient état de trois par jour durant l’année.
171 attaques de colons, détaille encore le bureau, ont été circonstanciées faisant des victimes parmi les Palestiniens et entraînant des dommages matériels à 115 propriétés, durant les quelques dernières semaines. «Les cas de harcèlement, d’intrusion et d’intimidation ne sont pas inclus dans les rapports, bien qu’ils augmentent eux aussi la pression sur les Palestiniens pour qu’ils quittent leurs terres», précise l’OCHA dans son rapport arrêté au 1er novembre dernier.
Se considérant en territoire conquis, les colons décrètent également des restrictions de mouvement aux Palestiniens, en bloquant les routes selon les caprices de leurs appétits d’expansion, allant jusqu’à détériorer les ressources en eau dont dépend l’activité des éleveurs autochtones. Des destructions ont été perpétrées contre 24 structures résidentielles, 40 bâtiments utilisés à des fins agricoles, 67 véhicules et plus de 400 arbres et arbustes, lit-on dans le même rapport.
Enfin celui-ci s’inquiète du recours de plus en plus fréquent aux armes à feu. «Le 12 octobre, huit ménages, comptant 51 personnes, ont été déplacés de la communauté d’éleveurs de Shihda WaHamlan à Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, après que des colons les aient menacés avec une arme, leur disant qu’ils les tueraient et mettraient le feu à leurs tentes pendant la nuit», relate encore l’OCHA.
L’extrême droite se déchaîne
Une dizaine de Palestiniens au moins ont été abattus directement par ces escadrons de la terreur et de la mort. Le document fait une précision de taille : les forces de sécurité israéliennes «ont accompagné ou soutenu activement» les assaillants dans près de 50% des cas.
Rien d’étonnant cependant quand on sait les pulsions et projets du gouvernement israélien dans le contexte. Quelques jours à peine après les attaques du Hamas, le 7 octobre dernier, le sinistre Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale à Tel-Aviv, annonçait la distribution de 10 000 fusils d’assaut en renfort à l’arsenal des colons, appelés désormais à se constituer en «unités civiles de sécurité».
Le chef du parti d’extrême droite Force juive, déjà des dizaines de fois condamné pour incitation à la violence, réalise en l’occurrence un fantasme de jeunesse, celui d’éradiquer toute présence palestinienne sur le territoire, de préférence via des tueries à grande échelle.
L’attelage raciste que constitue le gouvernement Netanyahu renferme également d’autres nervis, dont le ministre des Finances, Bezalel Smotrich qui prône la guerre totale à Ghaza comme en Cisjordanie, et l’ultra fondamentaliste Amichay Eliyahu (chargé du patrimoine dans le même exécutif) qui, il ne faut pas l’oublier, pense tout haut que la bombe nucléaire pourrait être une solution au problème de la résistance palestinienne.
Asphyxiées économiquement et socialement et harcelées militairement depuis plusieurs semaines, les populations de Cisjordanie subissent de surcroît la torture morale d’assister impuissantes au massacre des Ghazaouis.
Selon un sondage récent de l’université de Bir Zeit, près de 70% des Palestiniens des Territoires occupés applaudissent les attaques du 7 octobre dernier. La région risque à tout moment de craquer et de basculer dans l’action armée, selon de nombreux diplomates et rapports onusiens.