Expulsés d’Espagne et détenus à la prison militaire de Blida pour leur désertion des rangs de l’armée, Mohamed Azouz Benhalima et Mohamed Abdellah ont comparu hier, en appel, devant la chambre pénale près la cour d’Alger, pour plusieurs affaires liées à leurs publications et diffusions de vidéos sur les réseaux sociaux.
Le premier à être appelé à la barre est Benhalima, ex-caporal, expulsé d’Espagne au mois de mars dernier, poursuivi pour trois affaires distinctes. Dans la première, il lui est reproché, entre autres, d’avoir publié et diffusé de «fausses» informations à caractère «diffamatoire, attentatoire à la vie privée des personnes et à l’intérêt suprême du pays». Des faits pour lesquels il a été condamné en première instance à 8 ans de prison ferme.
D’emblée, le prévenu nie catégoriquement les griefs et demande : «Comment puis-je attenter à l’intérêt de l’Etat ?» Puis dénonce : «Ils m’ont emmené à Saoula pour se venger de moi. Ils m’ont déshabillé et pris tout mon linge d’été, m’ont torturé et gardé en isolement total durant 4 mois…».
La juge lui cite quelques noms de personnes qui lui ont transmis des informations, mais Benhalima nie. «Je ne sais même pas de quelle vidéo vous parlez. Je ne connais aucune de ces personnes. On parle même d’un conseiller du ministre de la Justice, est-ce possible ? Devant le tribunal, j’ai tout nié et expliqué au juge que c’était inconcevable, mais le juge m’a condamné à 8 ans. Je suis poursuivi dans 35 affaires pour les mêmes faits et les mêmes chefs d’inculpation. J’ai été condamné à plusieurs peines, même la peine de mort pour désertion.» La juge : «Niez-vous être à l’origine de ces publications ?» Benhalima : «Dans toutes mes publications, je dénonce la corruption et la Constitution me protège.»
La juge : «A quel titre le faites-vous ?» Benhalima : «Je suis lanceur d’alerte.» La juge : «Vos publications comportent de la diffamation, de l’atteinte à la vie privée d’autrui.» Benhalima : «Ceux qui ont monté le dossier ne connaissent pas le droit. Ils ont ajouté des faits nouveaux qui n’existaient pas.» La présidente se tourne vers le procureur général, qui se montre irrité par les propos du prévenu. «Tous les jours, il vient nous raconter la même histoire en niant les faits qui lui sont reprochés», déclare le magistrat, qui s’emporte en remarquant le sourire de Benhalima. «Ici, nous ne rigolons pas», dit-il sèchement avant de requérir une peine de 10 ans de prison ferme.
L’avocat de Benhalima, Me Belahreche, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il rappelle les articles de loi qui pénalisent le recours à la torture, mais aussi les conventions internationales qui l’interdisent et que l’Algérie a signées. «Il est anormal qu’un prévenu déclare avoir été torturé et le procureur n’ouvre pas d’enquête sur le champ. Le pouvoir judiciaire est dans l’obligation de veiller au respect de la loi. Dans ce dossier, toutes les procédures n’ont pas été respectées. J’ai 31 affaires pour les mêmes faits, et j’ai une plainte pour torture et personne ne veut ouvrir d’enquête. Lui-même est une victime. C’est une affaire politique qui ne dit pas son nom. Il a été poursuivi pour espionnage, délit annulé par le juge d’instruction mais pour lequel il a été condamné à 8 ans. Ce dossier est une injustice. Benhalima doit être relaxé.»
Les graves accusations de la défense
La juge entame le deuxième procès, dans lequel il comparaît avec un officier de police, Hatem Chaalal, pour des faits liés à des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Benhalima conteste ces enregistrements. La juge : «C’est Hatem qui vous les a envoyées…» Benhalima : «Je ne le connais pas et puis comment pourrais-je attenter à l’intérêt du pays juste avec des déclarations ? Si c’est le cas, pourquoi Naïma Salhi et Khettal n’ont jamais été inquiétés alors que leurs déclarations touchaient gravement à l’intérêt suprême du pays ?»
Tout au long de l’interrogatoire, Benhalima n’a cessé de rejeter les faits, alors que le procureur général a clamé l’aggravation de la peine de 5 ans, proclamée en première instance. Me Belahreche tente de battre en brèche la crédibilité de l’enquête, en affirmant que la discussion sur la messagerie «a été créée de toutes pièces par la police judiciaire, puisque les deux ne se connaissaient pas. Il était en prison à la date d’enregistrement, comment peut-il communiquer ? Ce genre de dossier est très grave. Rendez justice à Benhalima !»
En prenant la parole, Benhalima déclare à la juge : «J’ai déjà été condamné pour ces faits.» Et elle réplique : «Donnez-moi le jugement.» Le prévenu explique qu’il ne l’a pas. L’affaire est mise en délibéré pour le 4 septembre.
Le troisième procès concerne également les publications et pour lequel Benhalima a écopé d’une peine de 3 ans de prison ferme. Le prévenu persiste à nier les faits en s’insurgeant. «J’ai 35 procès pour les mêmes griefs et les mêmes victimes», dit-il avant que la présidente ne le fasse revenir aux faits, une vidéo dans laquelle il implique un officier de police, Ahcène Saheb, dans des affaires de corruption. «Cette vidéo n’était pas mon objectif. Je l’ai trouvée sur les réseaux sociaux et j’en ai fait un live. Je ne l’ai pas piratée. J’ai repris les informations qu’elle comportait.»
La juge : «Vous avez diffamé l’officier.» Benhalima : «Ce n’est pas vrai. La publication était déjà sur les réseaux sociaux. Je l’ai même appelé pour avoir son avis, mais il était injoignable. S’il était un homme bien, il n’aurait jamais été cité.» Le procureur général a clamé l’aggravation de la peine de 3 ans, mais l’avocat plaide la relaxe en rappelant que la loi protège les dénonciateurs. Le verdict sera donc connu le 4 septembre prochain.
Benhalima quitte la barre et c’est Mohamed Abdellah, ancien sergent-chef de la Gendarmerie nationale dont il a déserté les rangs avant d’être expulsé d’Espagne en août 2021, qui lui succède pour deux procès en lien avec ses activités sur les réseaux sociaux. Le premier concerne la diffusion de vidéos et de photos, qui lui a valu une condamnation de 3 ans. Il avait comparu avec une avocate du barreau de Tizi Ouzou, Kahina Belkessa, qui elle a écopé d’une peine de 3 mois avec sursis. La présidente renvoie, au 11 septembre prochain, l’examen de ce dossier, à la demande de la défense, puis entame la seconde affaire, pour laquelle il a été condamné à 3 ans de prison en première instance.
Il s’agit de la diffusion d’une vidéo dans laquelle Abdellah met en cause des membres de la zaouia Tidjania dans une affaire de trafic de 5 tonnes de cannabis. «J’ai eu des informations par d’anciens collègues, que je ne citerais pas, sur l’affaire des 5 tonnes de cannabis, qui avait déjà fait l’objet de publication sur les réseaux sociaux et que j’ai repris. J’ai exercé mon droit de citoyen d’alerter sur la corruption afin que la justice intervienne. Des membres de la zaouia Tidjania étaient impliqués dans ce trafic. Il fallait que je les dénonce. D’autres pages avaient déjà diffusé l’information.»
Le procureur général réplique : «Il n’y a pas eu d’alerte, mais une diffamation. Vous avez touché à l’honneur de personnes. Il s’agissait d’informations tendancieuses», avant de réclamer l’aggravation de la peine de 3 ans. Son avocat précise : «Nous sommes là pour veiller au respect de la loi. La victime, qui est une personne physique, a saisi la justice, elle a été entendue mais elle n’est jamais venue au tribunal pour expliquer de quelle manière elle a été diffamée et exprimer sa demande. Pour nous, il n’y a pas eu de diffamation.» Il termine en demandant la relaxe. Le verdict sera connu le 4 septembre prochain.
Il est à signaler que l’audience a également vu le renvoi, au 11 septembre 2022, du procès en appel du journaliste et patron du groupe médiatique Ennahar, Anis Rahmani, de son vrai nom Mohamed Mokadem.