Expulsé d’Espagne, la fin de mars dernier, Mohamed Benhalima, un sous-officier de l’armée, dont il a déserté les rangs, a comparu hier devant le tribunal de Bir Mourad Raïs, à Alger, pour une seconde affaire de publications sur les réseaux sociaux qui lui a valu, au début de l’année en cours, une condamnation par défaut à 10 ans de prison ferme.
Lors du procès qui s’est tenu devant la même juridiction, trois autres prévenus, dont Mohamed Abdellah, ancien gendarme, également expulsé d’Espagne, ont été condamnés à 6 ans de prison ferme, peine revue à la baisse par la cour d’Alger.
Entouré de gendarmes, Benhalima semblait tantôt serein, tantôt un peu déstabilisé. Le juge lui rappelle les griefs : «Diffusion de fausses informations qui portent atteinte à la sécurité du pays et à l’intégrité du territoire, atteinte à la vie privée des personnes, atteinte aux intérêts suprêmes du pays, etc.» liés à ses activités sur la Toile. «Certaines de vos sources, des médecins, des militaires, des policiers, des agents de la Caisse de sécurité sociale ont reconnu avoir alimenté vos comptes», lance le juge, et Benhalima réplique : «J’ai trouvé une quarantaine de pages à mon nom, alors qu’elles ne m’appartiennent pas. Ce n’est pas moi qui les alimentait.»
Le juge : «Vous aviez des comptes à votre nom…» Le prévenu confirme et explique qu’il les utilisait pour «dénoncer la corruption». Le magistrat lui demande s’il vérifiait le contenu des informations qu’il publiait ou non, et Benhalima déclare : «Les informations me sont transmises avec des preuves. Je ne publie pas sans en être certain. Elles concernent des faits de corruption.» Le juge : «Connaissez-vous vos sources ?» Benhalima : «Je ne les ai jamais rencontrées. Je les connais à travers WhatsApp et Messenger.»
Le magistrat lui demande alors s’il était en contact avec Amir Boukhors et Larbi Zitout. «Eux aussi, je les connais par la messagerie, pas physiquement. Ils m’envoyaient des informations à publier», répond-il, mais le juge réplique : «Et les autres, aussi, vous ne les connaissez pas, comme Hakim Chaalal ? Il y a 23 prévenus poursuivis comme vous qui vous alimentaient en informations. Ils ont reconnu les faits lors de leur procès.» Benhalima : «C’est une autre affaire. Mon combat est contre la corruption, pas contre les personnes.»
Le juge : «Vous publiez des informations relatives à la vie privée des personnes et de leurs familles, leurs voitures, leurs épouses, leurs enfants, etc. Où est la corruption ? A quel titre donnez-vous ce genre d’informations ? Etes-vous journaliste ?» Benhalima conteste. Pour lui, toutes ses publications, à part celles qui lui ont été envoyées et qu’il a publiées sur des comptes piratés, ne touchent pas à la vie privée. «Vos sources ont reconnu vous avoir transmis de fausses informations contre leurs responsables, pour se venger d’eux, parce qu’ils étaient en conflit avec eux. Qu’en pensez-vous ?» Benhalima garde le silence puis lâche : «Ils disent ce qu’ils veulent. Ce que je publie n’a rien d’attaque à la vie privée.»
Le procureur prend le relais. Il tente de déstabiliser le prévenu en lançant : «Vous dites que vos pages ont été piratées, qu’en est-il alors de vos déclarations sur YouTube ? Ont-ils scanné votre visage pour vous filmer en train de parler ?» «J’ai dénoncé des personnes considérées par le hirak comme des figures de la îssaba (gang) et de la corruption», répond Benhalima avant que le procureur ne l’interrompt.
«Ont-ils scanné votre visage ?»
«Ne parlez pas du hirak, parlez plutôt des faits qui vous sont reprochés !» Benhalima semble un peu irrité. Ses deux avocats entrent en jeu et lui posent une série de questions. Il explique que les informations qu’il publie sont avant tout vérifiées par ceux qui les transmettent, lesquels lui envoient des preuves pour valider leur publication. Concernant la «dizaine de victimes» qui se sont constituées partie civile dans l’affaire, Benhalima lance : «Ils m’accusent d’atteinte à des institutions de l’Etat. Est-ce que ces personnes représentent ces institutions ?» Le procureur réagit : «Lorsque vous vous attaquez à un officier de police ou de l’armée, les institutions qu’ils représentent sont en droit de se constituer partie civile. Vous les avez diffamés en tant que fonctionnaires et non pas en tant que personnes.»
Le prévenu affirme qu’il n’a «jamais été question de porter atteinte aux institutions de l’Etat ou à l’intérêt du pays. Pour moi, ce sont des lignes rouges. Je suis de ceux qui rêvent que notre pays se développe et devienne une grande nation, comme la Russie ou la Chine. Je lutte à ma manière pour y arriver». Le procureur : «Ce n’est pas en diffamant les fonctionnaires de l’Etat que vous allez développer le pays.»
Le président revient à la charge : «Etes-vous le seul à gérer votre compte ?» Benhalima : «Il y a aussi Smaïn Zitout, le frère de Larbi Zitout. Mais je sais que le régime a piraté mon compte et a porté atteinte à ma vie privée. J’ai des preuves que c’est à partir d’Alger que le piratage a été fait. J’ai déposé plainte en Espagne, et ils m’ont dit qu’il a été piraté à partir de Kouba.» Le procureur : «Vous ont-ils dit quelle institution ou entité a piraté votre compte ?» Le prévenu : «Non, il ont juste localisé une adresse à Kouba.»
Non convaincu des déclarations de Benhalima, le procureur requiert une peine de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende de 100 000 DA, la même requise par la même juridiction mercredi dernier.
Constituée de Mes Abdelkadir Chohra et Zakaria Belahreche, la défense a plaidé, quant à elle, la relaxe, en se basant sur le contexte politique du pays et les «dérives» qui l’ont marqué après le hirak du 22 février 2019. Selon Me Chohra, «depuis cette date, on constate que l’article 87 bis du code pénal est utilisé politiquement de manière abusive mais aussi sélective». Il dénonce les conditions dans lesquelles son mandant a été pris en charge depuis son retour au pays. «De Chlef, il a été emmené par les policiers à Saoula où il a été filmé sans qu’il soit mis au courant. Ils lui ont demandé de lancer un message.
Ce qu’il a fait et, par la suite, ils ont diffusé ses déclarations et l’ont transféré le jeudi vers Alger-Centre, puis remis deux jours plus tard au service de renseignement militaire. Il est devenu, subitement, un membre de Rachad. Il est déjà condamné par l’opinion publique. Il y a eu violation de l’article 18 du code de procédure pénale. Pourquoi le juger, puisqu’il est déjà condamné ?» L’avocat revient aux faits et affirme : «Benhalima vous a dit que son compte a été piraté et qu’une quarantaine de pages ont été créées en son nom.
C’est à vous de nous apporter la preuve qu’il ne dit pas la vérité, pas lui. Le doute doit être au profit du prévenu, c’est la loi qui le dit. Lorsque ce dernier a été filmé à son insu, n’est-ce pas une atteinte à sa vie privée ? Il fait l’objet de 17 plaintes dans 9 tribunaux. Jugez-le selon la loi !» Abondant dans le même sens, Me Belahreche s’est attaqué «au recours abusif» aux articles 76 et 79 du code pénal et qualifie le dossier comme douteux du fait qu’il ne repose, précise-t-il, sur aucune preuve et manque d’éléments constitutifs du délit.
En prenant la parole en dernier, Benhalima fait état des poursuites engagées contre lui dans 19 tribunaux pour les mêmes faits, sans compter l’action en justice au tribunal militaire de Blida, qui lui a valu la condamnation à mort. «L’Etat a détruit une vie. Des choses me sont arrivées chez la police à Saoula. Je ne vais pas les évoquer aujourd’hui. Ça sera fait le moment opportun.» Le juge met l’affaire en délibéré sous huitaine. Le verdict sera connu le 15 mai.