Pour l’économiste Ali Harbi, l’édition 2021 de l’évaluation sur l’économie algérienne par la Banque mondiale (BM) fait ressortir des points positifs, des faiblesses et des risques. Notre expert estime qu’il appartient aux pouvoirs publics de prendre en charge les faiblesses et de mettre en place des actions de maîtrise des risques relevés. Mais aussi d’améliorer les indicateurs et de communiquer sur les performances.
- Quelle appréciation faites-vous du dernier rapport de la Banque mondiale sur l’économie nationale ?
Au vu de la polémique qui est en train de naître, il est d’abord souhaitable de préciser quelques notions de base sur la relation entre l’Algérie et la Banque mondiale.
Comme tout le monde le sait, les institutions dites de Bretton Woods, à savoir le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, sont des organisations multilatérales intergouvernementales desquelles l’Algérie fait partie, et qui agissent, la première pour la régulation de la stabilité financière des Etats, et la seconde pour le financement du développement économique et social.
L’Algérie participe le plus normalement du monde aux organes et groupes de travail de la Banque mondiale et reçoit de manière périodique des missions d’évaluation de la Banque qui font partie des critères de participation de chaque pays au système multilatéral des organismes financiers internationaux.
Ce critère d’évaluation par une mission indépendante est très important car il permet à la communauté du financement international d’apprécier objectivement l’état économique d’un pays et ses trajectoires de développement.
Comme son nom l’indique, la Banque mondiale est une banque, et donc sa mission consiste à accorder des financements aux gouvernements pour leurs besoins de développement, et à opérer à des montages et des ingénieries financières pour mobiliser des investisseurs internationaux à la demande des gouvernements.
Les avis et évaluations de la Banque mondiale sont très recherchés au
préalable de tout processus d’investissement et/ou de financement international d’un projet de développement.
Pour l’Algérie, la Banque mondiale est un partenaire classique et structurel, même si depuis plusieurs années, il y a peu de projets financés par la Banque en Algérie, mais cette situation est appelée à changer dans les années à venir au regard des besoins importants de financements internationaux qu’aura à formuler notre pays dans le cadre de ses projets stratégiques, que ce soit pour les infrastructures, ou pour les projets économiques structurants, ou pour les actions en rapport avec l’environnement et l’adaptation aux changement climatiques.
Il faut savoir que les rapports d’évaluation annuelle sont établis en collaboration étroite avec les pouvoirs publics et font l’objet d’une pré-validation par le gouvernement du pays concerné avant d’être rendus publics.
En conséquence, le contenu du rapport de cette année ne peut être une surprise pour nos autorités qui en ont certainement pris connaissance, mais qui a aussi certainement collaboré à son élaboration au titre des requêtes d’informations et d’analyses que les experts qui l’ont rédigé ont certainement formulé.
De plus, le gouvernement a toujours la possibilité de contester et de demander des modifications d’un rapport de la Banque mondiale, dans les limites de l’objectivité, durant sa période d’élaboration ou quand il reçoit la version préliminaire avant sa publication.
Cela étant dit, cette édition 2021 de l’évaluation sur l’économie nationale algérienne fait ressortir des points positifs, des faiblesses et des risques. En conséquence de quoi, il appartient aux pouvoirs publics de prendre en charge les faiblesses et de mettre en place des actions de maîtrise des risques relevés.
Sur le fond, aucune des faiblesses ni aucun des risques identifiés dans le rapport ne constituent une nouveauté pour le gouvernement ni pour la technostructure de l’Etat algérien. Au contraire, ces constats analytiques sont ceux qui ont servi à construire le programme actuel du gouvernement.
- Quels sont, justement, les points les plus marquants de ce rapport ?
Le rapport met d’abord en exergue le fait que l’amélioration de la situation économique, du point de vue des macro-agrégats, est essentiellement due au rebond des prix des hydrocarbures sur le marché international.
La dépendance structurelle aux hydrocarbures est encore persistante et les efforts de diversification sont encore très insuffisants, et les réformes structurelles ne sont pas réellement engagées.
Du fait du caractère volatil des prix des hydrocarbures sur le marché international et de leur dépendance à de multiples facteurs exogènes au couple offre-demande, la reprise est qualifiée de fragile, tant qu’une diversification et que de profondes réformes économiques ne sont pas encore abouties.
Cette analyse est déjà celle du gouvernement et construit le socle du programme gouvernemental actuel, et il est déjà relevé dans le rapport de la Banque mondiale que la problématique des fragilités de l’économie nationale est prise en charge dans la démarche gouvernementale.
L’autre aspect important du rapport est lié à l’analyse de la pauvreté en Algérie et met en évidence des progrès réalisés et une réduction générale du phénomène de pauvreté en Algérie, tout en mettant en évidence des disparités micro-régionales et des risques relatifs à la protection des couches les plus défavorisées.
Le rapport met en évidence également la notion de pauvreté non monétaire, caractérisée par les problèmes d’accès aux services essentiels, aux soins et à l’éducation, et je crois qu’il n’y a rien à apprendre à la population algérienne de ce point de vue. Le rapport est assez positif envers l’Algérie sur ce thème.
Le troisième pavé du rapport aborde la question des risques majeurs et la manière dont ils sont pris en charge par le gouvernement.
Là aussi, les faiblesses et les risques sont déjà largement identifiés par la communauté scientifique et des experts nationaux et ont fait l’objet de plusieurs rapports et études en interne.
La sonnette d’alarme sur les risques majeurs est tirée depuis longtemps et ce rapport de la Banque mondiale ne fait que les remettre en avant, surtout après l’épisode des incendies et de sécheresse que nous avons vécus l’été passé.
Cependant, le rapport met aussi en avant des aspects positifs comme l’existence de dispositifs et de mécanismes de gestion de ces risques majeurs.
- Comment expliquez-vous le fait que le document soit contesté sachant que ce n’est pas la première fois que les conclusions de rapports d’institutions internationales soient critiquées ?
Pour le moment, l’interlocuteur officiel de la Banque mondiale et qui est le gouvernement algérien n’a pas contesté le rapport et ce serait aller vite en besogne de dire que le rapport est contesté.
Bien sûr, les experts et autres entités indépendantes ont parfaitement le droit de critiquer ce genre de travail, sur la forme et le fond, dans le cadre d’un débat technique qui doit rester objectif, notamment envers un partenaire stratégique dont nous faisons partie et aux mécanismes de fonctionnement duquel nous participons, y compris les mécanismes d’évaluation.
Il est tout à fait normal que nous puissions avoir des réserves sur certains points de documents produits par des instances internationales, mais nous devons aussi être très vigilants en période d’élaboration pour s’assurer de ne pas avoir de surprises quand les rapports sont publiés, bien que ce dernier rapport de la Banque mondiale n’en contienne pas vraiment.
Le plus important pour la partie algérienne est de savoir s’appuyer sur les conclusions de ce genre de rapport pour progresser et communiquer sur ces progrès. Derrière, il y a toute une stratégie d’image à construire, et ce n’est pas en critiquant un rapport fait par des experts qu’on améliore notre image, mais c’est en améliorant nos indicateurs et en communiquant sur nos performances.
Nous faisons partie d’une communauté internationale et nous devons accepter des codes et des modes de fonctionnement des instances de cette communauté internationale. Nous devons aussi mettre en exergue ce qui est positif dans les rapports internationaux.
- A la lumière de ce constat et de celui de la Banque d’Algérie, comment s’annoncent les perspectives pour 2022 ?
L’enjeu économique pour l’Algérie reste dans le triptyque de la débureaucratisation et la libération de l’acte d’entreprendre, l’amélioration de la gouvernance, notamment la redevabilité de l’administration, et de la diversification économique, qui ne peut se faire que si on libère l’investissement et que l’on met les moyens adéquats pour un environnement propice aux affaires. Si on s’engage rapidement dans ces trois voies, les perspectives à moyen terme ne peuvent que s’améliorer.
A court terme, 2022 restera tributaire de trois paramètres : le cours des hydrocarbures, la manière d’utiliser les revenus excédentaires si les cours restent hauts, et la vitesse d’engagement des réformes au travers d’actes déterminants. D’une manière générale, il vaut mieux engager les réformes les plus difficiles quand on a de l’argent que quand on est dos au mur.
- Quels sont les principaux défis à relever dans l’immédiat ?
Le principal défi dans l’immédiat, c’est la capacité du gouvernement à opérationnaliser son programme. Deux ans sont passés sur le mandat présidentiel et il me paraît important que des choses concrètes sur les aspects de fond puissent commencer à apparaître. Beaucoup de choses sont déjà annoncées dans le programme du gouvernement, et il faudrait les mettre en œuvre.