Akram Khan, figure majeure de la danse contemporaine, retourne aux sources de la danse indienne avec Gigenis estimant, dans une interview à l’AFP, que le monde moderne «a tendance à oublier le passé et c’est très dangereux».
Né à Londres de parents bangladais, Akram Khan a choisi le sud de la France et le Grand théâtre de Provence, à Aix-en-Provence, pour présenter en première mondiale sa nouvelle création qui tournera ensuite dans le monde entier, du Théâtre des Champs-Elysées à Paris en janvier, aux Etats-Unis, mais aussi à Singapour ou Bombay (Inde). Une tournée mondiale resserrée pour ne pas s’éloigner trop longtemps de ses enfants. Akram Khan est comme ça, il parle avec simplicité de sa vie, de son rejet du monde patriarcal qui est, selon lui, «terrifié par le pouvoir du féminin et du matriarcat».
Comme il évoque sans fard son âge. Si ce spectacle signe son grand retour sur scène, il explique qu’à 50 ans, l’entraînement, la douleur, ce n’est pas amusant et qu’il a préféré se retirer lentement des spectacles en solo pour se consacrer à l’espace créatif, presque 25 ans après avoir fondé sa propre compagnie. Et il est tellement concentré sur ce nouveau spectacle qu’il n’a pas eu le temps encore de regarder la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, dirigée artistiquement par Thomas Jolly, où la danse était omniprésente.
Il avait participé à la mémorable cérémonie d’ouverture des JO de Londres en 2012, pilotée par le réalisateur Danny Boyle. Une expérience terrifiante mais qu’il a adorée : «C’était un peu flou, quand 80 000 personnes se taisent avant que nous entrions en scène, c’est la chose la plus bruyante que j’ai jamais entendue. C’est ce que Taylor Swift doit ressentir», blague-t-il.
Cette expérience l’a fait beaucoup réfléchir aux échelles, à l’espace qui est sacré dans le kathak, danse classique du nord de l’Inde qu’il pratique depuis l’âge de sept ans qui a imprégné tout son parcours. Avec Gigenis, il délaisse quasiment la danse contemporaine pour une fresque dans la plus pure tradition indienne avec cinq autres solistes reconnus à la gestuelle aussi précise que poétique, accompagnés sur les côtés de la scène par des voix et des instruments, notamment des percussions envoûtantes.
Le courage est une décision
Gigenis signifie «les ancêtres de la terre» pour le chorégraphe, qui avait été choisi par Peter Brook dès 13 ans pour jouer dans l’épopée de la mythologie hindoue Le Mahâbhârata. «La technologie a tout accéléré. J’ai l’impression que nous sommes un peu dans un vide mythique, les vieux mythes n’ont pas été, n’ont pas eu le temps de se transformer donc de nouveaux mythes n’ont pas émergé», explique-t-il entre deux répétitions.
«Le monde moderne a tendance à regarder vers l’avenir et à oublier le passé et je pense que c’est très dangereux parce que ce qui se passe en ce moment s’est déjà produit lors de la Seconde Guerre mondiale», ajoute le danseur qui ne cache pas avoir été notamment dévasté par la situation au Royaume-Uni qui a connu cet été des émeutes d’extrême droite xénophobes et islamophobes.
Les bruits du chaos du monde, d’explosions, sont présents dans ce spectacle sombre où seuls des faisceaux lumineux éclairent les artistes qui évoluent dans un décor dépouillé, avec un banc qui semble une frontière. Une mère voit sa vie défiler devant un public français qui a eu peu d’occasions de voir de la danse traditionnelle indienne de ce niveau là : la mort de son mari combattant et ensuite ses deux fils qui s’opposent, l’un cherchant la couronne, à contrôler le monde, quand l’autre souhaite servir le peuple, cherche l’harmonie.
Qu’est-ce qui a mal tourné ? Quel est le rôle des artistes ? «Ce n’est pas à nous (les artistes) de changer les choses et j’essaie simplement de faire mon travail et d’y mettre tous mes sentiments», commence-t-il avant de lâcher : «La peur est une réaction. Le courage est une décision. Nous avons besoin de courage maintenant».