La pollution est une urgence», a déclaré Gopal Rai, ministre de l’Environnement de Delhi - territoire incluant la capitale et sa région, une mégapole de 30 millions d’habitants en pleine expansion.
New Delhi est régulièrement classée parmi les pires capitales du monde en termes de qualité de l’air. Une véritable «Air-pocalypse», pour M. Rai. L’hiver à Delhi, le niveau de PM 2,5 - microparticules cancérigènes qui pénètrent les poumons et le sang - est souvent plus de 30 fois supérieur au niveau maximum fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La pollution réduit l’espérance de vie d’un habitant de Delhi de 11,9 ans en moyenne et de cinq ans pour les Indiens en général, selon un rapport publié en août par l’Energy Policy Institute de l’université de Chicago.
Pour traiter ce problème vieux de plusieurs décennies, un centre de coordination de haute technologie a été ouvert en octobre. Là, 17 experts surveillent, sur des écrans géants, l’évolution de la pollution en temps réel grâce aux images satellite de la NASA et aux mises à jour de l’indice de qualité de l’air mesuré par des capteurs. Baptisée «Green War Room» ou «salle de guerre verte», le centre est une plateforme de coordination reliée à 28 agences gouvernementales.
«Dès que la qualité de l’air se dégrade, nous alertons nos équipes sur le terrain et elles agissent immédiatement», a expliqué Anurag Pawar, ingénieur environnemental de la War Room. Une usine polluante peut ainsi recevoir un avertissement, un feu dans une décharge d’ordures être éteint, des véhicules émetteurs de fumée noire ou des feux d’artifice illégaux stoppés ou des camions envoyés pour asperger d’eau la poussière et la faire retomber. En revanche, la salle de guerre verte ne peut rien faire contre l’une des principales sources de pollution : les brûlis agricoles, responsables du brouillard jaunâtre et toxique qui, avec les émissions industrielles et automobiles, asphyxient chaque hiver Delhi.
Pansement sur jambe de bois
En 2020, une étude de la revue médicale britannique The Lancet imputait 1,67 million de décès prématurés, un an plus tôt, à la pollution de l’air en Inde dont près de 17 500 dans la capitale. La pollution de l’air est «l’un des plus grands risques environnementaux pour la santé», prévient l’OMS. Elle provoque des accidents vasculaires cérébraux, des maladies cardiaques et respiratoires ainsi que des cancers du poumon. Les autorités de Delhi ont lancé des pulvérisations biochimiques pour accélérer la décomposition des chaumes.
Mais comme nombre d’efforts pour l’environnement, les bonnes intentions se heurtent à des obstacles politiques. Selon M. Rai, plus des deux tiers de la pollution atmosphérique que subit la ville sont générés hors des frontières du territoire de Delhi, où les autorités locales n’ont pas le pouvoir d’agir. «Nous avons introduit des bus électriques, mais dans les Etats limitrophes, les bus fonctionnent encore au diesel», déclare M. Rai à l’AFP, «tout cela a un impact sur Delhi. La pollution et les vents ne peuvent pas être limités par les frontières des Etats».
La capitale et l’Etat du Pendjab sont gouvernés par le parti Aam Aadmi (AAP), mais d’autres Etats voisins sont dirigés par leurs rivaux du Bharatiya Janata (BJP) du Premier ministre, Narendra Modi. La pollution est une pomme de discorde. «De toute évidence, la politique a un impact», admet M. Rai, «on se heurte à des obstacles quand il s’agit d’établir des règles».
Les agriculteurs, puissant groupe d’électeurs, arguent que les brûlis sont une vieille pratique, simple et peu coûteuse, et que la pollution urbaine ne les concerne pas. L’OMS souligne que «de nombreux facteurs de pollution atmosphérique sont également des sources d’émissions de gaz à effet de serre» et que les politiques visant à réduire la pollution atmosphérique «offrent une stratégie gagnant-gagnant tant pour le climat que pour la santé». L’Inde reste fortement dépendante du charbon pour sa production d’énergie.
Le pays a vu ses émissions par habitant augmenter de 29% ces sept dernières années et rechigne à appliquer des politiques afin d’éliminer progressivement les combustibles fossiles polluants. «La Green War Room, si elle est employée correctement, sera efficace pour supprimer la pollution pendant un certain temps», estime auprès de l’AFP Sunil Dahiya, analyste au Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur. «Mais ce n’est pas la solution pour réduire les émissions, souligne-t-il, quand il s’agit de respirer un air pur, il faut réduire les niveaux de pollution, des changements autrement drastiques et systématiques sont nécessaires».