Ahmed Boumaaza. Expert international en management stratégique et management des organisations : «Aucun changement ne se fera sans modification du système de gouvernance»

14/09/2022 mis à jour: 00:10
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-On parle actuellement de reformes dans tous les domaines, qu’en pensez-vous ?

La volonté de gérer plus efficacement un pays entraîne une série d’interrogations, quant aux méthodes et aux outils mis en œuvre pour y parvenir, il y a lieu à cet effet de s’adapter à l’esprit de «Qualité» qui est aujourd’hui un impératif que ne saurait ignorer un pays qui se doit de garantir sa pérennité et assurer son trajet vers «l’excellence» en améliorant sans cesse ses performances. Cette situation s’adapte parfaitement à notre pays qui est depuis ces dernières années dans un cycle de transformations structurelles profondes affectant son modèle de gestion économique et sociale ainsi que la nature même de son régime politique. Mais parce qu’elle s’opère dans un contexte de crise, la refondation devra passer nécessairement par une réforme des institutions de l’Etat qu’il faudra restaurer et réhabiliter parce que tous les changements proposés, jusqu’à présent, n’ont été que des palliatifs qui ont tous été rejetés. 

La solution réside aujourd’hui dans la mise en place d’une nouvelle stratégie d’administrer, adaptée aux nouvelles exigences économiques, politiques et sociales en phase avec le troisième millénaire. Il s’agit de lancer la dynamique grandiose de la construction d’une Algérie nouvelle, un Etat fort et crédible ayant pour ambition le développement d’une véritable culture démocratique, la promotion des droits de l’homme, une économie nationale dynamique productrice de richesses et de valeur ajoutée, une justice indépendante au service exclusif du droit et du citoyen et enfin une administration «affranchie» de sa bureaucratie, rationnelle dans sa gestion et à l’écoute des préoccupations du citoyen.
 

-Il y a aussi une énième restructuration du tissu industriel public : des holdings qui deviennent SGP puis transformés en groupe économique… et on n’en finit pas encore ! Les entreprises publiques ont toujours manqué de stabilité. A quoi cela est-il dû ? 
 

La désarticulation avancée de notre industrie ou de ce qu’il en reste peine à mettre en place une stratégie efficiente. En effet, l’industrie manufacturière hors hydrocarbures ne représente plus que 4% du produit intérieur brut (PIB) contre plus de 30% à la fin des années 1980. Pourtant, cela fait plus de trente années que le besoin de diversifier notre économie est affiché comme un objectif à atteindre par tous les gouvernements qui se sont succédé et qui ont tâtonné durant des décennies. Nous sommes passés alors de la gestion socialiste des entreprises durant les années 1970/1980, à l’administration de l’entreprise par secteur, puis à l’autonomie des entreprises (fonds de participation, holding, société de gestion SGP, groupement industriel…) placées sous la houlette des injonctions intempestives du politique et d’un conseil d’administration composé de personnes très souvent incompétentes placées à la tête des directoires de ces groupements industriels. Ils géraient sans contrat d’objectif, sans indicateurs de croissance ni de rentabilité économiques, ces soi-disant managers ayant cumulé année après année les bilans déficitaires ont mis les entreprises dans une situation de liquidation et qui n’ont continué à exister que grâce à l’intervention de l’Etat qui épongeait les déficits en procédant à des assainissements financiers successifs.
 

Cette instabilité chronique était due très souvent à des choix hasardeux en termes de gestion et avait mis le pays dans une situation d’insolvabilité vis-à-vis de nos partenaires étrangers. Gardons en souvenir le Plan d’ajustement structurel (PAS) que nous avait imposé le FMI en 1990, ce management intuitif a aussi disloqué totalement des secteurs entiers, à l’image du BTPH qui a été complètement mis à plat par manque de vision, la gestion de ces entreprises furent confiées à des architectes et ingénieurs, des gens peut-être bons dans leur métier, mais qui n’avaient aucune connaissance dans les sciences de gestion. Cette manière de faire provoqua la faillite pratiquement de toute l’industrie du bâtiment. 

Cette situation d’échec fut la même pour pratiquement l’ensemble des autres secteurs. En effet, tous ont été gérés de manière hasardeuse selon un modèle de gouvernance autoritaire, qui a fini par mettre le pays à genoux, alors que les ressources du pays étaient considérables et faisaient rêver les plus grandes nations qui sont restées perplexes face à cet énorme gâchis, dont nous nous sommes rendus coupables. Pourtant les incitations économiques n’ont pas manqué pour donner plus de vigueur à la relance et apporter un début de solution à la grave crise de gouvernance.
 

-Qu’en est-il du code de l’investissement ?
 

Le contexte actuel de la mondialisation amène de nombreux pays développés, émergents, voire en voie d’émergence à conduire de vastes mouvements de réformes administratives afin de répondre efficacement aux exigences de cette mouvance qui ne s’arrêtera pas. Dans ce contexte, le gouvernement algérien s’est engagé dans la réalisation effective d’un nouveau code d’investissement aligné sur les standards internationaux et un plan de modernisation de l’administration des services publics. C’est maintenant fait. Mais ce projet ambitieux doit s’accompagner d’approches novatrices, notamment la mise en œuvre de dispositifs et d’outils modernes en matière de management, de pilotage, d’audit et de contrôle des finances publiques. Cette démarche aura aussi pour objectif de créer les conditions de transparence du système fiscal du pays, mais il faut noter qu’aucun changement ne viendra sans modification radicale du système de gouvernance qui a paralysé l’initiative et reproduit les mêmes schémas d’échec depuis au moins quarante années.
 

-Après une longue période de disette, l’embellie financière est là. Que suggérez-vous ? 
 

J’espère que l’on va profiter de l’embellie financière pour relancer le processus de développement tant attendu dans le cadre d’une véritable cartographie de partenariat gagnant-gagnant avec les pays frères/et amis. Parmi les axes de changement dans la révision du mode de gouvernance à mettre en place graduellement économique, nous suggérons un programme de mise à niveau articulé autour d’un certain nombre de pôles de développement économique :


- Le pôle de l’agriculture : la création de l’Office de développement de l’agriculture saharienne (ODAS) par la mise en valeur d’un million d’hectare afin d’assurer la sécurité alimentaire est une décision importante.


- Le pôle minier : la politique d’exploitation des richesses minérales du pays est une décision très judicieuse dans la mesure où celle-ci va démontrer de nouveaux relais de croissance hors rente pétrolière avec les perspectives de débouchés industriels à grande valeur ajoutée.


- Le pôle industriel, parmi les nombreux défis de la diversification de l’économie : réorienter les ressources vers le secteur de la PME/PMI véritable créateur de richesses avec plus d’emplois, plus d’investissements, plus de marchés d’exportation et plus de croissance.


- Généraliser le numérique dans les administrations.
- Tirer de vrais profits économiques de nos représentations diplomatiques.
- Miser sur le développement local.

 

 

Propos recueillis par Mohamed Benzerga

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