Cet article se veut avant tout une contribution pouvant servir de base de réflexion pour repenser la stratégie et la nécessaire maîtrise des ressources hydrauliques agricoles dans les régions sahariennes et présahariennes.
Nous devons savoir que le dérèglement climatique conjugué aux prélèvements ou à une surexploitation des nappes favorise le ruissellement de l’eau, sa forte évaporation et son infiltration sur des sols pauvres plutôt que son utilisation par la plante sur un substrat ou support de culture en bonne santé, conduit à une baisse ou rabattement du niveau des nappes.
A cela se rajoute, dans les zones sensibles, d’autres problèmes tels que :
la remontée vers la surface du sol des eaux des nappes phréatiques nuisibles pour les cultures et l’environnement ;
l’accroissement de la salinité des sols dû à la remontée de la nappe phréatique ;
La dégradation de la qualité des eaux notamment celle du Complexe terminal (CT) dans certaines régions ;
la diminution de la pression de la nappe du Continental Intercalaire (CI);
l’asséchement de puits de faibles profondeurs ;
le tarissement des foggaras ;
le rabattement du niveau de la nappe du Complexe Terminal (CT);
la réalisation des puits et forages illicites avec des fuites d’eau au niveau du tubage et l’affaissement du terrain ;
des forages qui coulent dans la nature ;
la dégradation de la qualité chimique des eaux du CI notamment la région de Gassi Touil ;
la mauvaise gestion anarchique de la ressource ;
la dégradation de la qualité des eaux dans certains forages ;
des potentialités en eau qui ne sont pas évaluées ;
la disparition de l’artésianisme dans certaines zones ;
des équipements inadéquats pour les forages profonds «albien» pour les zones qui présentent des horizons salifères ;
une augmentation de la salinité des eaux ;
des forages mal équipés ;
la pollution d’origine domestiques ou rejets des eaux domestiques ;
et une concentration de forages engendrant des interférences.
Les oasis algériennes subissent des contraintes qui menacent leur durabilité.
Jusqu’à nos jours, l’oasien a dans sa tête cet adage qui est «plus tu irrigues, mieux ça pousse».
Il est temps qu’il change ses mauvaises habitudes s’il veut se maintenir demain et participer au développement économique local.
Nous assistons à un gaspillage d’une eau rare, coûteuse et non renouvelable.
L’Institut technique de développement de l’agriculture saharienne «ITDAS» de Biskra dont la création a eu lieu en 1986, avec son réseau d’intervention ou fermes de démonstration implantées dans différentes zones agro-écologiques du Sud du pays, possède des connaissances modernes sur les besoins en eau des cultures avec les nouvelles techniques d’irrigation visant une amélioration de la productivité des cultures et une économie d’eau.
A titre de rappel, à cette date, j’occupais ma première nomination au mois de juin 1984 en qualité de directeur de l’agriculture et de la pêche dans la nouvelle wilaya d’El Oued.
Une initiative florissante a été prise au niveau de cette nouvelle wilaya pour organiser le premier séminaire national sur l’accession à la propriété foncière par la mise en valeur au niveau du chef-lieu de la wilaya en 1985. Cette manifestation scientifique et technique a été suivie par la tenue d’un colloque avec une exposition sur l’hydraulique agricole dans la daïra de Guémar et une autre dans la daïra de Débila sur la promotion des cultures maraichères, dont la pomme de terre, et industrielles, dont l’arachide et le soja.
Le Commissariat au développement de l’agriculture des régions sahariennes «CDARS» dont la mission principale est le développement de l’agriculture saharienne, œuvre à l’accompagnement technique des agriculteurs et des investisseurs dans les régions sahariennes et présahariennes, en mobilisant les ressources hydriques destinées à l’irrigation agricole et en initiant les agriculteurs aux technologies innovantes.
Il y a d’autres organismes comme l’Agence régionale des ressources hydriques «Région Sud-Est Ouargla et Sud-Ouest Adrar», dont parmi les missions importantes, celles de la préservation et de la protection des ressources, la collecte, le traitement et la mise à jour des informations relatives aux ressources en eau et en sol.
L’Agence du bassin hydrographique du Sahara «ABS» Ouargla, dont la mission principale est la gestion des ressources en eau superficielles et souterraines et leur protection.
L’Institut national des sols, de l’irrigation et drainage «I.N.S.I.D» avec ses 2 laboratoires régionaux au niveau de la wilaya d’Adrar et de Touggourt sur les 6 laboratoires créés dans d’autres régions. Les principales missions se résument à la classification des sols et leurs aptitudes pour la mise en valeur, l’élaboration des cartes agro-climatiques, l’accompagnement des investisseurs et exploitations agricoles à la définition des équipements d’irrigation et de drainage et encore plus important, à déterminer les conditions d’utilisation des eaux pour l’irrigation.
La création de la micro-ferme écologique et innovante «la Clé des Oasis» Timimoun d’une superficie de 15 000 m2 à Timimoun dans le Grand Sud Algérien dont je suis l’initiateur.Un projet qui ambitionne le plus sur la mise sur pied d’un modèle agro-écologique résilient, entrepreneurial et modulable dans le cadre d’une agriculture intelligente avec des solutions innovantes et une duplication à grande échelle.
Nous sommes aujourd’hui en mesure de calculer au plus juste les doses d’irrigation aux différentes étapes de la culture en appliquant les coefficients culturaux et de mesurer les besoins en eau des plantes en fonction de leur âge, de leur stade, voire du rendement escompté.
L’agriculteur doit savoir gérer la demande en eau de son plan de culture.
Il y a un travail considérable d’information et de formation à réaliser auprès des agriculteurs.
L’introduction du système d’économie d’eau ainsi que la révision de la gestion actuelle des doses d’eau appliquées aux cultures va permettra de limiter le gaspillage des eaux d’irrigation, qui, non consommées par les cultures, se retrouvent dans les réseaux de drainage, d’où la réduction du risque de remontée de la nappe phréatique et des risques d’hydromorphie.
L’irrigation doit éviter autant une sous-alimentation qu’une suralimentation en eau des plantes. Il faut connaître, pour chaque espèce particulière, ses besoins en eau, l’époque la plus favorable de son irrigation, le nombre optimum des arrosages, leur durée, l’épaisseur de la nappe d’eau à appliquer à telle surface et finalement la profondeur à laquelle l’eau doit pénétrer.
La salinisation est un problème qui pose beaucoup de difficultés aux irrigants à cause de la teneur en sels dissous.
Un bilan hydrique complet tiendra compte des apports d’eau, des transferts au sein du sol, des pertes par évaporation, par absorption racinaire et par drainage profond. Le niveau piézométrique des eaux souterraines peut remonter très haut par rapport à la zone racinaire. La saturation du sol en eau peut durer trop longtemps pour la santé des plantes. Les racines des plantes nécessitent de l’air et de l’eau et la plupart des plantes ne peuvent pas résister à des sols saturés pendant de longues périodes.
Une mauvaise valorisation de l’eau d’irrigation
Diverses pratiques peuvent être mises en œuvre pour que l’agriculture utilise l’eau plus efficacement. Il s’agit notamment de modifier le calendrier d’irrigation pour suivre de près les besoins en eau des cultures, en adoptant des techniques plus efficaces, telles que l’utilisation de systèmes d’irrigation par aspersion et goutte à goutte, et en mettant en œuvre la pratique de l’irrigation déficitaire.
L’exemple de l’irrigation par immersion qui garantit l’humidité de la motte et qui a la possibilité de mouiller également le système foliaire.
La dégradation des ressources hydriques qu’entraîne une exploitation excessive de la nappe phréatique par le creusement de puits artésiens est désormais reconnue comme cause de désertification dans plusieurs pays.
L’eau est encore très mal valorisée puisque les rendements sont encore faibles par rapport à ce qui est obtenu dans d’autres pays. D’importantes économies d’eau peuvent être réalisées à l’avenir tout en augmentant les productions.
Les agriculteurs ne mesurent pas l’eau distribuée mais ils comptent le nombre des irrigations qui se font beaucoup plus par submersion ou inondation.
On irrigue beaucoup et on se soucie peu de l’état ou du taux d’humidité du sol.
Si l’agriculture des régions sahariennes veut se maintenir, elle devra tout faire pour économiser l’eau et améliorer son efficience.
Dans beaucoup de régions, les agriculteurs ne stockent pas l’eau, mais ils la pompent directement dans un système d’irrigation ancestral qui est la seguia en terre.
La protection contre le vent et le vent de sable à un lien avec les performances des périmètres irrigués.
L’avenir de l’hydraulique agricole n’est pas dans l’exploitation minière de l’eau, mais dans l’aménagement des terroirs agricoles axé sur la pratique d’une irrigation raisonnée, sur l’économie et l’efficacité de l’eau.
Les cultures sont les éléments déterminants du cycle de l’eau. Pour s’en convaincre, il suffit de savoir que la production d’un kilogramme de grains (de maïs, blé, riz) nécessite le transfert de 1 à 3 tonnes d’eau à travers les tissus des plantes.
Le recyclage des eaux de drainage
Les eaux de drainage représentent un potentiel important à récupérer dans les régions sahariennes et présahariennes. L’exemple du chott Melghir. La valorisation de cette importante ressource en eau à travers une réutilisation rationnelle à des fins agricoles et sylvopastorales est de nature à réduire la dégradation du sol.
Pour une meilleure maîtrise de l’hydraulique agricole
La formation et l’affectation sur le terrain des conseillers en hydraulique agricole, de véritables conseillers en agriculture spécialisés s’impose avec des missions telles que :
. L’appui technique et économique pour le montage et la mise en œuvre des projets d’irrigation collectifs ;
. Le développement de l’autonomie des agriculteurs dans la gestion de leurs projets d’irrigation et de drainage ;
. Le faire valoir des intérêts des agriculteurs auprès des décideurs ;
. Les choix stratégiques et la planification des cultures ;
. Les quantités d’eau à apporter sur les différentes cultures et les périodes.
Ces conseils sont soit individuels, soit collectifs. Ils peuvent en outre être dispensés sous la forme de bulletins d’information et d’avertissements irrigation diffusés régulièrement.
Les radios rurales peuvent être une solution pour appuyer les oasiennes et oasiens et leur insuffler l’esprit d’entreprise.
L’intelligence artificielle et le big data peuvent aider les agriculteurs à booster productivité et revenus, par exemple à gérer l’irrigation à distance à l’aide d’un simple SMS grâce à une application sur son smartphone.
Le conseiller en hydraulique agricole est là pour informer les agriculteurs sur le contexte réglementaire dans le domaine de la gestion de l’eau en favorisant la gestion collective de cette ressource.
L’hydraulique agricole nécessite une approche interdisciplinaire et impose d’abord une formation sérieuse en agronomie générale (y compris en bioclimatologie) ainsi qu’en pédologie (en particulier en physico-chimie des sols).
Il est primordial d’optimiser l’utilisation de la ressource en eau par la mise en place de réseaux modernes d’irrigation et l’implantation judicieuse de forages sur des zones pédologiquement aptes à l’irrigation.
Nous pouvons piloter l’irrigation avec précision grâce à la sonde tensiométrique en rappelant que ce capteur ne mesure pas immédiatement la quantité d’eau présente dans le sol, mais sa disponibilité pour la plante.
Cette sonde va mesurer la force que les racines doivent exercer pour extraire l’eau du sol et nourrir la plante et va nous permettre de gérer mieux le débit de l’eau.
Nous devons savoir aussi la différence qu’il y a entre la sonde tensiométrique et la sonde capacitive. Cette dernière existe en plusieurs profondeurs «entre 10 et 120 cm» pour s’adapter aux cultures et elle mesure l’humidité, la température et en option la salinité du sol.
Parce que le stress hydrique, ça ne pardonne pas.
La maîtrise de l’hydraulique agricole constitue un facteur incontournable de l’intensification et de l’accroissement agricole. Je le vois avec les changements climatiques comme un axe stratégique et innovant dont l’objectif vise à garantir la sécurité alimentaire.
Les régions sahariennes et présahariennes connaissent des mutations profondes qui permettent d’espérer exploiter toutes les richesses «couple eau/soleil», en investissant dans la connaissance et en valorisant l’être humain, dans un proche avenir. Cela va entraîner un développement socio-économique global assurant la satisfaction des besoins alimentaires en légumes et fruits frais et variés avec des solutions innovantes et le transfert de produits agricoles vers le Nord et pourquoi pas vers les marchés extérieurs.
Focalisons-nous sur la maîtrise de la gestion, la planification, le suivi, la mise en place des outils d’investigation performants, de mesures et d’observation de la ressource en eau des deux nappes du Continental intercalaire et du Complexe terminal du Sahara septentrional et, sans négliger les autres nappes et les eaux superficielles.
N’oublions pas que cet or bleu est un enjeu de sécurité au 21e siècle.
Par le Dr M. Bouchentouf
Docteur en environnement et développement durable
«Adaptations de l’agriculture aux changements climatiques»
Ancien cadre au ministère de l’Agriculture
Spécialiste de l’agroécologie des régions arides et semi-arides
Consultant en management et développement de projets à l’international
Chercheur en innovation et prospectives agricoles
Directeur de la micro-ferme écologique et innovante
«La Clé des Oasis» Timimoun Algérie