Ouvert hier devant la chambre d’appel pénale près la cour d’Alger, le procès de l’ancien député FLN de Annaba et ancien vice-président de l’Assemblée nationale (APN), Baha Eddine Tliba, et le fils de Djamel Ould Abbès, secrétaire général du FLN, Skender Ould Abbès, ainsi que Khelladi Bouchnak, ancien secrétaire général du ministère de la Solidarité et chargé de la gestion des listes électorales FLN des législatives de 2017, a été marqué par des contradictions dans les déclarations des uns et des autres, rappelées par le procureur général, qui a requis, d’ailleurs, la peine maximale de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende de 10 millions de dinars à l’encontre de Skender Ould Abbès, de 8 ans de prison ferme et un million de dinars contre Khelladi Bouchnak et 5 ans contre Baha Eddine Tliba.
Les faits remontent au 23 février 2017, lorsque les services de sécurité ont effectué une perquisition à la maison de Skender Ould Abbès, située à la résidence d’Etat à Club des Pins (Alger). Opération menée à la suite de la plainte de Baha Eddine Tliba contre Skender et son frère El Wafi Ould Abbès (en fuite à l’étranger) qui, selon ses dires, «faisaient le commerce» du classement des listes de candidatures FLN à la députation. Skender Ould Abbès est le premier à être auditionné. Il déclare que lors de la perquisition à son domicile, les éléments des services ont trouvé la somme de 48 millions de dinars et 200 000 euros. «Les 25 millions de dinars m’appartiennent. Le reste de la somme appartient à Tliba. Il me les a donnés pour lui acheter un Range Rover Vogue. Les 200 000 euros appartiennent à mon frère», dit-il avant que la présidente ne lui fasse remarquer : «Lors de l’enquête préliminaire et devant le juge, vous aviez déclaré que cet argent vous a été remis par Tliba.» Le prévenu dément et la juge insiste : «Vous aviez déclaré qu’il vous a demandé d’introduire huit personnes sur la liste de candidature.» Skender Ould Abbès continue à nier, accusant les officiers de la police judiciaire «d’avoir manipulé» ses déclarations. Acculé par la juge, il finit par lâcher : «Je suis victime d’événements politiques. Les procès-verbaux ont été signés sous la pression. Le tribunal militaire a condamné ces officiers pour ces faits.» Durant de longues minutes, il continue à nier, suscitant la contestation de Tliba. Amaigri, ce dernier avance une autre version. «C’est son frère El Wafi, qui m’a contacté à Club des Pins pour me demander une somme d’argent pour placer des gens sur la liste de candidature. Le lendemain, j’ai informé le patron des services de sécurité de ce trafic, lequel a chargé le colonel Oussama de suivre l’affaire et de travailler avec lui. L’argent ne m’appartient pas. Ce sont les services de sécurité qui me l’ont remis pour le lui donner», déclare Tliba. Il précise que lui était déjà classé 3e sur la liste FLN de Annaba. «J’étais classé premier, avant d’être décalé de deux places, la 1re occupée par un ministre et la seconde par une femme.» La présidente interroge Djamel Ould Abbès sur les critères de classement des candidats, qui répond : «Selon l’ancienneté dans le militantisme au sein du parti.» A propos de Tliba, Ould Abbès confirme que l’ancien député était classé par la commission de Annaba 3e, et ajoute : «Souvent, il y a des pressions énormes pour mettre en bonne place certaines personnes, notamment les ministres.» La juge appelle Khelladi Bouchnak, médecin chargé de la gestion administrative des listes de candidature. Assis sur une chaise roulante, très affaibli et parlant d’une voix éteinte, il évoque la relation de confiance qui le lie à Djamel Ould Abbès depuis des années, «raison pour laquelle il a fait appel à moi, alors que j’étais à la retraite, pour l’aider à gérer administrativement les listes de candidature. J’avais 6400 candidats à la députation». Bouchnak nie toute «relation» avec la confection des listes et que son travail se limite à la gestion administrative.
«Je suis victime de règlements de comptes…»
La juge revient à Skender Ould Abbès : «Pourquoi Tliba, qui a de l’argent, viendrait vous demander de lui acheter une voiture ?» Le prévenu : «Je vends et j’achète des véhicules. Où est le problème ?» Tliba fait une grimace, avant de lancer : «Il se contredit. Tantôt il dit que c’est un militaire en civil, tantôt il dit que c’est mon chauffeur. Ne suis-je pas capable de m’acheter une voiture ?» La juge se tourne vers Skender Ould Abbès qui réplique : «Je vous ai dit que les 25 millions de dinars m’appartiennent, mais le reste des 48 millions de dinars trouvés à la maison, c’est lui qui me les a envoyés avec un chauffeur. Je n’ai aucun lien avec le parti pour pouvoir faire quoi que ce soit.» La juge : «Vous êtes le fils du secrétaire général du FLN…» Le prévenu : «Impossible. Je ne peux intervenir dans le travail de mon père. Je vends et j’achète des voitures. L’argent, qui était chez moi, m’a été envoyé par Tliba pour lui acheter un véhicule et les 200 000 euros appartiennent à mon frère El Wafi. Cette affaire est liée à la politique.» Le procureur général prend le relais. Il relève «les contradictions» dans les déclarations de Skender Ould Abbès et lui demande : «Pourquoi Tliba veut-il vous impliquer ?» Le prévenu : «Je n’ai aucun problème avec lui. Mais il y a un règlement de comptes politique dont j’ai été victime. Je ne suis impliqué ni de près ni de loin. J’étais au mauvais endroit au mauvais moment.» Le magistrat : «Vous dites n’être rien pour décider, pourquoi alors êtes-vous victime de règlement de comptes ?» Ould Abbès : «Je suis le fils du secrétaire général du FLN. J’ai payé à sa place.» Le magistrat : «Pourquoi est-ce vous qui payez et non pas votre père ?» Le prévenu : «Je ne sais pas.» S’adressant à Khelladi, le magistrat interroge ce dernier sur les interventions d’El Wafi dans la gestion des listes. «Beaucoup de gens m’appelaient, y compris El Wafi, mais pour s’enquérir des listes.» Le magistrat : «A quel titre il vous sollicitait, il n’était ni militant ni responsable du parti ?» Le magistrat demande à Tliba pourquoi avoir saisi les services de sécurité au lieu d’aller se plaindre au procureur. «J’avais une grande confiance en l’officier qui dirigeait le service. De plus, à l’époque, Tayeb Louh, qui était membre du bureau politique et en même temps ministre de la Justice, pouvait aussi informer Djamel Ould Abbès, le secrétaire général du FLN, et classer l’affaire.» Lors de son réquisitoire, le procureur général met l’accent sur «l’implication» de Skender et El Wafi Ould Abbès dans cette affaire, en disant qu’ils ont profité de la position de leur père à la tête du FLN, et indiqué que cette affaire a été prise en charge par le tribunal militaire qui a statué sur le volet de non-respect de la procédure. De ce fait, il réclame la peine de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende de 8 millions de dinars contre Skender Ould Abbès, 8 ans de prison ferme contre Khelladi Bouchnak et 5 ans de prison ferme contre Baha Eddine Tliba, avec une amende d’un million de dinars. La défense a plaidé la relaxe pour les trois prévenus, en tentant de démonter les griefs. L’affaire a été mise en délibéré et le verdict sera connu le 24 mai.