Renvoyé à plusieurs reprises, le procès des deux anciens ministres des Travaux publics, Amar Ghoul et Abdelkader Kadi, ainsi que du patron du groupe ETRHB, Ali Haddad, a encore une fois été reporté, jeudi dernier, au 3 mars prochain, par le pôle financier et économique près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger.
Cette fois-ci, les raisons diffèrent de celles qui ont motivé les précédents ajournements. Alors que le président semblait décidé à examiner l’affaire, Me Nadir Lakhdari, l’un des avocats de Ali Haddad s’offusque contre la mauvaise connexion internet avec la prison de Tazoult à Batna, où est détenu l’homme d’affaires.
Ce dernier refuse que son mandant soit jugé par visioconférence et exige qu’il soit présent à l’audience. «Vous constatez que dans 90% des procès par visioconférence, l’audition est quasiment impossible. Le réseau fonctionne très mal. Regardez, le prévenu n’a ni le son ni l’image. Son droit à un procès équitable est bafoué.
Lors de la dernière audience, il ne voyait que la pile des dossiers qu’il y avait devant vous. Est-ce normal ?» lance l’avocat, ajoutant : «Nous faisons 500 km, aller-retour à chaque fois que nous voulons le voir.
Ces conditions nous mettent dans l’incapacité d’assurer notre mission. Les conditions d’un procès équitable, tel que garanti par la loi, ne sont pas réunies. Pourquoi certains sont là et d’autres sont jugés par visioconférence ? Nous avons gardé le silence jusque-là, mais aujourd’hui, c’est trop ! Nous voulons un renvoi de l’affaire pour le ramener au procès et le juger.» Le juge regarde le grand écran en face de lui, et où apparaît Ali Haddad, assis sur une chaise dans une grande salle. «Ali Haddad, m’entendez-vous ?» l’interroge- t-il et le prévenu ne répond pas.
Le magistrat insiste plusieurs fois, avant que la voix du prévenu ne soit entendue. «J’entends un mot puis ça se coupe. Vous m’entendez Monsieur le juge ?» Me Lakhdari : «C’est un procès inacceptable. Comment Ali Haddad peut-il savoir ce qui se dit à l’audience, ou répondre aux questions ? Comment le tribunal peut-il entendre ses réponses pour pouvoir le juger ?» Un peu froissé, le juge donne la parole au procureur qui déclare : «Le recours à la visioconférence est prévu par la loi.
Pour des raisons financières et matérielles, il ne peut être extrait de la prison de Tazoult à chaque fois. Nous rejetons les demandes de la défense.» Me Nadir Lakhdari : «La loi a certes prévu, en 2020, les procès à distance, mais elle précise que ce dernier soit transmis dans de bonnes conditions. Est-ce le cas ?
Tout le monde voit qu’il n’y a ni son ni image. Que le procureur se mette à la place du prévenu et il verra qu’il lui est impossible de suivre l’audience. Nous avons tous une responsabilité. Chacun de nous, dans cette audience. Le prévenu veut être jugé, comme tous ceux qui sont là. Il veut une équité. Qu’il soit là avec les autres et qu’il se défende. La défense vous demande d’appliquer la loi et rien d’autre.»
«C’est inacceptable !»
Lui emboîtant le pas, Me Djamil Chelgham déclare : «Au nom de tous mes confrères présents ici, nous vous informons qu’au cas où le procès se poursuit dans ces conditions, nous serons dans l’obligation de prendre d’autres mesures. Notre demande ne relève pas de l’impossible. Nous sommes tous pour la présence du prévenu au procès, dans le seul but de préserver ses droits et ceux de sa défense. Nous refusons le procès sans le rétablissement du son et de l’image.» Le juge suspend l’audience.
Quelques minutes après, des techniciens arrivent et tentent rétablir la connexion avec la prison de Tazoult, mais en vain. Ils disparaissent, puis reviennent avec un petit écran, et l’installent à la place du premier. La connexion n’est toujours pas rétablie. L’attente dure plus de deux heures, avant que le président ne reprenne les débats. Il appelle Ali Haddad, mais ce dernier n’entend rien. Il insiste encore et encore, mais en vain.
La défense conteste. «Nous n’avons rien contre le tribunal, mais il y a ici des droits d’un prévenu à défendre. C’est inacceptable», crie Me Lakhdari. Abondant dans le même sens, Me Benallègue s’offusque lui aussi et affirme : «Nous ne sommes pas ici pour bloquer le tribunal, mais nous voyons que depuis des heures ni le son ni l’image n’ont été rétablis. La défense se retire pour se concerter.» L’audience est suspendue durant une demi-heure.
A la reprise, Me Benallègue reprend la parole : «Vu que les conditions n’ont pu être réunies pour avoir un procès, nous demandons de renvoyer ce dernier afin d’extraire Ali Haddad de la prison et de le ramener à l’audience. Si cette demande est rejetée, la défense sera dans l’obligation de se retirer.»
Le juge se retire pour délibérer et près de 20 minutes après, il revient. «Pour ce qui est du procès à distance, le tribunal estime que cela se fait dans le cadre de la loi, et pour des raisons financières, matérielles et sécuritaires, le transfert du prévenu ne peut se faire. Le procès est donc reporté au 3 mars prochain.» Des avocats s’approchent du magistrat et réclament la convocation des experts de l’IGF, qui ont rédigé le rapport d’expertise.
Cette affaire, faut-il le rappeler, concerne un marché de réalisation d’un tronçon de 9 km d’autoroute à Aïn Defla accordé, selon l’enquête judiciaire, par l’ancien ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, au groupement Altro-ETRHB sous forme de gré à gré, pour un montant de plus de 574 millions de dinars, sans l’accord de la commission des marchés. Le contrat connaîtra deux avenants qui feront augmenter l’enveloppe financière, selon toujours l’enquête judiciaire, avec l’arrivée de Abdelkader Ouali, en tant que ministre des Travaux publics en 2015.
En tout, 19 prévenus, dont les deux anciens ministres, Ghoul et Ouali, Ali Haddad, ainsi que l’ancien wali Abdelkader Ouali, (les quatre en détention), et d’autres fonctionnaires comparaissant sont poursuivis dans cette affaire.