A lors que le collectif de la défense avait dénoncé, il y a deux semaines, «le recours au procès à distance avec des moyens qui ne permettent ni d’entendre la voix du prévenu ni de voir son image», jeudi dernier, le procès des deux anciens ministres des Travaux publics, Amar Ghoul et Abdelkader Kadi, ainsi que de l’ancien wali de Aïn Defla, Abdelkader Ouali, et de l’homme d’affaires Ali Haddad, devant le pôle financier près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, a été perturbé à plusieurs reprises par des coupures récurrentes du son et de l’image du patron de l’ETRHB, diffusés par visioconférence à partir de la prison de Tazoult, à Batna, où il est détenu.
Dès l’ouverture de l’audience, les avocats ont évoqué la «prescription» des faits, qui remontent, selon eux, à 2008. Durant plus d’une heure, bon nombre d’entre eux se sont succédé à la barre pour tenter de convaincre le président de la «nullité» de la procédure, mais le procureur conteste cet avis. Selon lui, un arrêt de la Cour suprême rendu en 2015 avait «clairement précisé que le délai de la prescription commence à être compté une fois que le procureur est ait été mis au courant et qu’il n’a engagé aucune procédure».
Le président rejette la demande de la défense et appelle à la barre Ali Khelifaoui, directeur des travaux publics de Aïn Defla, poursuivi pour «abus de fonction» et «complicité dans la dilapidation de deniers publics». Les faits concernent l’octroi de gré à gré à l’ETRHB d’un marché de réalisation de deux bretelles d’autoroute «sans respect» de la réglementation des marchés publics.
Le juge l’interroge sur cette pénétrante de 73 km reliant Aïn Defla à l’autoroute Est-Ouest. «Lors de la visite du ministre Amar Ghoul à la wilaya, en septembre 2008, il a donné instruction pour relier rapidement la wilaya à l’autoroute, d’autant que le taux d’avancement des travaux de celle-ci était important…», dit-il avant que Haddad n’interrompe le débat. «Monsieur le juge, je n’entends rien…» Le juge appelle un technicien pour rétablir la liaison, en vain. Ali Haddad se plaint de l’absence de l’image et du son. L’audience est suspendue durant une trentaine de minutes.
A la reprise, l’image y est, mais le son reste médiocre. «Monsieur le juge, il y a trop de bruit. C’est comme des camions qui passent.» Le juge : «Essayez de vous rapprocher du micro.» Sur l’écran, Ali Haddad semble très irrité. Le juge poursuit l’interrogatoire de Khelifaoui. «Vous demandez, dans votre courrier adressé au ministre, la réquisition pour lancer le projet qui n’était même pas enregistré, alors que les travaux complémentaires étaient déjà entamés.
Pourquoi ?» Le prévenu : «Lorsque l’accord du ministre a été donné et quand il s’agit de projets importants et urgents, souvent on commence les travaux complémentaires et après on régularise. C’est une pratique courante.» Le juge : «Pourquoi avoir proposé dans votre courrier Altro comme sous-traitant ?» «J’ai écrit que s’il fallait recourir à des sous-traitants, il y a Altro qui est déjà sur le chantier», répond le prévenu, avant que la voix de Haddad ne résonne : «Monsieur le juge, je n’entends rien !»
Dialogue de sourds
Puis s’ensuit un dialogue de sourds entre le président, qui demande à Haddad s’il l’entend, et un Haddad, qui ne cesse de répéter : «Je n’entend rien.» L’avocate de l’homme d’affaires, Me Abrous, s’offusque. «Monsieur le président, nous ne pouvons plus continuer à tolérer ces conditions. Nous serons dans l’obligation de nous retirer de l’audience si le prévenu ne peut pas suivre ce qui se passe dans la salle», dit-elle.
Très gêné, le président persiste à tenter de rétablir le contact, en vain. Des officiers de l’administration pénitentiaire apparaissent dans la salle où se trouve Ali Haddad. Face à la caméra, ils tentent de rétablir le contact, en vain. «Nous entendez-vous ?» interroge le juge sans arrêt, avant que Ali Haddad ne lance : «La voix est entrecoupée. J’entends quelques mots puis ça part.» Le juge : «Arrangez votre micro, le problème est à votre niveau.» Ali Haddad n’entend rien. Irrité, il se lève et quitte la salle. L’audience est encore une fois suspendue durant une demi-heure.
A la reprise, le juge rappelle Ali Khelifaoui et lui demande : «Pourquoi avoir entamé la réalisation, alors que le projet n’était pas encore enregistré ?» Le prévenu affirme : «Lorsque le ministre donne des directives dans ce sens, on lance les travaux, et après il y a régularisation. Cela n’a aucune incidence. Généralement, ce sont les données du terrain qui font qu’on décide d’opter pour le gré à gré et d’entamer les travaux complémentaires avant l’enregistrement du projet.» Subitement, la voix de Haddad perce le silence de la salle. «Monsieur le juge, je n’entends pas.
Le son est très mauvais», dit-il. Le juge poursuit son interrogatoire et Ali Haddad continue de se plaindre. Il se lève de sa chaise pour se pencher vers la caméra. «Monsieur le juge, le son est parti», crie-t-il. Un de ses avocats, Me Nadir Lakhdari, intervient : «Il y a un sérieux problème que le technicien n’a pas pu régler. La faute n’incombe pas au prévenu. Ce dernier a le droit de suivre ce qui se passe à l’audience. Il n’est plus possible de continuer. Nous demandons le report.» Le juge suspend l’audience, durant une demi-heure.
Le contact avec Tazoult est rompu. A la reprise, l’image est revenue mais pas le son. L’audience est encore suspendue une autre demi-heure. Il est déjà 14h passées. Les avocats décident d’aller voir le président pour un éventuel report. Plus de 30 minutes plus tard, ils reviennent avec un engagement du juge d’ajourner le procès si les techniciens n’arrivent pas à rétablir le contact avec Tazoult.
Vers 16h, après avoir perdu l’espoir de reprendre contact dans de bonnes conditions avec Ali Haddad, le président annonce le report de l’audience au 7 mars, mettant fin ainsi à un exercice des plus pénibles que les magistrats, les prévenus et les avocats vivent à chaque procès par visioconférence.