La Mostra de Venise s’est mise samedi au diapason de la France des années 1990, avec l’adaptation sur grand écran du roman à succès Leurs enfants après eux, fresque mélancolique sur l’adolescence et la reproduction sociale.
Suivant sur quelques années la destinée d’ados d’une ville de Lorraine frappée par la désindustrialisation, le film est fidèle au roman de Nicolas Mathieu, qui décrit l’histoire d’amour impossible entre un gamin d’ouvrier et la fille d’un notable.
Le livre a remporté le prix Goncourt 2018 et est devenu l’un des succès de librairie de ces dernières années en brossant le portrait d’une France périphérique souvent oubliée, et de sa jeunesse, rêvant d’ailleurs, mais condamnée à reproduire le parcours des parents.
Une histoire bourdieusienne et des héros de la classe ouvrière dans lesquels se sont reconnus les réalisateurs, Zoran et Ludovic Boukherma, 32 ans, des frères jumeaux qui ont grandi à la campagne, dans une famille populaire du sud-ouest de la France. Dans le film, le 4 décembre dans les salles françaises, le rôle principal, celui d’Anthony, est tenu par Paul Kircher, 22 ans, qui clôt ainsi une trilogie sur l’adolescence : après ses premiers pas chez Christophe Honoré («Le Lycéen») il a explosé l’an dernier dans Le règne animal, récompensé de cinq César.
Dans Leurs enfants après eux, il est aussi question du rapport aux parents : la mère est jouée par Ludivine Sagnier ; la figure paternelle, dissoute dans l’alcool, le chômage et la violence, par Gilles Lellouche. L’acteur de 52 ans, qui voulait à l’origine adapter lui-même le roman de Nicolas Mathieu, se rend de plus en plus incontournable : avec les mêmes producteurs, il a réalisé une autre fresque générationnelle à gros moyens, l’Amour ouf, qui sort le 16 octobre après avoir été présentée à Cannes.
Nirvana et Florent Pagny
Long (2h26), Leurs enfants après eux était à l’origine conçu comme une série, et en garde une construction, à l’instar du livre, en chapitres, comme autant d’étés - et de pertes d’illusions. Ils sont rythmés par une bande-son en forme de madeleine de Proust pour ceux qui ont eu 15 ans dans les années 1990, d’une reprise de Nirvana (même si les cinéastes ont dû renoncer au Smells Like Teen Spirit du livre pour un titre des Red Hot Chili Peppers), à Florent Pagny et Francis Cabrel en terminant par Bruce Springsteen.
C’est sur ce fond sonore que se construit la trajectoire de ces jeunes, de Steph, l’inaccessible amour d’Anthony, jouée par Angelina Woreth, à Hacine, le frère ennemi issu de la cité voisine, élevé seul par son père immigré du Maroc, et interprété par Sayyid El Alami (la série Oussekine).
Le film, à l’esthétique parfois américaine, n’occulte rien des fractures françaises, mais célèbre aussi ses instants de communion, dont l’été 1998 et la France «black-blanc-beur» vibrant pour la Coupe du monde. «On est dans une ville où les hauts fourneaux ont fermé, et la classe ouvrière vient d’éclater.
C’est un peu les bases de la France d’aujourd’hui, avec la montée de l’extrême droite et les Français séparés entre Français de souche, si tant est que ça ait un sens, et Français issus de l’immigration», analyse pour l’AFP Ludovic Boukherma. «On ne sort pas de sa classe sociale et on est assigné à résidence, mais cependant dans ces vies-là, il y a des bonheurs à saisir, les premières amours notamment», poursuit-il.
«Le film est aussi une histoire de classe, comment en grandissant on se rend compte de la classe sociale à laquelle on appartient... Ce n’est pas notre génération mais c’est un peu le milieu social dans lequel on a grandi», déclare Zoran Boukherma, propulsé dans la cour des grands à Venise avec ce quatrième long co-réalisé entre frères. Le duo se décrit aujourd’hui d’ailleurs volontiers comme «transfuges de classe», une expression remise au goût du jour par des auteurs comme un certain... Nicolas Mathieu, qui s’est dit samedi «ravi » du résultat.