Invité de notre émission «Le point VIP», Abdelrahmi Bessaha, expert international en macroéconomie, parle de l’avenir de l’Algérie. Dans cet entretien, il souligne la nécessité de mettre en place une stratégie à long terme, des réformes rigoureuses et des mesures sociales pour faire de l’Algérie un pays émergent d’ici 2050.
Entretien réalisé par par Asma Bersali (*)
L’année 2023 montre des indicateurs économiques positifs. Aurions-nous pu faire mieux ?
Absolument ! Nous sommes à moins de deux mois de la fin de l’année, un moment propice pour réfléchir à ce qui s’est passé en 2023. Les récents chiffres du Fonds monétaire international, présentés lors de l’Assemblée générale de la Banque mondiale et du Fonds au Maroc, mettent en évidence plusieurs indicateurs macroéconomiques encourageants. Prenons la croissance, qui atteint 3,8%, ce chiffre est principalement tiré par le secteur pétrolier que par les secteurs hors hydrocarbures.
Cette croissance de 3,8% est un taux qui se compare favorablement aux onze autres pays pétroliers du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Un autre indicateur très positif pour l’Algérie est le faible niveau d’endettement extérieur qui ne représente que 1,4% du PIB. Le troisième indicateur qui est au vert est le niveau des réserves du pays. Un indicateur très important étant donné que notre pays dispose d’une balance des paiements très fragile.
Cependant, comme dans tous les pays, il y a aussi des indicateurs préoccupants, notamment le déficit hors pétrole. Pour mesurer la viabilité des finances publiques, il faut se concentrer sur l’indicateur budgétaire du déficit hors pétrole par rapport au PIB. Il est élevé, environ 36,2%. Or, pour un pays pétrolier, compte tenu de la durée de vie de ses ressources naturelles, la norme serait de 12 à 13%. L’écart est très important. Sans grande surprise, l’inflation est un autre indicateur dans le rouge.
L’inflation est mondiale, elle est d’ordre structurel. Elle a commencé à la mi-2021. D’ici la fin de l’année, l’inflation en Algérie devrait se situer à plus de 9%. Cela dit, il faut expliquer que l’inflation en Algérie n’est pas un indicateur du coût de la vie ni un indicateur des dépenses de consommation. Elle est tout simplement la variation du niveau général des prix entre la fin de décembre de 2023 par rapport à la fin de décembre de la période de référence qui est 2001. Donc 9%, c’est quand même assez important ! Il faut savoir que l’inflation a diverses causes, à la fois internes et externes, et des facteurs structurels. Mais en gros, ces indicateurs macroéconomiques ne fournissent pas d’informations sur la répartition du revenu national, impactée par la pandémie, l’inflation structurelle et la faible croissance.
En parlant de l’inflation, qui est justement un indicateur qui est au rouge, quelles actions peuvent être entreprises pour la maîtriser ?
L’inflation en Algérie n’est pas seulement due à une demande excessive, mais aussi à des problèmes structurels liés à l’offre. C’est d’ailleurs le cas dans le monde entier en raison de la désorganisation des chaînes d’approvisionnement. Donc, ce qui favorise l’inflation est cette hausse de l’offre dans la mesure où nous avons eu depuis plusieurs années des écarts entre l’offre et la demande.
Deuxième élément défavorable, c’est bien entendu le taux de change, dans la mesure où nous importons un grand nombre de biens. Troisième élément défavorable, c’est le circuit de la distribution qui est un véritable goulot d’étranglement. Un facteur structurel donc.
Les facteurs structurels pèsent désormais lourdement sur l’inflation en Algérie. Finalement, pour maîtriser l’inflation, il faut prendre en compte ces trois éléments : la demande, le taux de change et le circuit de distribution à travers des politiques qui s’étalent sur le moyen terme. Il faudra renforcer la qualité de la politique monétaire et budgétaire. Il est essentiel de réduire le déficit budgétaire qui concourt au renforcement de l’inflation. Donc, la reprise du contrôle économique et la stabilité nécessiteront une combinaison de politiques macroéconomiques, budgétaires, monétaires et de change.
Quelles sont les perspectives pour 2024 ? Quels projets peuvent être envisagés ?
Pour 2024, si les politiques budgétaires, monétaires et de change restent inchangées, l’Algérie pourrait connaître un scénario similaire à l’année précédente. Les indicateurs macroéconomiques seraient mitigés, avec des avantages et des inconvénients. Cependant, cela pourrait poser des problèmes de croissance, d’emploi et de pauvreté.
Pour remédier à cela, l’Algérie devrait, à mon humble avis, se donner une vision à long terme sur les 30 prochaines années. Pourquoi ne pas rêver ? Pourquoi ne pas dire nous voulons conduire l’Algérie à devenir un pays émergeant en 2050. Un pays émergent dans le sens où nous aurons une économie plus intégrée, où le niveau de vie mesuré par le revenu par tête d’habitant passerait de 4000 $ aujourd’hui à douze, treize, quatorze, voire 15 000 $. C’est faisable à condition d’atteindre ce rêve par le biais d’une stratégie décennale conséquente sur la base de laquelle nous construirons des plans d’action sur trois ans. Pourquoi trois ans ? Parce que trois ans est une période assez courte pour pouvoir faire une prospective, mais en même temps assez longue pour nous donner un peu de recul.
En parlant de réforme, il y a la question de la réforme bancaire et financière. Qu’en est-il réellement ?
Avant d’arriver à la réforme bancaire et financière, il est important d’axer la stratégie économique autour de trois axes principaux. Le premier axe vise à stabiliser l’économie algérienne. Il est impératif de remettre sur pied une économie en difficulté. Cela passe par la mise en place de bases solides, car sans un contrôle budgétaire adéquat, une inflation maîtrisée et un taux de change équilibré, il est impossible de mettre en œuvre des réformes efficaces et d’ouvrir la voie à la croissance.
Ainsi, la stabilisation nécessite d’être complétée par des réformes structurelles. C’est justement le deuxième axe. Ces réformes visent à favoriser les investissements privés, à améliorer l’accès au financement, à assainir le secteur public, y compris le secteur bancaire et à accroître la participation des femmes au marché du travail. De plus, pour stimuler la croissance, il est nécessaire d’accélérer ces réformes.
Ces réformes structurelles ont pour objectif d’améliorer l’offre économique et de renforcer la compétitivité de l’Algérie. En outre, un autre axe essentiel, le troisième, concerne les réformes sectorielles, qui ciblent de nouvelles sources de croissance en misant sur l’avenir, notamment les domaines du numérique, de l’écologie et de l’économie bleue. Le numérique, en particulier, est un vecteur de transformation économique majeur, favorisant l’amélioration de la productivité.
Les réformes monétaires et bancaires sont une composante cruciale de cette stratégie globale. Il est essentiel d’insister sur la nécessité de mener ces réformes de manière globale et cohérente, en évitant les approches ad hoc ou stop-and-go qui mènent à des retards fréquents. Dans un monde en constante évolution, tant en Algérie qu’à l’étranger, le suivi et l’ajustement sont essentiels.
Pour assurer un suivi efficace, il est nécessaire de mettre en place des outils et des instruments appropriés, notamment un cadre macroéconomique à moyen terme avec des objectifs macroéconomiques intermédiaires, un cadre budgétaire à moyen terme pour planifier les dépenses à moyen terme, ainsi que des indicateurs pour surveiller l’économie, le revenu national, les aspects sociaux et bien d’autres domaines.
Toutefois, il est crucial de souligner que toutes ces réformes doivent être accompagnées d’un programme social visant à soutenir les secteurs vulnérables de la population, car les réformes peuvent laisser certaines personnes sur la touche. Enfin, la communication est un élément essentiel de cette démarche. Il est nécessaire d’expliquer clairement les réformes aux citoyens pour obtenir leur adhésion. Bien que l’adhésion totale ne soit peut-être pas atteignable immédiatement, la majeure partie de la population comprendra l’importance de ces réformes pour l’avenir de l’Algérie.
Comment l’Algérie peut-elle devenir un pays émergent en 2050 ?
Pour atteindre cet objectif ambitieux, l’Algérie doit se doter d’une base doctrinale solide, tout comme l’ont fait nos aînés en 1962 à Tripoli. Cette base doctrinale a fourni une stratégie à long terme à l’Algérie, qui l’a mise en œuvre avec succès. De la même manière, il est essentiel de se fixer des stratégies décennales progressives pour atteindre cet objectif ambitieux.
Dans le cadre de ces stratégies décennales, il est impératif de mettre en place des plans d’action cohérents et globaux, couvrant tous les secteurs de l’économie. Ces réformes seront ambitieuses et parfois difficiles, car l’Algérie a reporté des réformes pendant de nombreuses années. Cependant, une fois que ces réformes sont reportées, elles deviennent inévitables, et il est impératif de les mettre en œuvre.
Il est judicieux de commencer par des réformes qui produiront rapidement des résultats positifs et de les échelonner dans le temps. Le recours à un «big bang» n’est pas recommandé. Au contraire, il est essentiel de procéder de manière progressive et méthodique. C’est pourquoi il est nécessaire d’insister sur un suivi rigoureux des réformes, avec une surveillance quotidienne. Cela nécessitera la mise en place d’un comité technique réunissant la Banque centrale, le ministère des Finances et d’autres ministères clés pour collecter des informations et produire un tableau mensuel des indicateurs.
Ce tableau devrait être remis à l’échelon politique, qui prendra des décisions pour calibrer et ajuster les réformes au besoin. Il est donc nécessaire de mettre en place une infrastructure solide pour mener à bien ces réformes. Cela ne sera pas facile, mais c’est réalisable.
(*) Vous pouvez voir l’intégralité de cet entretien en vidéo sur notre site web www.elwatan-dz.com, sur notre chaine YouTube : https://www.youtube.com/@elwatanweb5345 et sur nos réseaux sociaux.