Après Ouled Hlal (2019), le feuilleton Babor Ellouh, conçu et réalisé par Nasreddine Shili, caracole en tête des programmes les plus vus en ce mois du Ramadhan. Abdelkader Djeriou, acteur principal campant le rôle de Hasni, revient dans cet entretien sur le succès d’une fiction qui crève l’écran, la polémique créée et amplifiée par des profils anonymes infestant les réseaux sociaux ainsi que le climat d’intolérance qui s’installe dans la société.
- Alors qu’il s’agit d’une rediffusion d’une série tournée en 2019 et mise en ligne d’abord par la plateforme Yara, Babor Ellouh ne perd pas de son attractivité. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes tous contents des retours concernant la diffusion de Babor Ellouh sur la chaîne Echorouk en cette première quinzaine du mois de Ramadhan. Après une première expérience sur Yara, plate-forme payante de streaming (Vidéo en VOD), en 2021, nous avons décidé d’élargir le champ de diffusion à travers une chaîne TV. Il était surtout question de permettre au plus grand nombre de téléspectateurs de découvrir une série qu’ils attendaient avec beaucoup de curiosité. Comme prévu, les téléspectateurs sont nombreux à nous suivre. Leur nombre a triplé depuis le début du Ramadhan. On s’attendait, à vrai dire, à un tel succès au vu de l’engouement observé lors de la diffusion du feuilleton sur Yara. Et ce malgré le piratage à large échelle du feuilleton, aussi bien ici en Algérie qu’à l’étranger.
- Quels sont les taux d’audience de Babor Ellouh en cette première partie du mois de Ramadhan ?
Je n’ai pas tous les chiffres en tête, mais sur le plan de l’audience nous sommes largement en tête. Selon un sondage de l’Immar, la série a atteint un pic 10 millions de vues lors de la première quinzaine du mois d’avril. Babor Ellouh a enregistré, lors des premiers épisodes, une moyenne de 2 à 3 millions de vues avant d’exploser l’audimat. C’est le feuilleton le plus suivi sur les chaînes de télévisions en Algérie en ce mois de Ramadhan. Ce n’est pas un hasard, mais le résultat de longs mois de tournage et du travail acharné d’une équipe de comédiens et de techniciens hors-pair.
- Une performance vite rattrapée par des plaintes concernant de supposés dépassements « attentatoires» à la sacralité du mois de Ramadhan …
Il faut d’abord savoir que la version diffusée sur Echorouk a été expurgée de certaines séquences par rapport à la version originale diffusée par Yara en 2019. Cela a été décidé par la chaîne de télévision justement pour éviter toute polémique. Et c’est son droit le plus absolu lorsqu’on connaît les risques qu’encourent aujourd’hui un média algérien au moindre faux pas. Mais c’était sans compter sur la montée en puissance de courants conservateurs et l’intolérance grandissante sur les réseaux sociaux.
Personnellement, je trouve que l’attitude de l’autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) envers la chaîne Echorouk a été correcte. Après les explications fournies à l’ARAV, la sagesse a prévalu chez les responsables de cette instance et on n’est pas arrivé au point d’interdire la série. Hob El Moulouk, feuilleton franco-tunisien diffusé sur Ennahar TV, n’a pas eu la même chance. Je suis triste pour eux. C’est une décision assez difficile à prendre, sévère. Je suis pour des sanctions lorsque des règles convenus pas tous les intervenants dans les champs audiovisuel et culturel sont bafouées, mais je suis contre toute forme de censure.
- Que s’est-il passé exactement avec l’ARAV ?
L’ARAV a convoqué la directrice de la chaîne Echorouk TV suite aux plaintes qu’elle a reçues et aux informations relayées sur les réseaux sociaux concernant des dépassements. La responsable de la chaîne a mis tous les éléments nécessaires à la disposition de l’instance de surveillance des médias audiovisuels. Après visionnage des séquences diffusées par Yara et celles retenues par Echorouk, l’ARAV est arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’une campagne montée de toutes pièces. Mais au-delà des décisions prises par l’autorité de régulation, je trouve que les saisines répétitives et leur acquiescement lorsqu’il s’agit de produits artistiques posent vraiment problème. Ce n’est pas normal que des plaintes déposées par des pages anonymes trouvent échos auprès d’instances officielles pour la simple raison qu’elles font du «bruit» sur le net.
- Vous trouvez que les plaintes ciblant certaines séries de télévision sont savamment orchestrées . Comment est-ce possible ?
Lorsque vous vous intéressez de près à ces pages qui, à longueur de journée, prétendent défendre les valeurs de la société algérienne vous allez remarquer qu’il s’agit de nébuleuses dont l’action est parfaitement coordonnée. C’est presque des tracts qui reviennent tout le temps sur les réseaux sociaux. Ils sont inspirés par une tendance politico-religieuse extrémiste qui cherche clairement à replonger le pays dans les ténèbres. Pour ce faire, ils continuent à vouloir abrutir jeunes et moins jeunes. Qui sont ces gens-là ? Ils sont au service de qui ?
J’ai comme l’impression que le fait de continuer à produire des séries et des fictions reflétant la réalité algérienne semble trop déranger les tenants du statu quo culturel. Pourtant, lorsqu’il s’agit de programmes étranger -au cours de l’année programmes turques sont diffusés avec des scènes bien plus osées- cela ne semble susciter aucune réaction des gardiens de la morale toujours à l’affût du haut des maquis du net. Il est, à mon avis, nécessaire que l’Etat joue son rôle pour que la création artistique soit à l’abri des mouvances extrémistes et des discours de haine. L’artiste a besoin de se sentir protéger pour exprimer pleinement son talent.