A quoi pense un corbeau ?

05/05/2022 mis à jour: 02:40
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Des taches noires sur un édifice censé être refait à neuf, c’est Alger la blanche, grise les jours d’élection et noire dans l’obscurité des cachots. 

En 2016, le blogueur Mohamed Tamalt mourait en détention à la prison d’El Harrach dans de troublantes conditions, devenant tristement le premier journaliste algérien mort en prison depuis l’indépendance. Il sera suivi en 2019 par le docteur Kamel Eddine Fekhar, activiste politique, mort d’épuisement en détention, puis en 2022 par Hakim Debazi dans la sinistre prison de Koléa, mort de complication respiratoire. Pour Tamalt et Debazi, les mots tuent, les deux avaient été enfermés pour des écrits, le premier à travers des blogs virulents, le second pour de vagues commentaires sur Facebook appelant à manifester pour le hirak constitutionnel. 

Pour Tamalt et Fekhar, les deux sont morts des suites d’une grève de la faim, et pour les trois, pas un mot d’excuse bien sûr de la part des autorités qui mettent n’importe qui pour n’importe quel prétexte dans des prisons qu’on appelle encore pudiquement «centres de rééducation», abusent dramatiquement de la détention préventive et sont coupables d’une lenteur criminelle dans les évacuations vers les hôpitaux. Pour Tamalt, une enquête indépendante n’a toujours pas vu le jour, 6 ans après, pas plus que pour Fekhar et il est certain qu’il n’y aura pas d’enquête pour le cas Debazi, père de famille sans histoires et injustement incarcéré, à qui on a même refusé une libération conditionnelle. 

Le système bloque encore sur les libertés collectives et individuelles et n’a que très peu de considération pour ses citoyens, de vagues cartes de vote et de simples pompes à impôts pour alimenter son fastueux train de vie. Ces trois cas, Tamalt, Fekhar et Debazi, resteront gravés dans la mémoire collective, comme des taches noires sur la robe du chardonneret qui quand elles s’étendent et finissent par se toucher transforment l’oiseau chanteur en corbeau. 
 

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