Mélanger les palmiers à huile à d’autres espèces forestières pour faire revenir orangs-outans et éléphants : c’est l’objectif d’un projet d’agroforesterie mené par des scientifiques sur l’île de Bornéo, en Asie, et soutenu par des industriels, pour rendre cette culture moins néfaste pour la biodiversité. Partant du principe qu’»une autre culture du palmier à huile est possible», des chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et des ONG se sont alliés avec des importateurs pour tenter d’en limiter les dégâts. Source d’une déforestation massive, les palmiers ont remplacé la forêt tropicale sur des milliers d’hectares en monoculture intensive, a rappelé jeudi Alain Rival, coordinateur du projet au Cirad, lors d’une conférence au Salon de l’agriculture qui se tient jusqu’à ce week-end à Paris. «Plus de la moitié de la planète se nourrit quotidiennement de cet ingrédient: l’idée n’est donc pas de l’abandonner, mais de transformer la production», a souligné Christophe Bordin, vice-président de l’Alliance pour la préservation des forêts, qui rassemble ces importateurs. L’objectif du projet «Trails» est de restaurer des écosystèmes dégradés et de cultiver de façon moins intensive, sans faire trop baisser les rendements - et les revenus des paysans. Les palmeraies sont vouées à évoluer car cette culture «très sensible résiste mal aux épisodes climatiques extrêmes», comme la sécheresse et les feux de forêts, a expliqué Alain Rival. Par ailleurs, l’Union européenne a scellé un accord en décembre pour interdire l’importation de plusieurs produits - dont l’huile de palme -, lorsqu’ils sont issus de la déforestation. De quoi inciter à explorer des pistes prometteuses telles que l’agroforesterie, une «stratégie pertinente» d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, qui vise à réintroduire des arbres dans les palmeraies. Dans la plaine du fleuve Kinabatangan, sur la partie de l’île de Bornéo appartenant à la Malaisie - un pays qui est le principal producteur d’huile de palme avec l’Indonésie -, 90% des terres sont dominées par cette culture. L’équipe de Trails, qui a lancé son projet en 2018, s’est installée sur une vingtaine d’hectares appartenant au planteur MOPP (Melangking Oil Palm Plantation). Elle y a mis en terre 3000 palmiers et arbres issus d’une quinzaine d’autres espèces, comme le durian, avec trois schémas de plantation qui permettront d’évaluer les effets sur la qualité des sols ou la pollinisation. Les scientifiques devront aussi établir s’ils favorisent le retour des animaux sauvages, en leur offrant des abris et en facilitant leur passage via des corridors forestiers. De l’Amazonie au bassin du Congo, le palmier pousse dans des réservoirs de biodiversité, ce qui doit inciter à améliorer la coexistence «entre l’animal et l’homme», a expliqué Marc Ancrenaz, primatologue et directeur scientifique de l’ONG Hutan, très active dans le projet. A Bornéo, orangs-outans et éléphants ont trouvé refuge dans des îlots forestiers, mais leur traversée des palmeraies provoque conflits et accident. «Même s’ils s’adaptent, ils ont besoin de la forêt pour survivre», a-t-il pointé. Les orangs-outans ont vu disparaître des pans entiers de leur habitat pour la culture du palmier, et leur population a chuté d’environ 288 000 individus en 1973 à 100 000 en 2017, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Les chercheurs vont désormais suivre la recolonisation de l’écosystème par la faune et espèrent obtenir suffisamment de fonds pour poursuivre le projet sur 10 à 15 ans. Celui-ci bénéficie pour l’instant du soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, de l’Alliance pour la préservation des forêts, du Cirad et de l’industriel Ferrero - qui utilise l’huile de palme dans son célèbre Nutella. Objectif : monter à 2,5 millions d’euros pour aller au bout de cette deuxième phase d’étude. Les scientifiques devront aussi tâcher d’associer «les acteurs (locaux), et leur faire comprendre que le système tel qu’il fonctionne aujourd’hui n’a pas de futur», a résumé Alain Rival.