63e Anniversaire de l’assassinat du Chahid Aïssat Idir : Parcours d’un homme d’exception (1re partie)

29/08/2022 mis à jour: 00:10
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Aïssat Idir est né le 11 juin 1915 à Djemâa Sahridj, commune de Mekla, wilaya de Tizi Ouzou. Il va parcourir le cycle d’études, abordables par les jeunes ruraux de l’époque. Par chance, il va pouvoir, dès l’âge de la scolarisation, fréquenter l’école primaire, laquelle doit son existence au don d’une pièce que fait son père Akli à la commune afin d’y installer une classe primaire. Il fréquentera l’école française, tout en apprenant la langue arabe et le Coran à la mosquée toute proche du domicile paternel.

En 1921, survient un événement qui marquera profondément le jeune adolescent. Sa mère décède après une courte maladie. Son père ne tarde pas à se remarier. Pour surmonter sa douleur, Aïssat Idir redouble d’ardeur en classe. Sans difficulté, il obtient son certificat d’étude primaire et réussit au concours de la Bourse, sans pour autant bénéficier de l’internat.

Il subit avec succès le concours d’entrée à l’école primaire supérieure de Tizi Ouzou. Sa bourse lui permet de se restaurer en ville mais, pour le gîte, la mission protestante accepte de l’héberger gratuitement, avec une trentaine de camarades, aux conditions de travailler sérieusement et de bien se tenir en internat.

Après l’examen du Brevet élémentaire, Aïssat Idir franchit l’obstacle sans difficulté, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’on disait de lui qu’il était un bûcheur patenté hors catégorie. Il avait pratiquement dans la poche le billet lui permettant d’entrer à l’Ecole normale, le rêve de beaucoup d’Algériens à l’époque. Sur l’insistance d’un de ses voisins il laisse tomber son brouillon du sujet de mathématiques. Son geste est surpris par le surveillant. Conséquence, il sera, comme son voisin, prié de quitter immédiatement la salle d’examen : s’en était fini de son rêve de devenir enseignant, un rêve, davantage une obsession pour son père qui voulait voir son fils devenir instituteur et pourquoi pas revenir à Djemâa Sahridj pour enseigner, lui qui, malheureux, ne savait ni lire ni écrire.

Les relations entre le père et le fils devenaient difficiles. Il fallait qu’ils se séparent, pour un temps au moins. Son oncle installé en Tunisie l’aime bien, il l’accueille chaleureusement. Il retrouve ainsi son équilibre et reprend ses études avec toujours la même persévérance, prépare le concours d’entrée à l’université de Tunis et s’inscrit aux cours de droit et de sciences économiques.

Appelé par l’armée, il accomplit sa période de service militaire. Armé de ses diplômes, il rentre en Algérie. A la recherche d’un emploi, il apprend que les Ateliers industriels de l’AIA (Ecole de l’Air de Cap Matifou, actuellement Bordj El Bahri), ouvrent un concours pour le recrutement de cadres qualifiés. Il se présente et est admis dans les fonctions de comptable. Enfin, il travaille et dispose d’un bon salaire. Il s’installe à Alger dans le quartier de Belcourt, aujourd’hui Mohamed Belouizdad.

Pas longtemps, il est vrai, la Seconde Guerre mondiale éclate, il est mobilisé en Tunisie, là où il accomplit son service. La capitulation de la France, après quatre semaines de combat, lui permettra d’être rapidement démobilisé et de revenir de nouveau à Alger où il reprend ses fonctions à l’AIA.

Il a vingt-cinq ans. C’est la France qui a perdu la guerre et pourtant c’est l’Algérie qui va le plus souffrir. La disette, les maladies sont à l’origine de milliers de morts dans les régions les plus pauvres. Le rationnement, particulièrement des denrées alimentaires, frappe surtout les jeunes.

Notre pays, sous le régime de Vichy, est représenté en Algérie par des officiers supérieurs, dont la mission est de veiller à ce que rien ne bouge, et tous les moyens leur sont donnés pour écraser toute tentative de rébellion. Aïssat Idir vit et souffre comme tous les Algériens des causes profondes de notre tragique situation. Le PPA (Parti du Peuple Algérien) clandestin, dirigé par Mohamed Lamine Debaghine et Mohamed Taleb, en dépit de l’arrestation de ses principaux dirigeants est présent à Belcourt.

Aïssat Idir évolue dans un milieu où les jeunes, souvent privés d’emploi, rongent leurs freins. C’est sans doute à cette époque que Aïssat Idir, mûri par ses multiples expériences, dans le civil, dans l’armée, en Algérie et en Tunisie s’affirme.

Le 8 novembre 1942, les anglo-américains débarquent au Maroc et en Algérie. Après une résistance symbolique, les Français déposent les armes. Désormais, ils sont éclipsés par les Américains qui prennent les pouvoirs en Algérie.

Le bouillon de culture que constituent certains quartiers de la capitale, tels que La Casbah, Belcourt, Clos Salembier, El Harrach, Kouba, etc., le retour des militants emprisonnés ou détenus dans les camps annonceront les débuts d’une révolution en ce sens que, pour la première fois, c’est l’ensemble de l’Algérie qui connaîtra un enthousiasme auquel peu des nôtres échapperont.

Aïssat Idir avec sa discrétion de parfait clandestin se rapproche de ceux qu’il devine être parmi les têtes pensantes du PPA et des Amis du Manifeste et de la Liberté. Lui et Mohamed Belouizdad, responsable de la section jeune de Belcourt, étaient fait pour s’entendre. Il rencontre souvent Lakhdar Rebbah qui possède une échoppe où il vent du lait, pas loin de la demeure.

Le mouvement des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté), constitué le 14 mars 1944, a pour programme politique un document qui s’inspire du Manifeste, dont l’auteur de la première mouture est Mohamed Lamine Debaghine. Revu, il est présenté aux autorités alliées et françaises par Ferhat Abbas et Abdelkader Sayah. La colonne vertébrale des AML est assurée par les militants clandestins du PPA. Aïssat Idir, en contact de plus en plus fréquent avec les jeunes de Belcourt, s’intéresse à leur situation sociale, niveau intellectuel, emploi, le nombre de frères et sœurs que compte la famille, a-t-il un emploi, dans ce cas le montant du salaire, les avantages sociaux.

Voilà de quoi engager la bataille, sur le front social. Il n’oublie pas ce qu’il a appris en Tunisie et l’expérience enrichissante des leaders syndicalistes du pays voisin de l’Algérie, sous protectorat français. Mohamed Ali El Hammi, l’un des pères du syndicalisme arabe, présentait aux yeux des lettrés de Tunis deux étrangetés.

D’origine populaire et comble d’infamie, originaire d’un village du Sud, il se permet de revenir, en 1924 de Berlin, avec un doctorat en économie politique et des idées socialistes. Avec le concours de Tahar El Haddad ils constitueront le premier syndicat Tunisien. La CGT (Confédération générale du travail) dispose d’une organisation qui est rattachée à la maison mère à Paris.

Les Tunisiens du Destour et le leader socialiste Bothereau uniront leurs efforts pour faire interdire la CGTT (Confédération Générale du Travail en Tunisie) nationaliste. Après une éclipse de plus de dix ans, la CGTT reprend vie sous la conduite, cette fois, d’un homme du sérail, le jeune avocat Hédi Nouira. La guerre réduira son organisation au silence. Ferhat Hached, que nous connaissons mieux, sera le fondateur, le 20 janvier 1948, de l’UGTT.

Voilà où se ressourçait Aïssat Idir lorsque son activité professionnelle, ou ses visites à son oncle, motivaient sa présence à Tunis. Les circonstances vont amener Aïssat Idir à rencontrer Ferhat Hached. Voici ce que rapporte, à ce sujet, l’Ouvrier algérien édité en juillet 1959 à Tunis, en pleine guerre de libération :

«Au cours du mois de février 1952, deux hommes dont le destin commun fut tragique, se rencontrèrent à Tunis

La Tunisie était en pleine lutte de libération nationale. La bataille faisait rage ; les militants et les dirigeant des mouvements nationaux, Néo-Destour et UGTT, étaient en prison ou traqués par la police française. Ferhat Hached se trouvait dans un local situé dans la rue Sidi Ali Azouz et tout un cordon policier encerclait le lieu. Aïssat Idir, malgré cette surveillance étroite, arriva à rentrer dans le local pour rencontrer son frère de combat.

Entrevue historique. Pendant plus de deux heures, ces deux hommes se penchèrent sur les problèmes que posait déjà le syndicalisme maghrébin et le rôle que doit jouer la classe ouvrière dans chaque pays, pour la lutte de Libération nationale et l’édification d’un ordre nouveau dans le domaine économique et social. Une sympathie profonde et spontanée naquit entre eux et leur identité de vues sur tous les problèmes évoqués fut parfaite.

Quelques mois plus tard et ce fut vendredi 5 décembre 1952, à l’aube au moment où Ferhat Hached s’apprêtait à reprendre sa place dans le combat quotidien qui devait se terminer par l’indépendance de la Tunisie, il fut lâchement assassiné par les agents du colonialisme, fin de citation.Ainsi, nous comprenons beaucoup mieux le grand intérêt que portait Aïssat Idir aux problèmes touchants au politique, sans doute mais aussi, ce qui était le point faible du PPA, l’économie, le social, la culture. Abdelmadjid Azzi (A suivre)

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