23 Octobre 1954 - Le comite des «six» arrête la date de l’insurrection : «Vous qui êtes appelés à nous juger…»

31/10/2024 mis à jour: 00:47
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Photo : D. R.

C’est l’une des images les plus émouvantes de « l’album photo » de la Révolution : celle des six chefs nationalistes posant pour l’histoire dans un studio photo avenue de la Marne, aujourd’hui Mohamed Boubella, à Bab El Oued. Debout de gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohammed Boudiaf. Assis : Krim Belkacem à gauche et Mohamed Larbi Ben M’hidi à droite.

Ils formaient le « Comité des Six ». La photo a été prise le 23 octobre 1954, le jour de leur toute dernière réunion au cours de laquelle ils avaient arrêté, d’un commun accord, la date fatidique du déclenchement de la flamme de Novembre. C’est probablement l’unique photographie où on les verra au complet.

Cet état-major sera rejoint par trois membres de la délégation extérieure du MTLD au Caire : Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Khidher. Ils vont ainsi constituer le « Groupe des 9 ». Telle était la toute première direction politique du mouvement indépendantiste, et qui va s’incarner à travers un nouveau sigle que les anciens cadres de l’OS vont lancer : le FLN, le Front de Libération Nationale, et sa branche militaire : l’ALN, l’Armée de Libération Nationale.

La Réunion des 22 s’était achevée par la désignation, par un scrutin à bulletin secret, d’un responsable national. Et c’est Mohammed Boudiaf qui a été élu à l’issue de ce vote. Il avait dès lors le pouvoir discrétionnaire de choisir ses pairs qui allaient former la direction collégiale de la nouvelle organisation en construction. « La procédure employée pour dégager cette direction avait pour finalité de sauvegarder l’anonymat de ceux qui en feraient partie.

Il fut donc entendu d’élire seulement le responsable national à la majorité des deux-tiers, celui-ci choisirait ensuite les autres membres du Comité qui ne seraient connus que de lui seul » explique Boudiaf dans son récit, La Préparation du 1er Novembre 1954 (El Djarida, novembre 1974).

L’atelier de Aïssa Kechida, QG des chefs nationalistes

Ben Boulaïd, le président de séance, informa Boudiaf de son élection. « Dès le lendemain, je fis appel à Ben Boulaïd, Didouche, Ben M’hidi et Bitat, qui avaient participé à tout le travail préparatoire, pour constituer le comité chargé de mettre en application la résolution des 22.

Notre première réunion eut lieu chez Kechida Aïssa (rue Barberousse)» indique Si Tayeb El Watani. Dans ses Mémoires publiés sous le titre Les Architectes de la Révolution (éditions Chihab, 2001), Aissa Kechida, tailleur de son état et militant de la première heure qui avait connu de très près les membres du Comité des Six pour les avoir régulièrement reçus chez lui, rend rigoureusement compte de toutes les réunions qui se tenaient dans son atelier, devenu un véritable QG du Comité exécutif de la Révolution.

«Je quittai le local que je possédais au 45, rue de La Casbah, et m’installai dans un espace plus grand au 6 rue Barberousse, à Sidi Ramdane, dans la Haute-Casbah. Je n’imaginais pas à l’époque que ce local allait être plus tard le lieu de rencontre de tout ce que le Mouvement national comptera comme leaders et le théâtre de délibérations historiques qui décideront du sort de tout un peuple » écrit-il dans son témoignage.

Boudiaf précise que lors de leur première réunion, les cinq chefs historiques (avant d’être rejoints par Krim) ont commencé par adopter un règlement intérieur. Ensuite ils ont émis un certain nombre de mesures. L’une des principales décisions prises consistait à « regrouper les anciens de l’O.S. et les intégrer dans une structure ». « Jusqu’à ce moment-là, nous avions pris des contacts en tant que C.R.U.A., mais les éléments d’accord avec nous n’étaient pas organisés » souligne Boudiaf.

Il a été également décidé de « reprendre l’instruction militaire à partir de l’ancienne brochure de l’O.S. qui fut reproduite » ; de faire « des stages de formation en explosifs afin de fabriquer les bombes, nécessaires au déclenchement ». En outre, « les responsabilités furent réparties entre les membres du Comité ». Et « il fut recommandé de multiplier les contacts avec les responsables de la Kabylie afin de les intégrer au mouvement ». Fervent messaliste, Krim Belkacem rompt avec le MTLD en août 1954 et rejoint dans la foulée le Groupe des Six.

La réunion décisive de Raïs-Hamidou

Le 23 octobre 1954 se tient à la Pointe-Pescade (Raïs-Hamidou) l’ultime et la plus importante réunion du Comité des Six. Elle a eu lieu dans la maison du militant Mourad Boukechoura, « au 42 rue Comte Guillot, aujourd’hui rue Bachir Bedidi » indique Aïssa Kechida dans ses Mémoires.

Selon un document du Centre national d’étude et de recherche sur la Résistance populaire, le Mouvement national et la Révolution du 1er novembre 1954, il a été décidé au cours de cette réunion de « rédiger une déclaration annonçant le déclenchement de la révolution et exposant ses objectifs et ses moyens » ; de « fixer la date du déclenchement de la révolution et la garder secrète (nuit du dimanche 31 octobre au lundi 1er novembre 1954, à minuit) » ; et de « choisir le mot de passe pour la nuit du 1er novembre 1954 et ça sera « Khaled » et “Okba” ».

Décision fut prise également de « contacter les anciens militants de l’O.S. et leur demander de se préparer à l’heure zéro (le moment du déclenchement de l’insurrection) ». Et c’est durant ce conclave qu’a été décidé le nom de baptême de la nouvelle organisation politico-militaire qui allait encadrer le mouvement insurrectionnel : le FLN-ALN.

Concernant le volet logistique, les Six ont préconisé le « recensement et l’entretien des armes anciennes stockées dans les caches de l’Organisation Spéciale qui n’ont pas été découvertes par la police française en 1950 ». Les chefs de la révolution ont par ailleurs résolu de cartographier les zones géographiques où devait opérer l’ALN : «Elaboration d’une carte comprenant une liste illustrée des points d’eau, des bunkers, des sommets et des vallées » lit-on dans le document du Centre de recherche sur le 1er Novembre.

Il fallait en outre « identifier les lieux à cibler lors des attaques ». Boudiaf et ses compagnons ont dressé une première liste comprenant les sites les plus importants à frapper en priorité, à savoir « les postes de police et de gendarmerie, les gardes forestiers armés, les lieux où se trouvent les agents et les collaborateurs de l’administration coloniale ».

C’est aussi pendant cette réunion qu’a été effectué le découpage du territoire en six zones de combat, chacune placée sous le commandement d’un des chefs nationalistes. Les Aurès représentent la Zone 1. Celle-ci est placée sous le commandement de Mostefa Ben Boulaïd. Il a comme principal adjoint Bachir Chihani.  Zone 2 : Nord-Constantinois. La zone est sous le commandement de Didouche Mourad, secondé par Youssef Zighoud.

Zone 3 : La Kabylie. Elle est sous l’autorité de Krim Belkacem, aidé par Amar Ouamrane. La Zone 4 qui couvre l’Algérois et la Mitidja est dirigée par Rabah Bitat avec, comme adjoint, Souidani Boudjemaâ. Enfin, la zone 5 couvre l’Oranie et elle est placée sous le commandement de Larbi Ben M’hidi. Il a comme adjoint Abdelhafid Boussouf. 

Quant au Sahara qui représente la zone 6, il est rattaché provisoirement à la Zone 1. Après le Congrès de la Soummam, ces zones ont été érigées en wilayas. Concernant le rôle attribué à Mohammed Boudiaf, Kechida précise qu’il a « été désigné coordinateur national en relation avec l’intérieur et l’extérieur ».

Comment a été rédigée la Déclaration du 1er Novembre 

Pour sensibiliser l’opinion algérienne et internationale sur la portée de son action, le Comité des Six va élaborer deux documents-clés qui seront au cœur de sa stratégie de communication : la Proclamation du 1er Novembre 1954 ainsi que l’Appel au peuple algérien lancé au nom de l’ALN. La Déclaration du 1er Novembre sera diffusée sur les ondes de la radio « Sawt El Arab », la radio créée par Djamal Abd Al Nasser en 1953, et qui émettait depuis Le Caire.

Elle commençait par ces termes : « A vous qui êtes appelés à nous juger (le premier d’une façon générale, les seconds tout particulièrement), notre souci en diffusant la présente proclamation est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l’indépendance nationale dans le cadre nord-africain.

Notre désir aussi est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l’impérialisme et ses agents administratifs et autres politicailleurs véreux. »Dans son livre, Aïssa Kechida fournit de précieux détails sur les circonstances dans lesquelles la Déclaration du 1er Novembre a été confectionnée et diffusée. Il raconte : « A la veille du déclenchement, le samedi matin du 30 octobre 1954, Bouadjadj Zoubir, responsable des groupes de choc, se présente dans mon magasin, Voyant que j’étais afféré avec un client, il pénètre dans le salon d’essayage et y dépose un colis.

Ayant défait le paquet, je découvre des liasses de tracts relatifs à l’Appel au peuple et à la Proclamation du 1er Novembre. » Ces « tracts » devaient être rapidement distribués, à la fois à des « personnalités algériennes et européennes ». « Nous relevions dans l’annuaire téléphonique les noms des personnalités algériennes et européennes et les rendions destinataires des premiers documents du FLN-ALN » révèle l’auteur.

Et de préciser : « Les deux textes que nous avons répandus aux travers des militants et des personnalités algéroises de différentes confessions ont été rédigés par un militant, Laïchaoui Mohamed qui avait adhéré au PPA vers 1946. Il était journaliste, résidait à Paris et exerçait à la revue “Monde Arabe”. Boudiaf a fait sa connaissance lorsqu’il était responsable en France.

Laïchaoui, rentré en Algérie, a eu un poste de permanent, au siège du parti à la place de Chartres et collaborait avec Lahouel. Il était également rédacteur au journal “L’Algérie libre”. Boudiaf le sollicite et lui fait savoir qu’il aurait besoin de ses services pour rédiger des documents de propagande confidentiels. Et à ce titre, aucune personne, quelle qu’elle soit, ne devait être au courant.

Laïchaoui donnera son accord de principe. Voyant Boudiaf souvent déambuler dans les locaux du siège, il ne pensait pas que la direction s’opposerait à la rédaction de documents. Il rencontrera plusieurs fois Didouche et Boudiaf chez moi au 5, passage Malakoff, rue Bab El Oued. Si Tayeb émettait les idées tout en s’inspirant, quant à la Proclamation, du programme du MTLD élaboré lors du congrès de 1953, et Laïchaoui les mettait en forme. Une fois les deux documents rédigés, Boudiaf réunit les Six à deux reprises et leur en a fait la lecture. Satisfaits du contenu, les six compagnons les ont adoptés. Chacun a pris deux copies en vue de leur tirage dans leurs zones respectives ».

“Cette révolution se fera même avec les singes de la Chiffa”

Selon le récit de Aissa Kechida, « Laïchaoui est à nouveau contacté par Didouche Mourad qui lui a remis de l’argent pour acheter dix rames de papier, une boîte de stencils, deux bidons d’encre Ronéo Korès, une agrafeuse et un flacon de corrector. Didouche mettra en contact Laichaoui avec Krim Belkacem qui l’amènera en Kabylie, au village d’Ighil Imoula, le 27 octobre. Sur place, le rédacteur trouvera une machine à écrire et un appareil de reproduction (tireuse de stencils).

Il procède au tirage de 2300 exemplaires de l’Appel et 1100 exemplaires de la Proclamation. Krim acheminera ensuite les documents vers Alger. » Il y a tellement à dire sur cette séquence fondatrice de l’été et l’automne 1954 où tout a basculé. Nous préférons terminer sur ces mots de Mohammed Harbi tirés de son ouvrage 1954 la guerre commence en Algérie : « En dépit de toutes les faiblesses de leur organisation, les fondateurs du FLN, avec un instinct sûr, s’orientent vers l’action, malgré la puissance en qualité et en quantité des forces opposées. Leur foi dans les vertus intrinsèques de la lutte est sans faille.

Confiance aveugle dans l’avenir ? Peut-être, mais aussi et surtout refus d’un présent misérable fondé sur la suppression de toute initiative algérienne. “La révolution se fera même avec les singes de la Chiffa” lançait Boudiaf, prophétique, à Lahouel Hocine et M’Hamed Yazid qui avaient débauché quelques-uns de ses partisans. La rapidité avec laquelle a été organisée l’insurrection étonne. Mais la prouesse des fondateurs du FLN ne saurait se comprendre sans référence à l’expérience antérieure. L’Organisation Spéciale (OS) a été un laboratoire où se sont forgés des hommes et des traditions.

La conjoncture invitait également les hommes à aller vite. La fin de la guerre d’Indochine et l’ouverture des relations franco-tunisiennes pouvaient aboutir, si l’on n’y prenait garde, à un isolement des révolutionnaires algériens. Deux réunions, les 10 et le 23 octobre (1954) suffiront au “Comité des Six” pour assurer la mise au point des préparatifs. Aussitôt après, le coordonnateur Mohammed Boudiaf quitte l’Algérie pour Le Caire, emportant avec lui le programme des opérations armées et deux déclarations qui annoncent aux Algériens et à l’opinion mondiale l’entrée en scène du FLN et de l’ALN.» 

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