1962-2022 : Soixante ans après l’indépendance : Les premières années de l’invasion coloniale

21/06/2022 mis à jour: 07:21
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Comment les Français ont pris possession de l’Algérie entre l’intrusion militaire de juillet 1830 à 1848. C’est le thème du livre La conquête de Colette Zytnicki. Une œuvre dans laquelle l’universitaire retrace sans concession les fondements tragiques de la sujétion.

Dès les premières lignes, Colette Zytnicki pose lucidement l’équation de 132 ans de belligérance : «La colonisation de l’Algérie par la France commence et se termine par la guerre». Et elle ajoute plus loin : «L’histoire de la période coloniale continue d’être plus qu’un enjeu mémoriel : c’est une blessure à vif qui n’a jamais cessé vraiment cicatrisée». Avec pour résultat que l’apaisement n’est pas près d’advenir si les questions relatives à l’intrusion coloniale ne sont pas clairement exposées.

C’est ce à quoi s’attelle Colette Zytnicki, qui avait déjà publié  Un village à l’heure coloniale, Draria (1830-1862), il y a trois ans, en 2019, aux éditions Belin. Un déjà remarquable ouvrage sur la manière dont la puissance occupante a pénétré le Sahel algérois, créant ex nihilo sur les terres algériennes les villages coloniaux pour créer un cercle de protection de la capitale et empêcher les tribus de s’en approcher en «françisant» cette proche région algéroise. Une véritable description du déni des natifs et de leur dénuement progressif par la destruction de toute authenticité paysanne algérienne qui avait modelé sa terre au fil des siècles.

Là, dans ce nouvel opus La Conquête, Comment les Français ont pris possession de l’Algérie, 1830 1848 (Editions Tallandier, Paris 2022), l’historienne peaufine un tableau de ce qui fut une spoliation et un dépouillement d’un peuple de son territoire immémorial et de sa culture ancestrale.

DE L’EXPEDITION A L’APPROPRIATION

L’auteure se place dans une lecture à la fois événementielle en reprenant les faits historiques mais perce aussi le vécu de ces années éprouvantes. Son regard se forge dans les archives pour faire revivre le désarroi et, malgré les vicissitudes, l’organisation de populations prises en étau.

Elle explique le cheminement : «C’est à cette conjoncture extraordinaire que ce livre est consacré. Et pour cela, il importe de remonter au-delà de 1830. Il faut inscrire l’expédition de juillet dans une histoire plus large pour comprendre ce qui liait la France à la Régence depuis des siècles, pour voir comment ces liens se sont progressivement détériorés au début du XIXe siècle, et enfin pour saisir ce qui s’est passé ensuite : l’expédition s’est transformée en occupation (1830) puis en prise de possession (1830-1834) et finalement en appropriation (1835-1848)».

L’approfondissement des archives permet, ces dernières années, à de nombreux chercheurs de mieux cerner cette période capitale pour l’histoire de la France et de l’Algérie, écrit Mme Zytnicki : «De jeunes chercheuses et chercheurs et des spécialistes confirmés travaillent en Algérie, en France, aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. Ils lisent et relisent les archives conservées en France, en Algérie et en Turquie, et proposent une vision neuve de cette histoire. Pour écrire ce livre, on a largement puisé dans cette précieuse moisson, intelligente et érudite, qui ouvre des pistes nouvelles», estime-t-elle.

Derrière cette humilité se cache une pugnacité de l’auteure et son appétit de rendre intelligible ce moment colonial dont l’Algérie pâtit encore aujourd’hui et dont la France reste marquée indélébilement. Avec un paradoxe que la première phase de sujétion qui s’achève en 1848 glisse insidieusement un poison non seulement chez le peuple asservi mais aussi jusque dans les pores sociopolitiques de la France.

L’historienne le souligne : «Surgit ici l’ambiguïté qui sera la marque même de l’Algérie, à la fois territoire français de plus en plus assimilé pour les Européens et colonie dotée de lois particulières et discriminantes pour les colonisés…»

LES «ACCOMMODEMENTS ET RESISTANCES»

Cette prise en main arbitraire et sanglante d’un pays a mis entre parenthèse la lutte continue mais souterraine, après l’arrêt des combats, des résistants menés par l’Emir Abdelkader. Cette domination n’inaugure donc pas en 1848 un champ de félicité. Déjà sont inscrites les raisons qui finiront par emporter un siècle plus tard la «France algérienne» qui après 1848 aura cru prendre ses aises dans le pays.

La deuxième moitié du XIXe siècle fut déjà marquée par plusieurs insurrections, dont celle connue sous le nom de son chef, El Mokrani. Puis au début du XXe siècle, la révolte des Marguerites avant dans les années 20 la naissance du mouvement national.

C’est ce que note Colette Sytnicki dans son chapitre de conclusion sur cette période 1830-1848 : «Une société nouvelle, coloniale, s’élabore, ethniquement organisée. Ces populations ont dû cohabiter durant plus de cent ans, dans un climat de tension pouvant s’exprimer brutalement ou à bas bruit, tension qui va resurgir après 1945, dans un contexte de promesses de citoyenneté toujours repoussée et de montée du nationalisme. Tout n’est pas dit en 1848, mais les bases d’un système politique et social profondément et structurellement inégalitaire sont posées».

Un ouvrage passionnant à lire comme le roman d’une brûlante déchirure, pour découvrir, au-delà de la force d’asservissement, les «accommodements et résistances» (titre d’un chapitre du livre) qui marquèrent 132 ans de colonisation et de lutte d’un peuple.  

*Colette Zytnicki,  La Conquête,  Comment les Français ont pris possession de l’Algérie, 1830 -1848’’ (Editions Tallandier, Paris 2022),

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