Cette année, la musique a une grosse part dans les films sélectionnés aux 18es Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB) qui se poursuivent jusqu’au 28 septembre 2028.
Plusieurs courts métrages et documentaires, projetés à la cinémathèque de Béjaïa, abordent l’art musical algérien dans sa diversité. Mardi 26 septembre, le public des RCB fut ravi de découvrir le documentaire Un peu pour mon cœur et un peu pour mon Dieu, de la Suédoise Brita Landoff, un documentaire produit en 1993, filmé en 1991 et projeté pour la première fois en Algérie.
La caméra plonge dans l’intimité profonde des meddahate, ces chanteuses légendaires de l’Ouest algérien (Oran, Mostaganem, Relizane, Sidi Bel Abbès, Aïn Témouchent). «Ces femmes qui ont transgressé les tabous. A l’époque, les meddahate n’étaient pas bien considérées. Les autorités nous avaient même conseillé de filmer autre chose, quelque chose de ‘beau’ de la culture algérienne», a confié Brita Landoff, lors du débat qui a suivi la projection à la cinémathèque de Béjaïa.
La cinéaste suédoise, conseillée par le dramaturge Abdelkader Alloula et accompagnée par la comédienne Fadéla Hachemaoui, a dévoilé les visages et donné la parole à des pionniers de l’art des meddahate, à l’image de Cheikha Rabéa et de Mahdjouba. Et, elle a recueilli les confessions d’Amin et de Sid Ahmed, les premières voix masculines du chant des meddahate.
Un chant qui s’appuie sur la percussion (el bendir, el guellal, el derbouka et al tbila), le rebrab et le violon. Pour mieux plonger dans l’univers des meddahate, Brita Landoff, qui a vécu quelques semaines chez Amin et Sid Ahmed, a eu des difficultés pour accéder aux lieux de cérémonie, un univers souvent exclusivement féminin et fermé aux regards extérieurs. Les artistes ont confié à la caméra de Brita Landoff leurs douleurs, leurs ennuis familiaux, leurs rêves, leurs ambitions...
Les confessions sont d’une touchante sincérité. «En 1974, j’ai été invitée à une cérémonie de mariage à Alger. J’ai vu un orchestre féminin animer la fête sur une terrasse. Il était éloigné de l’assistance, jouait une autre musique que celle que j’ai écoutée à Oran avec les meddahate. Je suis revenue en 1990 pour mieux découvrir ces musiciennes après avoir rencontré à Stockholm des artistes du raï.
A Oran, j’ai été soutenue par Abdelkader Alloula, alors directeur du théâtre. Et l’actrice Fadéla Hachemaoui m’a accompagnée durant mon tournage», a-t-elle déclaré. «La plupart des artistes que vous avez vus dans le documentaire sont décédés. Dommage, ils n’ont jamais vu le film. Notre bébé voit le jour trente ans après.
Le film a été tourné d’une manière spontanée. Il n’y avait pas de mise en scène», a soutenu, pour sa part, Fadéla Hachemaoui.Brita Landoff a expliqué les raisons de la non projection de son documentaire en Algérie : «Le contexte de l’époque ne me permettait pas de montrer le film. J’avais peur que les femmes, qui ont parlé à visage découvert, soient calomniées ou soumises aux préjugés. Je ne savais pas comment faire. Et avec le début du terrorise en Algérie, c’était impossible. C’était risqué.»
La rockeuse du désert
Autre documentaire projeté à Béjaïa : La rockeuse du désert, de Sara Nacer sur Hasna El Bacharia, la première femme algérienne à jouer du gumbri et de la guitare électrique. La réalisatrice, qui est établie au Canada, a donné la parole à Hasna El Bacharia qui raconte ses débuts dans la musique. Élevée dans une ambiance diwane, à Béchar, Hasna brave l’interdit, contourne le refus de son père, et apprend seule le gumbri. Elle est soutenue par sa mère, aveugle. «Joue la guitare, ça va te permettre de vivre», lui a-t-elle dit.
A ses débuts, Hasna a subi les quolibets des gens de Béchar. «Nous avons été bombardés de pierres lors d’un mariage à Debdaba, à Béchar. Ils ne voulaient pas qu’une femme chante», a-t-elle témoigné. Partie en France en 1999, Hasna El Bacharia s’épanouit au Cabaret sauvage, à Paris, au festival Femmes d’Algérie, où elle fait sensation sur scène.
La critique française la consacre Rockeuse du désert. «Ma musique vient du Sahara, de Béchar, et du gnawa de mon père. Mon père avait une trentaine de crotales. Quand je joue au gumbri, je suis dans le ciel !», a confié Hasna El Bacharia.
Son premier album Djazair Djawhara, sorti en 2002, est un grand succès. La chanteuse voulait rendre hommage à l’Algérie, «une perle» sortie indemne après des années de violence. Smaa smaa (écoute, écoute) est son second album.
Le chanteur de l’exil
Rida Belghiat s’est intéressé, lui, à Cheikh El Hasnaoui, le maître de la chanson kabyle, dans La kaza blanche, un documentaire réalisé en grande partie à Saint Pierre de la Réunion où s’était installé l’artiste, à la fin de sa vie, après avoir quitté la France.
Cheikh El Hasnaoui a quitté l’Algérie en 1937 pour Paris. Il n’est jamais revenu au pays. Jusqu’à la fin des années 1960, il a interprété une quarantaine de chansons en kabyle et en arabe, les plus célèbres sont La maison blanche, Sani, sani, Chikh ameqran, Ya noujoum ellil et Bnat sohba. Dans le documentaire de Rida Belghiat, la chanteuse andalouse Beihdja Rahal raconte sa rencontre avec Cheikh El Hasnaoui à la Réunion. Elle est la seule artiste algérienne à avoir eu ce privilège. Salah Gaoua, Ali Amrane et les frères Amokrane de l’ex-groupe Zebda ont livré leurs témoignages dans le film sur Cheikh El Hasnaoui, considéré comme «le pionnier de la chanson kabyle», «le chanteur de l’exil».
Dans le court documentaire, Achewiq, le chant des femmes-courage, la jeune réalisatrice franco-algérienne, Elina Kastler, a partagé l’intimité des chanteuses du village Sahel à Bouzeguène à 70 km de Tizi Ouzou.
«Je cherchais quelque chose d’assez personnel. Ma mère est Kabyle, mais la culture kabyle ne m’a pas été transmise. J’étais émue en écoutant le chant achewiq et je voulais faire quelque chose qui soit de l’ordre de la préservation. Après, j’ai compris que je voulais retrouver ma grand-mère. J’ai vécu avec les villageoises de Sahel pendant deux mois. J’ai tissé des liens presque familiaux. Je voulais trouver ma grand-mère et ma mère au travers de quelque chose de plus grand que mon histoire familiale qui est ce chant ancestral qui vibre dans beaucoup de maisons», a confié Elina Kastler.
«Je n’avais aucune envie de faire un reportage ou d’expliquer les choses par une voix-off. Je voulais susciter la curiosité chez le spectateur pour qu’il fasse lui-même des recherches. Je voulais faire vivre ces femmes, immerger dans leur vécu. L’achewiq est un chant qui permet d’exprimer leur joie et leur tristesse, c’est une sorte de catharsis», a-t-elle poursuivie.